Les problèmes éthiques provoqués par le fossé entre les besoins des clients et les ressources des sociétés de conseil

L’environnement concurrentiel du conseil pousserait les sociétés de conseil à des pratiques non éthiques

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Par Antoine Bariol et Giliane Ferotin-Rey, étudiants Audencia Grande École. Dans le cadre du concours des meilleures copies de l’école de commerce nantaise, mis en place par la professeure Lucie Noury.

Avec la pandémie de covid-19, de nombreuses entreprises ont vécu des perturbations dans leur activité opérationnelle. Ces changements rapides ont nécessité une expertise rapide, si bien que de nombreuses entreprises ont dû faire appel à des sociétés de conseil pour relancer leur activité et revoir leur stratégie globale. Par conséquent, l’on a assisté à une augmentation de la demande de consultants. Cependant, deux cabinets de conseil sur trois disent manquer de personnel et un sur cinq est alors contraint de refuser des missions, mesure une étude menée par Source Global Research, l’institut de recherche londonien sur le conseil en management. Un effet principalement dû à une très forte recrudescence des demandes de missions de la part de clients.

L’environnement concurrentiel du conseil pousserait les sociétés de conseil à des pratiques non éthiques

L’environnement du conseil est très concurrentiel, avec un débauchage accru entre les entreprises, des consultants qui quittent le secteur de plus en plus tôt et un taux de turnover qui s’est nettement accéléré depuis 2021. Face à l’augmentation de la demande des entreprises et à un manque de personnel dans les cabinets de conseil, il n’est pas rare que les cabinets proposent aux consultants des missions qui ne correspondent pas à leur profil, à leurs compétences ni à leurs aspirations. Ce n’est pas une démarche éthique car le cabinet de conseil sait que le consultant ne dispose pas des outils ou des compétences pour réussir sa mission… Mais il le place quand même chez le client. Une attitude potentiellement préjudiciable à l’entreprise cliente car le travail fourni peut ne pas répondre aux attentes.

Pour en savoir plus sur ces pratiques, nous avons interrogé une consultante. Elle a obtenu un master en conseil d’une grande école de commerce. Elle a eu l’occasion de travailler dans de grandes entreprises telles que les Big Four, mais aussi dans de plus petits cabinets de conseil. Elle partage son expérience avec nous.

« Beaucoup d’entreprises voient les bénéfices avant tout et ne se concentrent pas assez sur les personnes. La plupart du temps, elles veulent juste obtenir un nouveau client et le conserver, et sont alors prêtes à placer les consultants qu’elles ont sous la main pour boucher un peu les trous. » Pour maximiser leurs profits, les cabinets de conseil cherchent à acquérir le plus de clients possible et à placer leurs consultants sur le plus grand nombre de missions possible. Ce type de pratique soulève une question d’éthique car l’entreprise ne tient pas compte des besoins du client : si le consultant n’a pas les compétences nécessaires à la mission, il ou elle ne possède pas les clés nécessaires pour mener à bien sa mission et satisfaire le client.

Ambivalence entre les ressources dont disposent les cabinets de conseil et les attentes de leurs clients

Le parcours académique est une bonne base car il apporte des connaissances générales, très utiles pour le monde du conseil. Pour la consultante interrogée, l’expérience d’apprentissage se résume à « 30 % à l’école et 70 % avec ce que vous pouvez voir sur le terrain et comment le tout fonctionne dans la réalité ».

Certaines missions demandent aussi de disposer de compétences techniques acquises par l’expérience dans un domaine. Il est important que les cabinets de conseil proposent aux clients de travailler avec des consultants dont les compétences correspondent à leurs attentes. La consultante que nous avons interrogée a été positionnée par son cabinet sur une mission pour laquelle elle ne pensait pas être adaptée : « On m’a placée comme une experte en Power BI, mais je n’étais pas ingénieure, ce n’était pas du tout mon secteur d’activité. » Comme nous l’avons vu, voilà qui pose la question de l’éthique du cabinet de conseil vis-à-vis de son client car la réalisation de la mission peut aboutir en deçà des attentes en raison du manque de compétences techniques.

Cependant, nous pouvons également constater un problème d’éthique de la part du cabinet de conseil envers le consultant puisque le cabinet ment sur ses compétences supposées. Des conséquences directes pour lui en résulteront.

« Mon employeur m’avait beaucoup mise en avant lors de l’entretien et par la suite, ce fut compliqué pour moi. » De quoi placer le ou la consultant·e en difficulté.

Au début de sa mission, la consultante interrogée a en effet rencontré des difficultés liées au fossé entre ses compétences et les attentes du client. « Une fois que tu arrives sur place, que ton client te demande quelque chose et que tu ne peux pas le faire parce que tu n’y connais rien et que tu dois d’abord te former, c’est difficile. » Le manque d’éthique de la part du cabinet de conseil lorsqu’il propose une personne n’ayant pas le bon profil a donc des effets négatifs non seulement pour le client mais aussi pour le consultant.

La question éthique pour un consultant d’accepter ou non une mission qu’il n’est pas en mesure de réussir

Dans cette situation, le consultant doit-il accepter la mission, même s’il ne pense pas avoir les compétences pour la réussir pleinement ?

Une situation éthique est une situation dans laquelle une décision doit être prise qui aura un impact significatif sur le bien-être d’autrui, ce qui signifie que des éléments éthiques sont présents et doivent être pris en compte. Dans ce cas, le consultant se trouve dans une situation éthique car il ou elle peut penser que les conditions ne sont pas réunies pour réussir sa mission, ce qui aura un impact sur l’activité du client.

Pour concilier les besoins des clients avec les compétences des consultants, leurs besoins en termes de développement professionnel, leurs aspirations en termes de types de missions et la contrainte économique que constitue le taux d’occupation des équipes pour un cabinet de conseil, les consultants devraient pouvoir choisir leurs missions.

Mais en pratique, ils n’ont que très rarement le choix : « On vous propose des choses en fonction de vos effectifs, de ceux des autres, de vos compétences, de vos ressources, de vos appétences, mais ensuite vous ne pouvez pas choisir. Dans la plupart des entreprises, vous n’êtes pas autorisé à donner votre avis. »

Cependant, cette consultante a déjà refusé des missions pour lesquelles elle ne se sentait pas compétente. Elle ne cache pas que cette attitude risque d’être mal vue.

Pour conclure, le fossé entre les besoins des clients et les ressources des sociétés de conseil pose des problèmes éthiques à plusieurs degrés : pour les cabinets de conseil qui proposent des ressources qui n’ont pas nécessairement les compétences pour répondre aux besoins du client et pour le consultant qui doit décider s’il accepte ou non une mission qui pourra le mettre en difficulté au point de ne pouvoir la mener à bien.

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