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Plus qu’un effet de mode, les soft skills seraient la plus-value de l’ingénieur en 2020.

Le métier d’ingénieur évolue au gré des innovations, de l’évolution du management et de l’opérationnel qui s’inscrivent dans des contraintes de sécurité, environnementales, sociétales, toutes gigognes. Si, un temps, la connaissance et le savoir-faire suffisaient à l’ingénieur à la française pour tirer son épingle du jeu sur le territoire national et à l’international, force est aujourd’hui de constater de nouvelles tendances qui touchent cette formation, spécificité française, à la fois du côté de la pédagogie – vers plus de professionnalisation des cursus – comme sur le sujet des contenus des enseignements, avec un ADN ingénieur de plus en plus tourné vers les soft skills et l’impact sociétal du métier.

Un ingénieur humaniste

« C’est une tendance récente. On l’observe à peine depuis deux ans. Si nos diplômés trouvent tous un emploi à 6 mois, il n’est pas rare de constater le retour de diplômés qui souhaitent prendre leur temps après leur parcours étudiant, de choisir le bon métier, celui qui sera porteur de sens et qui inscrira le métier d’ingénieur dans un contexte d’entreprise qui reflète les valeurs du diplômé », analyse Carole Dieumé, directrice de Centrale Marseille. C’est dire si les mentalités ont évolué et qu’aujourd’hui la RSE n’est pas seulement un green washing superficiel. C’est devenu un élément différenciant en termes de recrutement et de marque employeur.

Comment se concrétise ce vif intérêt pour les enjeux sociétaux ? Pour Carole Dieume, « de nombreuses initiatives sont menées dans le cadre des associations de l’école, mais aussi en dehors de ce cadre. Cette prise en compte de l’impact sociétal se matérialise par une journée d’action sur le climat, par des actions menées sur le territoire pour favoriser l’engagement de nos étudiants, qui mettent en place, par exemple, du tutorat – conseil, coaching, soutien scolaire… – avec des collèges et lycées situés en zone prioritaire. Soit plus de 15 000 heures de bénévolat par an. Dans les murs de l’école, ces humanités sont abordées dans de nombreux enseignements. Un semestre tout entier est d’ailleurs lié à ces enjeux de société ! »

Articuler les enjeux industriels et sociaux

L’employabilité table sur la mise en place de ces soft skills depuis belle lurette. Elle répond d’abord à un besoin pragmatique des diplômés. À compétences égales, la personnalité, la façon d’affirmer son leadership ou encore la capacité à se montrer concis et convaincant seront des qualités payantes pour obtenir le poste visé. D’un point de vue opérationnel, ces soft skills sont d’autant plus recherchés que les projets ont gagné en complexité et donc inéluctablement en process, en réunions, en interlocuteurs, en efforts de gestion et d’analyse. Mener aujourd’hui un projet qui mobilise l’ingénieur sur un pilotage stratégique avec des partenaires industriels, voire des clients, mais aussi sur un management d’équipe, oblige les nouveaux diplômés à faire parler bien plus que leur technique et leur expertise.

De nombreux parcours dédiés au développement de ces soft skills ont donc vu le jour ces dernières années. À l’image de l’UTC de Compiègne qui a lancé son cursus Humanités et technologie (Hutech) en alternative au tronc commun. Entre autres, ce parcours enseigne comment orienter le développement technologique au service de hautes valeurs humaines et sociétales. Cet Hutech se définit comme parcours de préparation à l’ingénierie, s’adresse aux bachelier/ères toutes filières confondues qui souhaitent tisser sciences, technique et sciences humaines afin d’être capables, en tant qu’ingénieur/es, de mieux articuler les enjeux industriels et sociaux. Cette capacité de mener des projets à la croisée des sciences dures et molles amène également à l’exercice de nouveaux métiers (lire interview).

Un ingénieur manager

Loïc Roussel, directeur général du Groupe Esiea donne sa vision de la démarche : « Au-delà de notre expertise technique, nous nous attachons également à délivrer des enseignements dans les humanités. Philosophie, littérature ou encore développement du leadership sont présents dans la plupart de nos programmes. L’idée, donner les outils pour bien décider, communiquer et diriger. » Et finalement « piquer le job » des business schools, par hasard ? Sur ce sujet, les écoles d’ingénieurs déploient des stratégies différenciées de partenariat, mais de façon raisonnable.

À Centrale Marseille, des doubles cursus ont été co-conçus avec l’IAE d’Aix Marseille et Sciences Po. « Nous ne souhaitons pour l’instant pas aller plus loin dans la complémentarité des formations de type management. Ces partenariats permettent déjà d’accoucher de profils atypiques et intéressants », souligne Carole Deumié.

Chez Esiea spécialiste de la cybersécurité, de l’IA et de la data science comme des systèmes embarqués, des programmes communs ont été conçus notamment avec Skema sur le sujet de l’intelligence artificielle. « Ce type de programme mené à la suite du programme grande école est très recherché. Les profils qui y participent gagnent une corde à leur arc. Mais nos ingénieurs sont spécialisés dans le domaine du numérique. »

Un ingénieur ingénieux

Depuis quelques années, le rythme de création des innovations a dépassé la capacité d’adaptation et d’adoption des organisations et des sociétés. Face à cette frénésie technologique et aux avancées de la recherche dans de nombreux domaines (blockchain, IA, physique quantique…), le diplôme d’ingénieur est-il voué à une inlassable valse des contenus de formation ? « Faire évoluer le diplôme ne doit pas se calquer sur les besoins annuels de l’entreprise. Nous sommes dans une démarche d’adaptation continue mais tout passe d’abord par la volonté de former des jeunes très adaptables. On forme des esprits qui auront appris à évoluer très vite et de façon autonome », argue la directrice de Centrale Marseille.

Le learning by doing, la pédagogie de projet, tient donc une place importante dans les parcours des écoles d’ingénieurs.

« Concrètement, nous avons misé depuis trois ans sur un modèle dans lequel chacun de nos étudiants est en alternance dans une entreprise, une association, un laboratoire de recherche, voire dans un projet entrepreneurial. Nous avons conservé un socle scientifique fort, mais ce modèle nous ouvre à de nouvelles possibilités tant en termes de contenus que de pédagogie. On évoque théoriquement l’efficacité d’équipe ou encore l’intelligence émotionnelle pour ensuite mieux confronter ces notions à la réalité du terrain », poursuit la dirigeante de Centrale Marseille. Reste qu’aujourd’hui un enjeu majeur mobilise chaque école d’ingénieur en France. Celle du modèle de croissance pour assouplir un marché du travail ultra-tendu, tant finalement ces profils sont prisés…

Geoffroy Framery

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