Cette France des chariots vides

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Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

Ah l’inflation, cet « impôt sur les pauvres » disait François Mitterrand. En février, l’inflation en France atteignait au global +6,3 % sur un an. L’inquiétude liée à la hausse du prix des carburants a laissé place à l’angoisse de ne plus manger à sa faim.

Sale temps pour les pauvres de France. Les prix à la consommation n’en finissent plus de s’envoler. D’un renoncement à leurs petits plaisirs, les Français en viennent à se priver du strict nécessaire. L’inflation pèse très lourd dans l’assiette des plus précaires : 80 % affirment avoir restreint leurs achats de nourriture. Pire, un sur quatre concède sacrifier un repas, selon une étude Ifop menée sur les 30 % de Français les plus modestes. Résultat, les vols à l’étalage se multiplient, « on antivole la viande et le poisson frais emballé », précise Thierry Cotillard, président du groupement « Les Mousquetaires ». Visage nouveau pour les produits de luxe. Si à 50 ans on ne peut pas remplir son caddie Leclerc, c’est qu’on a raté sa vie.

Oui, dans cette France où les frigos se vident, l’inflation devrait être un enjeu de santé publique. Les ménages français achètent moins de viande, de poisson, de produits laitiers. Environ un tiers des Français renonceraient aux fruits et légumes estime l’Observatoire des Cetelem avec Harris Interactive et Toluna. La société française souffre de schizophrénie, capable de voir tripler son nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire en dix ans en même temps qu’elle accueille l’homme et la femme les plus riches du monde : Bernard Arnault, PDG de LVMH et Françoise Bettencourt Meyers, héritière de l’Oréal – une première, merci pour eux. Supprimer les milliardaires ne veut pas dire grand-chose, au risque de froisser l’écolo Marine Tondelier, mais la France d’en bas, s’impatiente plus que jamais à voir se concrétiser la théorie du ruissellement. Patience, il y aura du gâteau pour tout le monde, sauf que certains devront se satisfaire de quelques miettes. Après tout, ne reconnait-t-on pas un pays riche à son nombre de pauvres ?

L’inflation aura achevé l’âge d’or du bio. Selon une enquête de NielsenIQ, les ventes de produits bio ont reculé de 7,4 % en grandes surfaces en 2022. Pour les enseignes spécialisées comme Biocoop, Naturalia ou Comptoirs de la Bio, la baisse serait vertigineuse avec -12 % ! Au point de se demander si les bobos, eux aussi, se précarisent… Bref, exit le bio, place au low cost, à celle ou celui qui fera la bonne affaire. La chasse aux bons plans et promotions est ouverte. Pas étonnant qu’Action soit devenue l’enseigne préférée des Français. Un repère du discount où l’on y cultive l’illusion de l’abondance – anti-dépresseur précieux en ces temps d’inflation.

Quand pourrons-nous sortir de cette galère ? Fin décembre, la BCE prévoyait un maintien de l’inflation au-dessus de son objectif de 2 % au cours des trois prochaines années, soit jusqu’en 2025. Le bout du tunnel est encore long. La faute aussi aux profiteurs de l’inflation. La guerre en Ukraine a bon dos. Car au-delà de la hausse des consommations intermédiaires, nombreuses sont les entreprises qui ont saisi cette période d’euphorie des prix pour revoir leurs marges à la hausse – pensant que les consommateurs n’y verraient que du feu. L’industrie agroalimentaire française réalise bel et bien des superprofits à la faveur de l’inflation, au détriment du pouvoir d’achat des Français.

Selon une note de l’institut de la Boétie qui sortira publiquement ce mardi 11 avril – et révélée en amont pour Alternatives Économiques – la hausse des profits a été la première raison de la forte augmentation des prix alimentaires au cours du second semestre 2022. Une boucle profits-prix s’est installée, et explique une inflation durable et non plus passagère. Le point de conjoncture indique qu’au dernier trimestre 2022 « l’augmentation des profits des entreprises est responsable de 60 % de l’inflation par rapport au trimestre précédent ».

Voilà qui a de quoi piquer au vif les Français qui luttent pour voir leur salaire augmenter. Certes le Smic est indexé sur l’inflation, mais les autres ? Tous ceux qui gagnent plus que le Smic mais moins de 2 000 voire 2 500 euros brut par mois ? Les classes moyennes, une nouvelle fois, se sentent lésées. Les paniers anti-inflation ne suffisent pas – un pansement n’a jamais soigné une plaie profonde. La hausse des prix de l’alimentaire contribue à la tension générale qui sévit dans le pays, à la colère sociale de ces Français à découvert ou presque le 10 du mois – 49 % des Français qui gagnent moins de 2 000 euros par mois n’avaient plus que 67 euros sur leur compte bancaire le 10 mars. Ajoutez à ces difficultés liées au pouvoir d’achat une réforme des retraites ultra-impopulaire, et vous vous retrouvez avec des personnes qui descendent dans les rues pour la première fois de leur vie. Les mêmes qui incarnent cette France des chariots vides.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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