Les cabinets de conseil : épargnés ou concernés face à la Grande démission ?

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Louis Romieu, étudiant à Audencia Grande Ecole

Par Louis Romieu, étudiant à Audencia Grande École, dans le cadre du concours des meilleures copies étudiantes de la business school nantaise.

La Grande démission. « Big Quit » pourrait-on dire, « Great Resignation », « Great Reshuffle » en anglais. Ou encore « Tang Ping » selon une expression chinoise que l’on peut traduire par « rester allongé ». Peu importe le nom, tout a commencé par des mouvements de grève isolés et une contestation sociale devenus une tendance économique à l’échelle internationale.

Depuis début 2021, les salariés quittent leur emploi en masse. Rien qu’aux États-Unis, plus de 47 millions de personnes ont démissionné en 2021, et la tendance ne s’est guère infléchie depuis. Parmi les raisons : un management et un environnement de travail hostiles, des possibilités d’évolutions professionnelles limitées, etc. Durant la pandémie, McKinsey a constaté que 40 % des salariés envisageaient de quitter leur emploi au cours des trois à six mois suivants. Commerce de détail, loisirs, tourisme : aucun secteur, grand ou petit, ne semble épargné.

Toutefois, en parcourant la liste des industries concernées, on constate que les services de conseil n’ont pratiquement jamais été cités. Ce secteur, dont la réputation pointe un équilibre précaire entre vie professionnelle et vie privée, des échéances très courtes et même un risque élevé de burn out, ne figurait pas dans la plupart des rapports sur un phénomène déclenché en partie par ces mêmes critères. Comment se fait-il que les sociétés de conseil soient si rarement mentionnées ? Éclairage avec Amaury de la Bouillerie, associé RSM Global, en charge de la transformation et du développement.

Un « rééquilibrage » avant tout

Quel est l’impact de la Grande démission sur les cabinets de conseil, et surtout sur leurs techniques de gestion et les tendances actuelles ? Amaury de la Bouillerie, intrigué par le sujet, a commencé à creuser. Il en a discuté avec la responsable du recrutement d’une autre société de conseil : « Pour elle, le terme ”Grande démission” était tout de même un peu exagéré. Elle n’a pas remarqué de vague massive de démissions chez les consultants, elle a constaté, et j’ai moi-même observé la même chose en France, que nous avions vécu une période pendant la covid avec très peu de démissions.

Ce n’était pas le moment de changer d’emploi, tout le monde était confiné et le temps a été suspendu dans le monde entier », a-t-il expliqué. Si, la seule raison pour laquelle les démissions semblaient remonter en flèche : celles qui avaient été retardées par la pandémie ont eu lieu alors que cette dernière prenait fin ! Amaury de la Bouillerie a qualifié ce mouvement de « rééquilibrage ». Bien loin de cette vague de consultants à bout de souffle…

De nouvelles tendances tout de même

Bien que les sociétés de conseil ne semblent pas avoir été touchées par cette « Grande démission », les consultants eux-mêmes ont été affectés par la pandémie, tout comme la plupart des autres salariés. De nouvelles tendances ont commencé à émerger chez les employés de bureau. Notre expert a remarqué que de nombreux consultants ont d’abord « pris du recul », en mettant davantage l’accent sur le sens de leur mission. La pandémie a non seulement mis en évidence la demande de meilleures conditions de travail et d’opportunités d’évolutions de carrière, mais elle a également entraîné un changement dans les aspirations et les attentes, qui ne se limitent pas au simple travail en ligne.

« Aujourd’hui, les collaborateurs demandent à ce que les cabinets respectent les sujets qui leur tiennent à cœur », explique Amaury de la Bouillerie, « à savoir l’environnement, le bien-être au sein du cabinet, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ». En effet, selon l’étude mondiale Workforce Hopes and Fears 2022 de PwC, les salariés exigent de leurs employeurs de plus en plus de transparence sur des questions comme l’impact environnemental et la diversité. En bref, une grande démission se produit « lorsque le monde change, lorsque les gens changent, mais que le cabinet ne change pas ».

Toutefois, ces nouvelles tendances se heurtent à un piège cynique : les sociétés de conseil qui vont trop loin et tentent de se plier aux exigences des consultants juniors pourraient se tirer une balle dans le pied. Pour l’associé RSM Global, le consulting doit être une question « d’héritage » : les associés forment les managers, qui forment les consultants seniors, qui forment les consultants juniors. Les compétences requises sont transmises dans un cycle de renouvellement continu. À ce titre, alors que les nouveaux consultants ont tendance à demander à travailler chez eux plus souvent, accorder ce droit à tous peut s’avérer contre-productif et briser cette chaîne précieuse. « Cela ne semble pas être un très bon moyen d’habituer la jeune génération au monde des affaires, monde où ses membres doivent développer un réseau qui les suivra tout au long de leur vie professionnelle. »

Et l’effet travail à distance ?

En supprimant le contact direct, le télétravail prive de l’une des ressources clés du consulting, qui permet d’établir une relation de confiance avec le client, de développer la cohésion d’équipe et de créer un environnement social harmonieux au travail. « Dire à quelqu’un : vous ne viendrez plus ici » équivaut à renoncer à l’un des sens donnés à l’expression « travailler en entreprise ». Par ailleurs, en ajoutant une distance physique entre eux et leurs collègues, les consultants ne faciliteront pas leur travail et pourront ressentir une pression accrue.

« Afin que les consultants ne vivent pas leurs échecs comme un traumatisme, mais comme un stimulus, ils doivent les partager et passer par le travail d’équipe, avec des associés qui les inspirent », explique Amaury de la Bouillerie. « Si l’équipe consulting est heureuse, qu’elle ne démissionne pas, c’est parce qu’elle a trouvé quelque part une inspiration entre les associés et le management, ce qui montre que les consultants prennent du plaisir à poursuivre leur activité dans ce cabinet. »

Enfin, Amaury de la Bouillerie explique comment son cabinet a réussi à s’adapter au nouveau monde et aux nouvelles recrues. « Nous avons beaucoup travaillé sur ces éléments pendant la crise afin de nous adapter à cet environnement en pleine évolution. » À la lumière de son témoignage, la Grande démission apparaît comme le symptôme d’une tendance, et non comme la tendance elle-même. Les sociétés de conseil doivent tenir compte de ces nouvelles attentes, sans sacrifier leurs ressources et leurs principales forces.

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