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L’actualité autour des phénomènes de corruption est forte. Chacun a en tête la mise en examen récente de Vincent Bolloré, et l’annonce, le 22 avril dernier, par Christine Lagarde, directrice générale du FMI, de l’adoption d’un nouveau cadre réglementaire destiné à « évaluer de manière régulière » la corruption dans les 189 pays membres. C’est donc l’occasion de revenir sur cette notion, si floue dans l’esprit des gens mais si lourde de préjugés. Qu’est-ce que la corruption ? Et pourquoi devons-nous la combattre ?
Le terme a d’abord un sens physique : il renvoie à l’altération d’une substance par décomposition. De là en découle une acception morale : la corruption des mœurs renvoie à la dépravation d’un individu ou à la déliquescence des vertus morales au sein d’une société. Mais le terme recouvre aussi un sens juridique précis : le code pénal définit la corruption comme un comportement pénalement répréhensible par lequel une personne sollicite, agrée ou accepte un don, une offre ou une promesse, des présents ou des avantages quelconques en vue d’accomplir, de retarder ou d’omettre d’accomplir un acte entrant d’une façon directe ou indirecte dans le cadre de ses fonctions. La loi distingue alors la corruption active (le corrupteur) de la corruption passive (le corrompu). Dans les faits, la corruption est une transaction perturbatrice qui fausse les règles d’un marché en créant un arrangement occulte, parallèle mais préalable, qui conditionne l’exécution du marché véritable.
La corruption survient lorsque les normes peinent à régir les faits. Comment est-ce possible ? Plusieurs possibilités : les normes conçues sont parfois trop exigeantes, trop peu soucieuses des réalités et donc inapplicables. Cette explication me paraît pertinente notamment dans le domaine moral où les vertus sont souvent conçues comme des idéaux inatteignables. Autre possibilité : les normes sont contournées. Plusieurs réactions sont alors légitimement envisagées : changer la norme, dérèglementer ou concevoir des nouvelles normes complémentaires pour rendre plus difficile le contournement des premières. Tacite disait déjà que « plus l’Etat est corrompu, plus les lois se multiplient ».
Il me semble qu’une nouvelle approche, proposée par le philosophe Thierry Ménissier dans son livre Philosophie de la corruption (2018), mériterait d’être davantage creusée : selon lui, la corruption ne renvoie pas « à la déchéance d’une situation paradigmatique, meilleure et idéale » car elle « consiste moins en une dégradation qu’en une véritable forme de vie, qui à sa manière est authentique ». Il en déduit la nécessité de repenser l’éthique civique, la conciliation des intérêts privés avec l’intérêt général, pour refonder une « vertu civique » nouvelle, compatible avec les croyances pluralistes de nos sociétés démocratiques contemporaines qui rejettent toute compréhension univoque des vertus morales ou républicaines. Le pari de cette refondation éthique est de taille, et nous sommes curieux de savoir quelle éthique pourra bien nous être proposée, à nous autres, hommes et femmes, qui souffrons tant de la corruption mais qui nous révélons si corruptibles.