Comment réussir à tromper vos collaborateurs

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Shanice Nkathazo et Samuel Iuliano
Shanice Nkathazo et Samuel Iuliano

Par Shanice Nkathazo et Samuel Iuliano, étudiants Audencia Grande École. Dans le cadre du concours des meilleures copies de la business school nantaise.

Dans le secteur du conseil, pas de place pour la médiocrité. La perception normalisée du juste équilibre entre vie professionnelle et vie privée où les collaborateurs répartissent équitablement leur temps entre travail et loisirs ou désirs, est une arnaque. Tout du moins dans le conseil.

Depuis des années, le modèle appelé « up or out » a fait subir aux consultants juniors et seniors tellement de pression pour être performants qu’on raconte que des collaborateurs se sont évanouis ou ont fourni un travail de bien moins bonne qualité en raison de leur épuisement. Ces problèmes ont rendu de nombreux consultants frustrés par rapport à leur poste et au manque de sens dans leur travail. Pour atténuer ces problèmes, il semble que les cabinets de conseil aient décidé de tromper leurs collaborateurs en leur faisant croire qu’apprécier de longues heures de travail pénibles en échange de dispositifs de reconnaissance était la nouvelle tendance à suivre…

Le mirage

Il arrive que vous soyez stressé ou fatigué et que vous n’ayez pas le temps de vous reposer car vous êtes censé accomplir un gros travail pour le lendemain. Dina Garza

On a promis aux consultants que, dans ce domaine, s’ils travaillent dur et continuent à réussir des projets, une croissance (et une richesse) exponentielle les attend. Toutefois, le travail que les consultants fournissent dans le cadre des projets représente plus de 60 heures par semaine. Pendant l’entretien, Dina Garza (dont le nom a été modifié), consultante en management des chefs d’équipe chez Accenture, a mis en évidence quelques informations clés, la plus importante étant qu’elle considère que les consultants sont « censés être disponibles 24h/24 et 7j/7… [et] faire de leur travail [leur] priorité. » Ces exigences limitent drastiquement le temps personnel dont les consultants disposent. Dina poursuit et évoque son manager, plutôt sévère, agressif et « méchant », qui refuse de lui fournir un feedback positif. En conséquence, son travail dans le conseil est bien moins agréable et sa motivation diminue fortement lors des projets.

Une nouvelle vague de changement

En 2019, l’étude comparative sur la gestion de la performance de Gartner a montré que 81 % des responsables RH essaient de changer le système de gestion de la performance afin d’alléger la pression sur les collaborateurs et, en conséquence, d’atténuer quelque peu la concurrence entre eux. Puisque ce phénomène affecte l’ensemble du marché du travail, les cabinets de conseil tels que Deloitte ou Accenture ne sont pas exclus de ce processus de réorganisation. Un associé senior anonyme qui travaille chez Oliver Wyman a confirmé que la société met en place un système de feedback toutes les deux semaines et fournit des facteurs de performance à la fin de chaque projet (environ tous les 3 à 4 mois) tout en conduisant dans le même temps des évaluations annuelles.

L’évaluation annuelle traditionnelle est désuète car la fixation de périodes de 12 mois pour l’établissement et l’amélioration des objectifs ne correspond plus au fonctionnement trépidant des cabinets de conseil. Selon cette étude, l’évaluation des performances peut même être considérée comme contre-productive. Il semble que cette évaluation stresse tellement les collaborateurs que lorsqu’ils n’obtiennent pas la meilleure note, ils ont tendance à chercher davantage à se défendre et finissent par ne plus faire attention au feedback constructif qu’ils reçoivent.

Les avantages attendus

Les actions qui visent à relâcher la pression représentent l’un des sujets les plus préoccupants lorsqu’il s’agit de décider de construire un parcours professionnel dans le secteur du conseil, et l’inquiétude que suscite ce problème parmi la jeune génération est probablement la raison de ce changement. Le passage d’un système de notes à un système de reconnaissance continu tourné vers l’avenir présente des avantages. Premièrement, les managers peuvent consacrer plus de temps à analyser la performance antérieure d’un collaborateur et lui fournir un feedback utile afin qu’il améliore sa performance future. Deuxièmement, ce système bureaucratique simplifié permet aux managers de consacrer plus de temps à fournir un feedback informel et continu qui booste la détermination du collaborateur. Troisièmement, les managers auront la possibilité de différencier la rémunération des collaborateurs car leur processus de sélection n’est pas lié aux notes qui pourraient conduire à des décisions injustes.

Ces avantages favorisent un nouvel engagement chez les collaborateurs et devrait relâcher quelque peu la pression que fait peser le processus d’évaluation, tout en leur permettant de mieux gérer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de percevoir leur environnement de travail sous un jour meilleur. Pendant son entretien, Dina a déclaré qu’elle entend rester chez Accenture pendant les deux à trois prochaines années, mais la seule façon pour elle de traverser cette période est d’avoir un nouveau manager qui lui fournira un feedback positif, lui laissera du temps pour entreprendre des activités anti-stress et sera un peu plus doux au travail. Selon elle, cette restructuration ferait appel à son sens du devoir dans son travail et la motiverait pour passer de longues heures sur des projets.

La réalité

Je savais que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée n’existait pas… La semaine dernière, j’ai terminé mon travail à cinq heures du matin, la semaine d’avant, c’était en moyenne à 23 heures.

Anonyme

Comme l’a confirmé notre témoin anonyme, la réalité, c’est que même si certaines sociétés mettent en place des systèmes de reconnaissance au travail, comme des récompenses ou des semaines moins stressantes après un projet important, le secteur du conseil reste un milieu de travail stressant et intense. La situation des collaborateurs ne change pas. Pour lui, ce nouveau système de feedback et d’évaluation semble être un stratagème pour rendre le secteur plus attractif. Nous observons cela chez Accenture, où un système de récompense-reconnaissance vient d’être mis en place. Toutefois, comme l’indique Dina, les gens n’ont pas le temps d’assister aux actions de reconnaissance menées par la société, comme le cours de cuisine qu’elle a dû manquer car son manager lui a donné au dernier moment plus de travail.

En résumé, la nouvelle tendance dans le conseil en management consiste pour les cabinets à abandonner leurs anciens systèmes de gestion de la performance désuets au profit de systèmes de reconnaissance. Reconnaître et récompenser les collaborateurs pour leur travail acharné et leurs longues heures fait appel au sens du devoir et permet aux consultants de viser l’excellence tout en relâchant la pression qu’ils subissent pendant un projet. Bien qu’ils soient forcés de se surmener parfois en plongeant tête la première dans un projet et en mettant les besoins du client avant les leurs, ce nouveau système les incite à accepter de donner la priorité à leur travail afin de réaliser des projets qui méritent un feedback positif, rendant leur temps de repos entre deux projets plus agréable.

L’étude et les autres entretiens ont également permis de confirmer que les cabinets qui mettent en place ce système mais omettent de restructurer la manière dont les managers fournissent un feedback constructif, seront incapables de booster la motivation des collaborateurs, ce qui diminue ainsi la perspective plaisante pour eux d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

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