Des (trans) formations pas toujours abouties

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Loi Avenir professionnel

Elle se nomme avec panache Avenir professionnel. La loi entrée en vigueur en 2019 dans l’arsenal macronien affiche le principe phare éminemment positif de favoriser la liberté de choisir son avenir professionnel au nom de ses trois piliers : le renforcement des compétences et de la formation, l’élargissement des indemnisations chômage et l’insertion de nouvelles mesures liées à l’emploi. Pour certains syndicats, il s’agit surtout d’un outil au service du patronat. Deux ans plus tard et une pandémie entre-temps, où en est-on ?

Tout passe par la formation et le renforcement des compétences, mais pour répondre aux besoins du marché. Plusieurs mesures ont donné un gigantesque coup de pied dans le monde de la formation professionnelle. D’abord la réforme du compte personnel de formation (CPF). Auparavant, les droits à la formation étaient crédités en « heures » aux employé·es (24 heures par an pour les salarié·es, 48 heures par an pour les employé·es les moins qualifié·es). Ils se transforment en enveloppes : 500 euros pour les premiers, 800 euros pour les seconds. Pour assurer la transition, les heures déjà accumulées sont transformées en euros valorisés à 14,28 euros l’heure. Conséquence ? La baisse du coût des formations puisque la plupart des formateurs ont établi depuis plusieurs années des taux horaires autour des 40 euros. Mais surtout la possibilité pour chaque salarié·e de sélectionner lui·elle-même les formations auxquelles il ou elle souhaite participer. « À moins que la formation choisie n’ait lieu sur son temps de travail, l’employeur n’a plus son mot à dire », confirme Guillaume Laurent, responsable du développement des formations QHSE chez Bureau Veritas Exploitation. Ça va plus loin avec l’abandon de la liste des certifications sélectionnées par les partenaires sociaux, histoire que davantage de formations soient finançables. Sous réserve, pour les centres de formation, de se voir certifiés par la nouvelle agence France compétences, en charge de la certification des acteurs du secteur grâce à des critères de qualité.

Des apprenti·es en Erasmus +

Cette nouvelle agence fusionne quatre instances de gouvernance préexistantes (Cnefop, Copanef, FPSPP, CNCP*). À elle de réguler et répartir les multiples fonds issus de la contribution des entreprises à l’apprentissage et à la formation. Mais un rapport des inspections générales des finances pointe du doigt les difficultés rencontrées par cette nouvelle structure, contrainte à un emprunt à hauteur de 2,5 milliards d’euros en 2020 pour accélérer le financement de contrats d’apprentissage et ne pas mettre en péril le fonctionnement des centres de formation d’apprentis (CFA). Les projections des experts évaluent le déficit à 4,9 milliards d’euros d’ici à l’année 2023. Lourde charge, malgré tout tempérée par une baisse des coûts de l’alternance et la régulation du CPF.

L’alternance représente, d’ailleurs, un axe majeur de la réforme de la loi Avenir professionnel, avec des changements structurels du mode de fonctionnement : l’apprentissage est désormais accessible jusqu’à 29 ans révolus (contre 25 ans dans bon nombre de régions auparavant). Les rémunérations des apprenti·es de moins de 21 ans ont, elles, été revalorisées d’une trentaine d’euros. La rupture du contrat a, elle aussi, été simplifiée avec la possibilité pour les employeurs de mettre fin à l’apprentissage pour faute grave, inaptitude, force majeure ou exclusion de l’apprenti·e de son centre de formation, sans avoir besoin de passer par la case prud’hommes comme avant. Du côté de l’apprenti·e, possibilité de mettre fin au contrat sous réserve de la saisie d’un médiateur. En outre, une aide de 500 euros pour le permis de conduire est octroyée à tous les apprenti·es, inclus·es de manière plus forte dans le programme Erasmus+ pour favoriser l’internationalisation des parcours.

CFA d’entreprises pour répondre à des besoins précis

Du côté des CFA aussi, des changements profonds : d’abord avec leur « dérégionalisation » et la possibilité qui leur est donnée de s’étendre sur le territoire. « Auparavant, pour nouer des contrats dans certaines zones géographiques, il fallait obtenir des autorisations de conseils régionaux. On a désormais simplifié énormément ces démarches », analyse Isabelle Cucchietti, directrice de Formaposte Sud Ouest, un CFA d’entreprise. Second point de transformation, une réforme des financements des centres de formation qui touchent désormais des aides « au contrat », dépendantes du nombre d’apprenti·es, alors qu’ils percevaient, jusqu’alors, des subventions globales. De quoi calibrer les financements sur les besoins réels des CFA. La loi veut également simplifier les possibilités de création de centres de formation via des allégements des démarches en place. Plus besoin de passer par le conseil régional pour ouvrir un centre. « D’où la création de CFA d’entreprises qui regroupent souvent plusieurs PME pour faire face à des besoins précis », explique Isabelle Cucchietti. Un pari payant puisque 554 CFA ont d’ores et déjà vu le jour depuis l’entrée en vigueur de la réforme.

Mais plusieurs points de vigilance demeurent aux yeux des professionnels du secteur. À commencer par la lourdeur administrative de la nouvelle organisation des CFA. Pour Isabelle Cucchietti, « si le financement au contrat a apporté de l’autonomie aux CFA, il engendre une gymnastique compliquée d’un point de vue administratif puisque chaque branche et chaque CFA engendre des coûts spécifiques qu’il faut calculer. Pour chacune des 400 branches et au sein des 11 “opérateurs de compétence des entreprises”, France Compétences est confrontée à la diversité des diplômes et titres. C’est au final un million de lignes pour les coûts de formation par branche ». Les simplifications qui engendrent des lourdeurs, un grand classique français. Le CFA de Mme Cucchietti a dû recruter une personne à temps plein pour les nouvelles données administratives – au moins un emploi assuré ! Mais pour la directrice, le risque de l’effondrement de petits CFA à cause des délais de paiement par France Compétences, acculée à ses limites de trésorerie, n’est pas mince.

