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Et si la notion même de bureau disparaissait ?
Acheter du beau mobilier et un baby-foot ne suffit plus. L’aménagement des bureaux répond aujourd’hui aux enjeux de marque employeur et d’expérience collaborateur. Désormais, les entreprises doivent penser usages et méthodes de travail pour attirer les jeunes talents, mais aussi améliorer le bien-être des salariés. C’est à cette condition que les entreprises parviennent à améliorer le bien-être en entreprise et que croît la productivité des salariés. Selon une étude Actinéo, 95 % des salariés considèrent d’ailleurs que leur espace de travail génère un impact sur leur bien-être, tandis que 92 % reconnaissent que l’espace de travail influence leur motivation. D’autres entreprises vont encore plus loin dans leur démarche de productivité. Elles conçoivent des bureaux d’un genre nouveau où travailler rime avec créativité et innovation.
S’évader visuellement de l’entreprise
Google est devenu, dit-on, la source d’inspiration et le canal des élégances du dernier cri du bureau d’entreprise. En 2016, c’est sur ses pages que se sont dévoilées les images des bureaux dernière génération conçus par le cabinet Nelson : trois bâtiments de 1 200 employés. Où ne règnent ni monotonie ni oppresion. Chaque pièce se démarque des autres par une identité architecturale et fonctionnelle bien affirmée. Tout est fait pour travailler dans le confort et la… joie. Les collaborateurs travaillent autour d’un mini-golf ou se réunissent le temps d’une réunion dans un avion ou les tasses géantes style attraction Disneyland. Ce choix d’environnement atypique et décalé a force d’évangile pour de nombreux designers actuels. Il s’agit de favoriser la création et l’innovation en donnant l’occasion aux salariés de « s’évader » visuellement de l’entreprise. La flexibilité des lieux devient la doxa. Une salle de cours de sport va servir d’espace de brainstorming. Le coin cuisine devient salle de réunion ou d’accueil d’un partenaire, voire d’un client !
Les collaborateurs travaillent autour d’un mini-golf ou se réunissent le temps d’une réunion dans un avion ou les tasses géantes style attraction Disneyland.
Connecter les collaborateurs en toute circonstance
Dans les espaces partagés informels, le soft seating intègre toute la connectique nécessaire pour smartphones ou ordinateurs. L’endroit devient « intelligent » avec ses capteurs intégrés dans les sièges, ils délivrent des outils de mesure aux responsables de l’environnement de travail. Le Happy Chief sera à même d’analyser les usages, mesurer le taux et la durée d’occupation des espaces afin de les réaménager pour mieux répondre aux attentes des utilisateurs (les esprits soupçonneux y verront l’œil de Big Brother !). Nous sommes bien dans l’ère du smart office… « La technologie se fait discrète, minimaliste mais efficace. Nos données nous suivent partout dans le cloud, notre téléphone se charge en induction à même le meuble », constate Odile Duchenne, directrice déléguée de l’Ameublement français et directrice générale d’Actineo – Observatoire de la qualité de vie au bureau.
Plus près de nous, dans le quartier de La Défense, les nouveaux locaux d’Amazon Web Services (AWS) ont pris le parti du pragmatisme et du fonctionnalisme : chaque plateau et chaque espace se veut ultramodulable, interchangeable, pour correspondre au management de l’innovation du groupe. Des tableaux effaçables ornent presque toutes les parois du bâtiment… Il s’agit d’optimiser chaque recoin de ces bureaux d’un genre nouveau. Stéphan Hadinger, senior manager Solutions Architecture AWS, le dit haut et fort : « Mille nouvelles fonctions ont émergé depuis 2016 […] L’organisation et les bureaux doivent se montrer les plus agiles possible. »
Le mobilier n’est pas en reste dans cette course à l’innovation comme l’illustrent les catalogues des géants du mobilier. Des acteurs tels que Bruneau proposent par exemple des tables pliantes transformables en tableau d’écriture ou des compositions originales de canapés et banquettes… Rien n’est trop beau et fonctionnel pour placer le salarié dans les meilleures conditions de travail. Les industriels développent des sièges sans réglages ou presque (seul subsiste la hauteur d’assise), qui s’adaptent automatiquement à tous les utilisateurs et toutes les morphologies. Ne cherchez pas : on a tous lu ce genre d’utopie dans des bouquins de science-fiction. Sauf que la fiction s’est faite science.
