Fustiger Bernard Arnault ne fera pas avancer la lutte contre la pauvreté

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Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

L’homme le plus riche de France a créé la polémique en donnant 10 millions d’euros aux Restos du Cœur. Un esclandre qui cache un mal bien plus profond : l’incapacité de l’État à prendre soin des plus démunis.

« Qu’est-ce que c’est que ce pays où des gens insultent quelqu’un parce qu’il donne de l’argent aux Restos du Cœur ? Ça me choque ! Que les footballeurs ou Bernard Arnault les aident c’est formidable et honte sur ceux qui critiquent ça », dixit l’ex-Président de la République Nicolas Sarkozy dans l’émission « C à vous ». Évidemment, le geste de Bernard Arnault a tous les attributs d’un coup de communication. Mais cela reste 10 millions d’euros pour les Restos du Cœur. Évidemment, cette somme, pour Bernard Arnault, ne représente pas grand-chose au regard de sa fortune globale, moins de 1 %, de 0,1 %… et sans doute encore même en dessous nous diront celles et ceux qui ont tenu, à tout prix, à mesurer ce « ratio de la générosité ». À partir de quel seuil le don d’un milliardaire devient-il légitime ? À partir de combien doit-on dire merci ? Encore une fois, et au risque de me répéter, pour les Restos du Cœur cela reste toujours dix millions d’euros dans les caisses.

Non, derrière cette polémique inutile se cache le fond du problème : la fragilité de l’État providence. « Les Restos du Cœur ne sont pas là pour durer », insistait Coluche. Près de 40 ans après, l’association d’aide alimentaire existe bel et bien toujours. Elle aurait pu, sans le cri d’alerte de son président Patrice Douret, mettre la clé sous la porte. Renonçant alors aux 142 millions de repas qu’elle a, hélas et heureusement, servis en 2022. Le chiffre pourrait atteindre 170 millions d’ici à la fin de l’année.

Encore aujourd’hui, notre pays compte entre 5 et 11 millions de pauvres (selon les méthodes de calcul). « En France, le seuil de pauvreté monétaire est fixé à 60 % du revenu médian français, qui était de 1 837 euros par mois pour une personne seule en 2019. On estime donc qu’une personne est pauvre si ses revenus sont inférieurs à 1 102 euros par mois […] En 2019, l’Insee comptait 9,2 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire », explique-t-on à Oxfam France. Bref, bien loin de la volonté de Coluche. Cette France des chariots vides n’a pas disparu, frappée de plein fouet par l’inflation galopante qui sévit depuis de trop nombreux mois.

L’État providence n’a pas joué son rôle de protéger ses citoyens les plus fragiles. S’en remettre d’ailleurs aux associations d’aide alimentaire pour lutter contre la pauvreté en dit long – alors que la France est toujours vice-championne d’Europe des prélèvements obligatoires. Quelque chose ne va pas, les Français s’interrogent, et c’est bien normal, sur le bon usage de l’argent public. J’en veux aussi à la gauche, ou cette nouvelle gauche, de Marine Tondelier à Jean-Luc Mélenchon, qui à force de s’attaquer aux riches en a oublié les pauvres. Ceux pour qui elle est censée se battre. Supprimer les milliardaires permettra-il d’éradiquer la pauvreté ? Indignons-nous de cette misère qui ne recule pas. Plutôt que des dons supposés anecdotiques des milliardaires. Inquiétons-nous de cet État complètement dépendant des associations alimentaires – que nous ne remercierons jamais assez – car pour l’anthropologue Bénédicte Bonzi : « L’État providence n’existe plus. Le filet de sécurité de notre société se délite complètement », constate-t-elle pour France Culture.

Idem pour les donateurs particuliers, dont les plus réguliers ne sont d’ailleurs pas nécessairement les plus riches : « Alors que l’État est censé tenir tout ça, c’est très dangereux de laisser le privé combler ces lacunes par des mouvements de générosité ponctuels. C’est au bon vouloir des donateurs, c’est très dangereux comme modèle », alerte Virginie Martin, politiste et docteure en sciences politiques. L’État ne peut pas tout, certes. Alors à lui de faire de la lutte contre la pauvreté sa priorité.

Rédacteur en chef. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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