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« L’usage des formules convenues, des phrases tièdes aromatisées aux clichés du moment sont autant d’écrans placés devant la nouveauté et la variété des choses. L’arsenal d’expressions du pouvoir toutes faites immunise contre les multiples nuances de l’existant ».
En première lecture, difficile de ne pas adhérer aux propos comminatoires de Julia de Funès. Dans son dernier ouvrage (La Vertu Dangereuse), la philosophe s’affirme plus que jamais comme la contemptrice des dérives du management contemporain. Elle débusque les dangers des langages vertueux qui promettent le bien-être au travail grâce à l’inclusion, la diversité, l’intelligence collective et autres concepts qu’elle qualifie de dogmes.
Et c’est là que le langage du dirigeant, selon Julia de Funès, devrait s’affranchir de la bien-pensance. Avec la réserve suivante : à la lecture du livre, vous devriez deviner qu’une idéologie philosophique inspire son propos, fondée sur l’ illusion d’un libre-arbitre dont les managers ne feraient pas usage. Sa critique, qui confine parfois à la haine, à l’égard du développement personnel en particulier, et jetant au pilori les coachs tous soupçonnés de charlatanisme, n’est que la partie émergée d’une idéologie plus profonde. Cette dernière est fondée sur la certitude que l’entreprise a dérivé de son objet social et économique. Et la bien-pensance, telle que définie par Madame de Funes, est un angle mort de la pensée pour une raison bien simple : c’est que la bien-pensance est à peu près l’exacte opposée de la liberté ou de la singularité de penser. Pour comprendre ce qui motive cette jeune philosophe, je vous invite à lire la source de sa pensée : sa thèse doctorale (De l’identité Personnelle à l’Authenticité) parue en 2017. Tenante d’une ipséité de la condition humaine, toute dynamique collective éveille chez elle un rejet, tant elle la soupçonne d’être inspirée par une « bien pensance » source d’aliénation. Mais là où elle est paradoxale , c’est qu’elle condamne aussi l’hyper individualisme contemporain dont l’un des terrains d’expression est, selon elle, toutes les approches de développement personnel et de coaching, au sein des entreprises, qu’elle abhorre. De là, on arrive à une aporie de sa pensée, presque schizophrène, consistant à rejeter non seulement l’intention collective de l’entreprise, la bien-pensance ou le prêt à penser, mais aussi l’investissement de l’individu dans une perspective de bien-être ou de développement personnel. Elle n’a d’autre choix que de radicaliser sa position, en ignorant tout facteur contextuel (les injonctions paradoxales, l’abus de pouvoir, les prédations diverses, les objectifs inatteignables..) en invitant à un management « libéral », nourri de son autorité légitime à la (re)conquête de son libre-arbitre et de son courage.
Sauf que … sa pensée est abstraite, non étayée par une étude sociologique des dérives contextuelles qui amènent les managers à une situation de tension qu’elle semble ignorer. Je crains que Julia de Funes n’entretienne un fonds de commerce consistant à pratiquer la contraposée comme amplificateur médiatique.
N’en déplaise à l’essayiste, beaucoup de dirigeants et de managers sont animés par une vision humaniste de leurs missions. J’invite ces derniers à ne pas faire l’économie des mots de la bienveillance et de l’humanisme, non pas par conformisme ou par démagogie, mais bien par conviction : Empathie, Respect , Compassion, Générosité, Soutien, Tolérance, Altruisme, Écoute, mais aussi Dignité, Liberté, Solidarité, Égalité, Responsabilité, Culture, Raison, Humanité ne sont pas les avatars de la bienpensance. Le langage, comme expression des convictions éthiques qui animent les dirigeants, est vital, et il n’y a de performance possible que si le véhicule de celle-ci est un projet social plaçant l’humain au cœur de sa dynamique. Réduire cette vision humaniste à de la bien-pensance relève d’un cynisme ou d’une méconnaissance de la dimension anthropologique de l’entreprise.