Pourtant, au global, notre témoin estime d’un bon œil cette réforme. « C’est important de développer une offre de formation qui soit une chance d’accès à l’enseignement supérieur à tous et toutes, en adéquation avec les besoins du marché. Mais il faudra que les entreprises continuent à jouer le jeu du recrutement d’apprenti·es, même lorsque les subventions seront diminuées. »

Indemnisation universelle : un échec de la loi

Second volet de la loi Avenir professionnel, une indemnisation universelle du chômage qui se veut « plus universelle et plus juste », dixit le législateur. Principe phare de cette réforme, la mise en place d’une allocation des travailleurs indépendants (ATI). Le président Emmanuel Macron en avait fait un point fort de son programme en 2017. « Lorsqu’on est successivement salarié·e et indépendant·e, ou parfois les deux en même temps, la protection ne peut plus dépendre du statut, comme dans le monde d’hier. L’assurance chômage universelle couvrira tous les actif·ves – salarié·es, artisan·es, commerçant·es indépendant·es, entrepreneur·ses, professions libérales, agriculteur·rices – et facilitera les transitions d’un statut à un autre », écrivait alors le candidat et futur président sur son site de campagne.

Premier point : l’assurance chômage qui se voulait universelle se révèle plus restrictive, ouverte aux seul·es indépendant·es dont l’entreprise a fait l’objet d’un jugement d’ouverture de liquidation judiciaire ou d’une procédure de redressement judiciaire. En outre, le nombre de bénéficiaires de ces quelque 800 euros disponibles pendant 6 mois est bien loin des ambitions affichées. « Après seize mois de mise en œuvre de l’ATI, Pôle emploi vient de nous confier que seulement 911 demandes à ce jour avaient abouti à une indemnisation, contre près de 30 000 allocataires attendus selon l’étude d’impact annexée au projet de loi », a expliqué la députée LREM Dominique Silva le 3 mars en commission des Affaires sociales. Échec actuel patent de la réforme, donc. Deux raisons l’expliquent, intervient Misoo Yoon, directrice générale adjointe en charge de l’offre de services de Pôle emploi. D’abord, parce que certains des potentiels entrepreneurs éligibles à cette aide prétendent à d’autres droits au chômage plus avantageux. Ensuite, en raison des critères de revenus mis en place par la loi. « On observe que, dans 74 % des cas, la condition du revenu annuel minimal d’activité, qui doit être au moins égal à 10 000 euros, n’était pas respectée. Le revenu des demandeurs est inférieur », a expliqué la porte-parole de Pôle Emploi devant la commission du 3 mars. « Je pense donc pouvoir dire que le décalage entre les projections de l’étude d’impact, qui prévoyait 30 000 bénéficiaires, ne relève pas d’un problème de mise en œuvre de l’allocation, mais d’une problématique de calibrage de cette allocation, qui peut exclure de potentiels bénéficiaires. »

Handicap : une obligation d’emploi

Dernier volet de la loi, la mise en place de dispositions relatives à l’emploi avec un volet important autour du handicap. « Pour comprendre les réformes opérées, il faut se dire que la volonté de la loi est d’œuvrer pour une société plus inclusive », analyse Hughes Defoy, directeur métier à l’Agefiph, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Point fort de cette réforme : le calcul de l’obligation d’emploi des entreprises qui se réalise désormais établissement par établissement. « Les entreprises ont une obligation d’emploi de salarié·es handicapé·es fixée à 6 %, détaille-t-il. Celles qui ne la respectent pas doivent verser des cotisations au prorata. Auparavant, les chiffres totaux des entreprises étaient analysés. Désormais, ces 6 % doivent s’appliquer à chaque établissement. Dès lors, une enseigne de grande distribution doit respecter cette règle pour chacun de ses magasins. » D’autres changements de profondeur sont intervenus, comme la nomination d’un référent handicap pour les entreprises de plus de 250 salariés ou encore l’arrêt du remplacement des cotisations à l’Agefiph par des missions handicaps en interne. « Ce qu’il faut retenir de toutes ces modifications, c’est que le handicap est source de performance et malgré la situation économique compliquée il faut continuer à miser sur les talents de tous en entreprise. »

En pleine genèse de la loi, le Medef avait exprimé son espoir que « France compétences soit un véritable organe de pilotage et d’animation quadripartite, au service des salarié·es, des branches et des apprenti·es, au plus près des territoires et bassins d’emplois ». Deux ans plus tard, Patrick Martin, président délégué, regrette « le peu de poids accordé aux partenaires sociaux dans la gouvernance de France compétences et le fléchage des fonds insuffisant ». « On ne réussit pas à y peser sur les arbitrages budgétaires », confirme un syndicaliste. Une loi « Avenir professionnel » toujours aussi controversée.

Guillaume Ouattara

Au Sommaire du dossier 

1. S’y retrouver dans le labyrinthe du chômage

2. Recrutements et emploi, des secteurs qui en veulent 

3. Loi Avenir professionnel : des (trans)formations pas toujours abouties 

4. Régions & territoires : leurs emplois

5. La vague du chômage déferle sur la planète

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