Droit de vote et actionnariat fantôme

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Le 2 mars dernier, Snapchat a réalisé une entrée en Bourse remarquée. Après une relative prudence dans la cotation initiale de son IPO, la firme a introduit son titre à 17 dollars. Le 3 mars, l’action s’envolait de plus de 59% pour atteindre, à son pic, les 27,07 dollars. Le 20 mars, son cours était cependant redescendu à 19,83 dollars, après les réserves émises par l’hebdomadaire financier américain Barron’s, qui considérait que l’entreprise de la Silicon Beach (le pendant à Los Angeles de la Silicon Valley) était probablement surévaluée compte tenu des performances financières.

Il existe bien des manières d’interpréter cette volatilité. Celle qui m’intéresse ici porte sur la nature même des titres émis par la firme au petit fantôme jaune : ils n’accordent aucun droit de vote à leurs détenteurs. Que les cofondateurs de Snap aient souhaité conserver 90% des droits de vote est compréhensible : Evan Spiegel et Bobby Murphy n’avaient aucun intérêt à risquer de perdre le contrôle ; la disproportion entre leur poids relatif dans l’actionnariat total (45%) et leur pouvoir quasi absolu sur la société interroge cependant du point de vue éthique. Le dispositif qui consiste à structurer des classes d’actions différentes est légal, et il est devenu la norme dans les sociétés high-tech. Il est cependant étonnant de constater l’attractivité de ce type d’actions, étant donné qu’il réduit le rôle de l’actionnaire, censé être une partie prenante essentielle de l’entreprise, un partenaire engagé, à n’être qu’un pur et simple investisseur observateur. Certes, on peut arguer que ce dispositif permet de mettre à l’abri les équipes dirigeantes des pressions boursières : les fondateurs peuvent ainsi poursuivre leur stratégie à long terme sans se soucier des attentes court-termistes de leurs minoritaires. Mais il me semble que ces créateurs de génie auraient davantage à bénéficier du dialogue avec leurs associés : s’ils craignent de ne pas être capables de les convaincre du bien fondé de leur politique, peut-être devraient-ils reconnaître que les actionnaires peuvent parfois constituer un apport bénéfique, y compris pour redéfinir ou infléchir leur vision stratégique ? Ce qui est le plus embarrassant dans ce mécanisme, c’est qu’à l’heure où on déplore encore les abus de la finance, il incite les financiers à se comporter exclusivement en tant qu’investisseurs, sans trop se soucier du sous-jacent réel de leurs actifs. Bref, il autorise et cautionne les comportements spéculatifs des financiers : sur les classes d’actions en question, ils n’ont aucun autre rôle à jouer au sein de l’entreprise. Peut-être serait-il pertinent de revoir cette pratique, trop systématiquement autorisée par les autorités de contrôle ?

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