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Par Giambattista Alagia, Emanuele Massarelli, Daniela Tosca, étudiants Audencia Grande Ecole, dans le cadre du concours des meilleures copies étudiantes de la business school nantaise.
Le smart working, une modalité de travail qui combine télétravail et responsabilisation des personnes. Son objectif est d’offrir des conditions de travail plus agiles dans un environnement plus chaleureux afin de développer l’engagement et l’implication des collaborateurs. La pandémie a clairement accéléré cette tendance. Par rapport à 2022, Savills, entreprise de conseil en immobilier, a prévu une réduction de plus de 10 % de la demande de bureaux à Madrid, Paris et Londres d’ici à 2026.
Compte tenu de ce scénario et puisque les cabinets de conseil anticipent normalement les changements auxquels seront confrontés leurs clients plus tard, nous devrions nous demander comment cette tendance influence le secteur du conseil et si elle frappe toutes les fonctions de la même manière. Nous avons approfondi le sujet grâce à Stefano Belletti, ancien partenaire et Alberto Marcandelli, consultant associé, tous les deux d’IBM.
Une porte ouverte sur le monde
Les associés et les partenaires considèrent le smart working comme un facteur de productivité et de responsabilisation. D’après M. Belletti, le télétravail permet de travailler efficacement, plus longtemps et avec une certaine flexibilité. Le même concept a été souligné par le consultant associé, qui a déclaré : « À la maison, la technologie peut faire gagner du temps et de l’argent sans affecter la qualité de la production. » La technologie permet d’être plus efficace et réduit l’écart physique entre les gens. Pendant la pandémie, le partenaire a participé à des réunions avec des collègues du monde entier qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant. Les frontières et les barrières ont été supprimées, non seulement dans la relation entre les collègues d’un pays, mais également entre consultants du monde entier.
Le véritable atout est la nouvelle quantité de connaissances partagées, prêtes à être utilisées par différentes personnes au sein de la société. D’autre part, l’associé reconnaît que ces nouvelles relations de travail numériques représentent une occasion de tirer parti de la tendance de l’embauche à distance : « Recruter des gens à distance est un avantage social. » La vision différente sur la façon de tirer parti du fait « d’abattre les frontières » apparaît à ce stade. Tandis que le partenaire met l’accent sur la facilitation des collaborations stratégiques à travers le monde, l’associé insiste sur le fait que les principales opportunités de smart working sont davantage liées à l’échelle opérationnelle et à la possibilité d’être responsabilisé et autonome.
D’autres avantages proviennent de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ce qui est récemment apparu comme un sujet clé dans le conseil. À tous niveaux hiérarchiques, le smart working s’est avéré être très important pour soulager les tensions. Toutefois, du point de vue de M. Belletti, cette modalité doit s’appuyer sur trois éléments clés pour être efficace : l’organisation, les compétences en communication et l’autodiscipline. Pour M. Marcandelli, les compétences de gestion du temps et de hiérarchisation des tâches sont les plus essentielles. L’associé ne considère pas la communication comme un enjeu clé. En revanche, pour le partenaire, perdre les relations en face à face pourrait être dangereux, et il faut établir une nouvelle confiance dans les collaborateurs pour les rendre plus responsables.
Effets collatéraux du smart working
Le smart working a amélioré la façon dont nous travaillons, mais tout ce qui brille n’est pas or. En raison d’une augmentation de l’activité, le télétravail nécessite de la flexibilité et de l’autonomie. Cette situation risque d’accroître le stress sur le plan personnel : certaines personnes ne se sentent pas en confiance pour travailler de façon autonome ou à distance. Certains ont peur de perdre le lien avec leur équipe, comme l’a indiqué M. Belletti. C’est pourquoi il pense que la fréquence des événements d’entreprise augmentera afin de permettre aux gens de rester impliqués. Même pour les nouvelles recrues, il est difficile de se sentir engagé. « Lors de ma première semaine, j’ai uniquement travaillé en smart working, je n’ai vu mon manager que pendant les appels », explique M. Marcandelli en évoquant les premiers jours de son stage.
Dans le secteur du conseil, au-delà du lien avec les collègues et les supérieurs, la relation client est essentielle. Le partenaire et le consultant ne sont pas tout à fait d’accord sur l’impact du smart working à ce niveau-là. Pour M. Belletti, la visioconférence n’est pas la meilleure façon de proposer des solutions : « […] d’après mon expérience, les clients disent uniquement la vérité pendant les pauses-café. » Le partenaire se rappelle le moment où, suite à la blague d’un client devant la machine à café, il a réalisé que celui-ci n’avait pas vraiment compris une partie de la nouvelle proposition d’affaires présentée dans la salle de conférence quelques minutes auparavant. M. Belletti pense qu’une augmentation de la composante numérique est acceptable, mais que l’interaction physique restera fondamentale.
D’un autre côté, l’associé met l’accent sur les nouvelles occasions de réunion liées au télétravail avec le client car il permet de combler l’écart de niveau, en particulier pour un collaborateur junior, grâce à la forte diminution de la notion d’autorité dans une réunion à distance par rapport aux rencontres en personne.
Futurs scénarios
Dans la mesure où le smart working a changé certaines dynamiques de travail, la vraie grande question est de savoir comment cette tendance affecte encore le monde du conseil. M. Belletti souligne que le smart working n’a pas eu d’incidence sur la façon dont les consultants organisent leurs activités professionnelles, mais jusqu’à présent, il s’agit d’un changement opérationnel. En fait, alors que d’un côté les opérations ont déjà changé, de l’autre, le style de leadership est confronté à de nouveaux défis. Les partenaires craignent de perdre en termes d’engagement avec les membres de l’équipe, tandis que les consultants croient que les inquiétudes des partenaires sont davantage liées aux possibilités réduites de surveillance et de contrôle. Ce malentendu exprime la nécessité de développer une vision commune.
Dans ce contexte, le modèle de « gentle leadership » pourrait gagner en importance. Ce style de leadership tire parti du « gentle power » en se concentrant sur le partage de la vision et en cherchant à convaincre plutôt que d’imposer une vision, afin de créer un lien privilégié avec les collaborateurs.
L’un des exemples les plus connus pour illustrer cette connexion concerne la Première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern. Après l’attaque terroriste de 2019, elle a prononcé un discours devant la population encore sous le choc, et la première question qu’on lui a posée était : « Comment allez-vous ? » À l’avenir, d’autres questions se poseront : dans quelle mesure le smart working peut-il être adopté dans le secteur du conseil ? Un cabinet de conseil peut-il exercer ses activités sans bureaux ? M. Belletti ne semble pas convaincu par cette possibilité et souligne le besoin d’espaces physiques pour les processus d’innovation. D’un autre côté, M. Marcandelli est plus enthousiaste à l’idée de réfléchir à un cabinet de conseil entièrement à distance : les relations humaines sont cruciales, mais avec les bons outils, de nouvelles approches sont possibles.
Le télétravail est donc un sujet sur lequel on trouve du pour et du contre, tout en ayant déjà été adopté par le monde. Dans ce contexte, M. Belletti souligne que « […] la transformation du secteur se produit dans l’écosystème, et les outils virtuels n’en sont pas l’élément clé, mais seulement la modalité pour proposer un nouveau style de travail. »