L’éthique dans le secteur du conseil : une nouvelle vague à surfer

Conseil et éthique, tandem possible ?

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Par Miguel Castaneda et Jean-Pavel Rwamiye, étudiants Audencia Grande École. Dans le cadre du concours des meilleures copies de l’école de commerce nantaise, organisé par Lucie Noury.

Chaque année, les cabinets de conseil génèrent un chiffre d’affaires estimé à 8 milliards d’euros en France. Ce secteur est dominé par trois grandes sociétés, également connues sous le nom de MBB (McKinsey, Bain et BCG). Le métier de consultant donne accès à une multitude de données et d’informations qui constituent la base des recommandations fournies aux clients. Après de nombreuses années de méthodes et de pratiques inchangées, les cabinets de conseil sont maintenant confrontés à la numérisation, à l’automatisation et à d’autres tendances qui les poussent à s’adapter rapidement et à rester en avance sur leur temps. Ces changements s’accompagnent de nouvelles législations qui façonnent l’environnement des entreprises par leur impact important. Les consultants ont dû se conformer aux nouvelles règles du jeu tout en assurant une croissance constante. Nous avons rencontré Lisa Thomas, une professeure à Audencia qui a travaillé dans le secteur du conseil et a été confrontée à des cas typiques de dilemme éthique.

Des changements profonds à l’horizon, une nouvelle approche

Aujourd’hui, l’activité de conseil revêt de nouvelles dimensions. Des niches commerciales se développent, tandis que les organisations et les individus se tournent vers une pluralité de services de conseil, en quête d’efficacité et afin de s’adapter à l’évolution des environnements commerciaux.

Le changement le plus important dans ce secteur du conseil semble l’accès et la disponibilité accrus de l’information. Cette situation résulte de la grande quantité de données générées par l’utilisation des nouvelles technologies et des nouveaux modes d’interaction. En d’autres termes, plus les sociétés et les entreprises sont complexes, plus la quantité d’informations est importante, ce qui exige beaucoup de capacités de compréhension et de connaissances des pratiques éthiques de filtrage, manipulation, analyse et utilisation des données comme intrants et outils pour chaque projet.

Autre facteur très important à prendre en compte : le conseil, contrairement à de nombreuses autres professions, n’a pas d’organisme de réglementation. Bien que le sujet soit sur la table, on ne sait pas clairement qui serait chargé de le développer et selon quelles normes et quels paramètres il serait régi. La professeure Lisa Thomas mentionne que les sociétés de conseil doivent se prévaloir d’un code d’éthique solide et bien développé pour la régulation en interne. Mais comme les consultants sont confrontés à des situations perturbatrices et innovantes, il est davantage nécessaire d’adopter une conduite éthique forte, ce qui devrait figurer au premier plan du code de conduite de l’entreprise. Les codes internes devraient être transmis à grande échelle parmi les salarié·es, les parties prenantes et les clients. De quoi générer un plus grand engagement en matière de responsabilité et d’obligation de rendre des comptes de la part des consultants. En outre, l’une des pratiques les plus courantes à impact négatif potentiel sur le domaine du conseil consiste à imputer l’échec de la mise en œuvre d’un projet par le client une fois que le consultant a terminé son travail. Il est très facile de proposer de multiples améliorations, outils ou changements et de les dissocier de leur mise en œuvre. Il est donc pertinent de renforcer et de valoriser les méthodes de travail holistiques et interactives avec le client ainsi qu’en interne, pour suivre l’évolution du projet et détecter les éventuels points d’amélioration.

D’une certaine manière, la meilleure façon de s’améliorer en tant que société de conseil est de développer et de fournir des structures qui facilitent le dialogue, la reconnaissance des erreurs et l’apprentissage à partir des échecs, ce que certaines entreprises ne valorisent pas toujours.

