Temps de lecture estimé : 3 minutes
D’un revenu de subsistance, accordé donc sans logique de cotisation, le gouvernement d’Élisabeth Borne veut conditionner à un minimum d’heures d’activité la perception du RSA. Non seulement inutile, la réforme pourrait même se risquer à une gratuitisation du travail.
C’est indéniable, le RSA (revenu de solidarité active) ne participe guère à la réinsertion des individus les plus éloignés de l’emploi. En moyenne, « sept ans après l’entrée au RSA d’une cohorte d’allocataires, seuls 34 % en sont sortis et sont en emploi – et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable. 24 % sont sortis du RSA sans emploi, dont un quart (soit 6 % de la cohorte) bénéficie de l’AAH [l’allocation aux adultes handicapés, ndlr]. Enfin, 42 % sont encore au RSA », chiffre un rapport de la Cour des comptes publié en 2022.
Quelque chose ne fonctionne pas avec le RSA, et cela ne se réduit pas, comme pourrait le laisser penser le gouvernement, au caractère supposé oisif des allocataires. Je crois sincèrement qu’on ne peut pas être au RSA par plaisir. Tellement de gens préfèrent y renoncer afin d’éviter d’être stigmatisés comme des « assistés ». Le non-recours est massif : la Drees évalue ainsi qu’en 2018, le phénomène concernerait 34 % des foyers éligibles au RSA chaque trimestre et un cinquième de façon durable. Si certains ne savent même pas qu’ils sont suffisamment pauvres pour y avoir droit, d’autres veulent simplement échapper à la stigmatisation.
Comme avec la réforme de l’assurance chômage, le gouvernement s’attelle à culpabiliser et surveiller les plus pauvres. Avec sa nouvelle lubie, il n’entend plus accompagner les plus précaires vers le chemin de l’emploi, mais compte bien les forcer à « s’activer » pour pas grand-chose. Le RSA étant à 607 euros par mois pour une personne seule, à 15 heures d’activité par semaine… on aboutit donc à une rémunération horaire inférieure au smic ! Soit un glissement vers une gratuitisation du travail. Les 15 à 20 heures hebdomadaires ne correspondent ni à « un travail gratuit ni à un bénévolat obligatoire », peine à se défendre le ministre du Travail Olivier Dussopt. Hélas, parmi les activités proposées, on retrouve des formations, certes, mais aussi des stages et des périodes d’immersion en entreprise. Peut-on vraiment croire que ces périodes d’immersion et de stage ne seront que de l’observation ? Oui, il y aura bel et bien du travail quasi gratuit pour nombre d’allocataires du RSA pour continuer à percevoir 600 balles par mois.
Surtout, fort à parier que la réforme n’atteigne pas les objectifs attendus. La preuve outre-Manche : « le cas britannique est intéressant, puisqu’après la mise en place d’une politique de workfare, sous l’impulsion du gouvernement travailliste à la fin des années 1990, le taux de chômage a augmenté et a atteint des niveaux historiques, tout comme le niveau de pauvreté », révèle l’économiste Pierre Rondeau auprès de nos confrères de Slate.
Le fond du problème n’est pas le manque de volonté des bénéficiaires du RSA à sortir de leur situation – d’autant plus dans une phase où l’inflation frappe de plein fouet leur maigre pouvoir d’achat – mais le manque d’accompagnement, réel, de la part du gouvernement. Le principe du RSA n’a pas été suivi sur le terrain, « 60 % des bénéficiaires soumis aux droits et devoirs ne disposent pas de contrat d’accompagnement », estime-t-on à la Cour des comptes. Un suivi trop faible, pas individualisé, et qui ne peut donc pas proposer un retour à l’emploi adapté. Une faiblesse d’accompagnement dénoncée par Martin Hirsch, le créateur du dispositif et opposé au projet de conditionnalité du RSA : « Les allocataires du RSA ont certes du mal à retrouver un emploi […] Mais il y a six ans, il y avait environ 400 000 emplois aidés. Aujourd’hui, il y en a entre 50 000 et 100 000, principalement chez les jeunes et pas du tout chez les bénéficiaires du RSA […] Quand on regarde les dépenses d’insertion des départements, elles ont baissé de 30 % ces vingt dernières années […] Quand on regarde Pôle emploi, j’avais demandé l’obligation d’inscrire tous les allocataires du RSA. Est-ce que ça a été fait ? Non […] La responsabilité est plutôt du côté des organisations publiques, de la manière dont on met en place les instruments ».
Les gouvernements successifs n’ont pas mis tous les moyens nécessaires pour orienter le dispositif du RSA vers la réussite. Et l’actuel, piloté par Élisabeth Borne – et qui s’apprête à consacrer entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros d’ici à 2026 pour changer le nom de Pôle emploi en France Travail – tente de rejeter la faute sur ce penchant qu’ont les pauvres à se satisfaire de leurs conditions. Se réinsérer et préparer son futur suppose d’assurer à chacun un présent un minimum stable – tout le contraire de ce que propose la réforme du RSA, où les allocataires vivront dans une pression permanente de se voir retirer leurs 600 euros par mois, hélas déjà trop pour certains.