« Je fais appel à [votre] sens civique »

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En 2012, le gouvernement avait cherché à imposer une taxe sur les dividendes. Retoquée par le conseil constitutionnel. Le coût de cette annulation est chiffré à 10 milliards d’euros. Pour compenser cette perte, Bercy a réagi immédiatement par la création d’une taxe exceptionnelle qui touchera les 320 plus grandes entreprises françaises : celles qui réalisent plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires verront leur taux d’imposition (IS) passer de 33% à 38%, et celles dont le chiffre d’affaires excède les 3 milliards d’euros subiront un IS de 45%.

Bien sûr, affirme Bruno Le Maire, cette surtaxe est « exceptionnelle et temporaire » ; et bien sûr, elle ne concerne que des sociétés « qui se portent bien ». Il n’en demeure pas moins que l’État encourt à présent des poursuites pour « délit de concussion » (un délit obsolète qui se caractérise par la perception illicite par un agent public de sommes qui ne lui sont pas dues).

En écoutant l’intervention télévisée du ministre des Finances sur TF1, j’ai d’abord pensé à une farce tant son propos était grotesque. Elle fait penser à la fable de la Fontaine où la logique du loup, aussi infondée soit-elle, lui permet d’arriver à ses fins : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. – Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens ! ». En politique comme dans la fable, l’argumentation importe peu : elle déguise un rapport de forces, elle maquille une négociation qui est pliée d’avance. Dans ce contexte, il est cependant un peu gros que le loup exige de l’agneau qu’il consente à son sort : « Je fais appel à leur sens civique », clame le ministre ! Le mot est lâché : la grosse société qui préférerait utiliser ses résultats pour faire des investissements d’avenir, augmenter ses salariés méritants, honorer les investisseurs qui lui ont fait confiance dans un climat de concurrence internationale en leur reversant la part de dividendes attendus, etc. – cette entreprise est incivique et immorale, si elle ne souhaite pas contribuer davantage à l’objectif de ramener le déficit de l’État sous la barre des 3%. Il faudrait rappeler au gouvernement que l’État n’est pas la seule partie prenante des sociétés, fussent-elles grandes et profitables : elles ont aussi d’autres engagements, d’autres devoirs. Bref, je ne peux que trouver déplorable le recours à un registre de l’éthique pour justifier une décision strictement politique.

Néanmoins, je ne peux m’empêcher de penser que la décision du gouvernement est salutaire et courageuse. Et sans doute était-il nécessaire de faire passer une telle mesure fiscale… Mais, non, M. Le Maire, vous commettez une faute grave de communication. En mélangeant ainsi les registres, vous donnez l’impression de vous moquer de l’éthique.

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