« Il faut accepter l’échec et apprendre de ce qui ne marche pas, être assez ouvert à ce sujet… le problème, c’est que tout le monde veut se développer très rapidement dans le domaine du conseil. Le résultat, c’est qu’admettre l’échec devient préjudiciable »

Il est courant que certains consultants ne partagent pas toutes les informations, ce qui a pour effet d’allonger les délais des projets ou de facturer des services de conseil supplémentaires. Cependant, la déclaration des objectifs, le code d’éthique de l’entreprise et des valeurs fortes doivent se montrer les garants des intérêts du cabinet de conseil et de ses clients. La plupart du temps, les cabinets de conseil doivent choisir entre fournir des solutions rapides et efficaces ou retenir des informations, ce qui prolonge leur contrat. C’est un phénomène courant qui semble être la nouvelle norme. Avec parfois de lourdes conséquences susceptibles d’entraver le progrès et l’innovation et, surtout, retarder les bons résultats attendus par l’entreprise cliente.

En outre, un consultant pourrait se rapprocher d’un client au point de se plier à ses exigences. Le client peut avoir des idées préconçues dont doute le consultant. La proximité avec le client risque de lui faire perdre son objectivité. Le rôle joué par McKinsey dans la crise des opioïdes en est un bon exemple. Le cabinet de conseil a suivi entièrement la stratégie des entreprises pharmaceutiques au lieu de s’interroger sur les conséquences que de telles stratégies pouvaient engendrer.

Le pouvoir croissant des sociétés de conseil et ses conséquences

Les cabinets de conseil ont davantage d’influence sur les gouvernements et les institutions publiques. Nous avons récemment vu des hommes ou femmes politiques de premier plan devenir des conseillers, travailler avec des sociétés privées et même des gouvernements étrangers. Selon Lisa Thomas, c’est tout à fait prévisible et inévitable étant donné que les cabinets de conseil tentent d’accroître leur pouvoir de négociation en tirant profit des réseaux et du savoir-faire d’anciens politiciens ou politiciennes ou de personnes occupant des postes à responsabilité. L’exemple de François Fillon, le candidat à la présidence en disgrâce, qui a siégé dans plusieurs conseils d’administration d’entreprises, dont certaines en Russie, ou encore celui de Dominique Strauss-Khan, qui est devenu la personne à contacter pour les gouvernements désireux d’obtenir un prêt du FMI, sont emblématiques. Cette pratique est assez courante dans le monde entier, car les cabinets de conseil utilisent leurs relations et leurs réseaux dans leur pays d’origine pour les clients qui envisagent de développer leurs activités dans le domaine d’expertise de ces personnalités.

La frontière est mince entre ce qui est considéré comme légal et ce qui ne l’est pas. Dans une telle situation, ces pratiques doivent être contrôlées afin d’éviter toute violation de la loi. Les enjeux sont assez élevés compte tenu du climat politique mondial, de la guerre et des conflits géopolitiques. L’espionnage industriel est moins fréquent, mais nous avons constaté une augmentation inquiétante des cyberattaques aux conséquences dévastatrices. En tant que consultant, avoir des liens avec des organisations ou des gouvernements impliqués dans de telles pratiques contraires à l’éthique peut être considéré comme un point de non-retour. Des limites doivent être établies.

Des valeurs fortes, un sens de la dignité et de la responsabilité

La nouvelle génération de consultants est très différente de celle à laquelle le secteur était habitué. Le secteur évolue vers une plus grande conscience sociale et une plus grande transparence. Lorsque nous avons demandé à Lisa Thomas ce que doit faire un consultant confronté à une situation délicate, sa réponse fut simple : « Restez fidèles à vous-mêmes, gardez vos propres valeurs intactes et ne vous laissez pas manipuler. » Le secteur du conseil connaît une forte croissance, il subit un besoin permanent de consultants. Les sociétés ne peuvent se permettre de perdre l’un d’eux, ce qui signifie qu’elles réfléchiront toujours à deux fois avant de licencier un des membres du personnel au motif qu’il ou elle refuse de se conformer à une pratique contraire à l’éthique. Le turnover élevé dans ce domaine pousse les managers à prendre en compte les besoins de leurs employés et leurs valeurs. Un cabinet de conseil qui choisit d’ignorer ces signes est voué à l’échec. Le changement est le seul moyen viable de soutenir la croissance et d’atteindre les objectifs.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.