Zoner ses bureaux pour distinguer les usages professionnels
Au-delà du choix d’un mobilier parfois loufoque et des tons bariolés chers à Google, les nouveaux bureaux invitent à une meilleure créativité parce qu’ils sont d’abord très fonctionnels. Ces locaux s’adaptent à l’agenda de chaque collaborateur. Les bureaux les plus innovants se structurent autour d’usages essentiels. « Ce ne sont plus les espaces qui définissent les méthodes de travail, ce sont désormais les méthodes de travail qui définissent les espaces », lance Odile Duchenne, déjà citée. Ce que les professionnels appellent l’activity based working (ABW). Une zone sera dédiée au travail collaboratif (coworking) dans laquelle les collaborateurs travailleront en mode projet. Il s’agira en quelque sorte de l’agora de l’entreprise qui favorisera les rencontres, les échanges, la détente.
D’autres espaces répondront à d’autres motivations : favoriser la créativité ou se dédier à l’apprentissage ou à la concentration des collaborateurs. « L’ABW encourage les salariés à s’installer dans l’espace le plus approprié pour la tâche qu’ils ont à accomplir », décrypte Odile Duchenne. Et Jean-Dominique Montandon, fondateur du cabinet de conseil en aménagement de bureaux Isotop, renchérit : « L’espace de travail est désormais considéré comme un facteur de productivité à part entière. »
L’illusion du chez soi pour mieux produire ?
L’esprit home office constitue l’autre tendance. Côté ambiance, le bois assure son grand retour. Le style scandinave, bois et couleurs pastel, formes douces et arrondies, design simple et épuré, s’est banalisé. Odile Duchenne : « L’aménagement des entreprises balance entre la maison “cocon”, tout en douceur et intimité, et la place publique, un lieu ouvert où se retrouver et se réunir, équipée de mobilier parfois issu de collections destinées aux lieux publics type musée, hôtellerie, aéroport. »
Il existe donc un vrai désir. Celui du salarié – millenial en tête – de se sentir connecté – pas seulement numériquement, mais presque affectivement – à son espace de travail. Dès lors, les professionnels de l’architecture et de l’ameublement prônent le design thinking comme méthode pour apporter du changement à l’environnement de travail : « Associer les salariés dès le début du projet à l’aménagement du nouvel espace de travail offre plusieurs avantages. En général, ils sont flattés par les démarches de co-conception puisqu’ils sont partie prenante dans les décisions », diagnostique Romain Fusaro, fondateur de l’agence Kollori.
Le tabou de la détente enfin levé ?
Parce qu’un salarié passe près de 1 500 heures par an à son poste de travail, les entreprises, dans nos économies de services, songent aujourd’hui à améliorer l’innovation en lui donnant les moyens de se sentir le plus disponible intellectuellement. Dans les années 1990, la mode était à la salle de sport intégrée aux bureaux. Aujourd’hui, de nouveaux lieux émergent. Pour se divertir, se détendre : jardins intérieurs et extérieurs, terrasses végétalisées, beauty room, bar, coffee shop… Voire salle de repos – de sommeil à base de lits superposés comme c’est déjà le cas chez Google… Bienvenue dans l’univers des start-up dont l’image se veut indissociable de ces bulles d’ailleurs.
Pragmatisme : l’acoustique avant tout
Pour créer des lieux propices à l’innovation, encore faut-il donner aux gens la manière de se concentrer. Selon l’association Journée nationale de l’audition, six millions d’actifs en poste perdent individuellement au moins 120 heures par année de travail, 30 minutes par jour, improductives en raison du bruit. La multiplication des open spaces a pour conséquence aujourd’hui de voir exploser la demande en produits acoustiques. Panneaux, luminaires, cloisons, portes, rideaux…Tout est décliné pour limiter le bruit qui émane des espaces ouverts. Du nouveau mobilier se démocratise pour calfeutrer les discussions ou autoriser un coup de téléphone sans déranger. Il peut s’agir de box, de cellules ou de bulles, cosy et conviviales, bien calfeutrées sur le plan phonique, pour s’isoler et travailler seul ou à plusieurs, assis confortablement dans un environnement calme. Quand il n’est pas question de silent room… Souvenez-vous de vos heures passées en bibliothèque universitaire à entendre voler les mouches…
Par Geoffroy Framery