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La course de chars est perçue par nombre d’historiens comme l’ancêtre du football. À l’époque de la Rome antique, c’était cette discipline qui faisait lever les foules, et rapportait au passage pas mal de sesterces.
Quand on lui demanded’expliquer la frénésie qui entourait les courses de chars à l’époque romaine Jean-Paul Thuillier résume : « C’était LA passion populaire. » Pour le directeur du département des sciences de l’Antiquité de l’École normale supérieure (ENS), l’engouement était même comparable à celui du football d’aujourd’hui. Et déjà à l’époque, l’Empire avait flairé le bon filon. Ces événements étaient l’occasion de briller sur tout le territoire et d’accumuler toujours plus de richesses.
« Diocles, l’équivalent d’un Michel Platini ou d’un Lionel Messi »
Ce qui peut paraître le plus surprenant lorsque l’on s’intéresse au sport business de la Rome antique, c’est à quel point les mécanismes étaient similaires à ceux de l’époque contemporaine. L’Empire organisait des courses de chars entre quatre écuries : « Les Rouges, les Verts, les Blancs et les Bleus. C’était toujours ces factions-là », détaille Jean-Paul
Thuillier. Au sein même de ces équipes, les compétiteurs étaient de véritables superstars. Publius Aelius Gutta Calpurnianus, Pompeius Muscosus, Scorpianus, par exemple, ont tous marqué la discipline de courses de chars en quadrige de leur empreinte. Mais le plus connu
était surement Gaius Appuleius Diocles (104-146). En 24 ans de carrière, le cocher (conducteur de quadrige) a d’ailleurs amassé une fortune. Plus de 35 millions de sesterces.
Pour mieux comprendre ce chiffre, Jean-Paul Thuillier le remet dans le contexte de l’époque : « Pour devenir sénateur, soit l’élite de l’élite romaine, il fallait avoir une fortune de 1 million de sesterces. Autrement dit, 35 millions de sesterces pour un sportif, c’est monstrueux. On peut vraiment le comparer aux gains des footballeurs d’aujourd’hui, des pilotes automobiles et des joueurs de golf ».
Les factions et l’Empire savaient donc qu’en starisant leurs athlètes phares, ils pourraient empocher de beaux pactoles au passage. Un winwin que l’on retrouve très bien dans les moeurs actuelles. Les Romains ont donc aussi inventé le concept de produits dérivés : « Des produits où l’on voyait l’image des stars, l’image des courses de chars, le nom des vedettes. Le tout devait être vendu dans les boutiques des locaux, des clubs », explique notre historien avant de préciser : « Cela pouvait prendre la forme d’une lampe en terre cuite, où on voyait l’image des stars par exemple. Soit comme si l’on achetait un maillot floqué numéro 10 dans une boutique d’un club de foot aujourd’hui. »
Des kops de supporters et des cirques dans tout l’Empire
LE MERCATO, LE KOP DE SUPPORTERS, LES
PRODUITS DÉRIVÉS… TOUT ÉTAIT DÉJÀ
LÀ À L’ÉPOQUE DE LA ROME ANTIQUE
Évidemment, ces courses de chars prenaient place dans d’immenses arènes que l’on appelle des « cirques ». Le plus connu, celui que l’on pourrait comparer à Anfield ou à l’Estádio do Maracanã, c’était le Circus Maximus de Rome. L’enceinte pouvait d’ailleurs accueillir 150 000
visiteurs, soit presque deux fois plus que le Stade de France par exemple, et ses 80 000 places.
Et tout semble indiquer qu’elle était le plus souvent pleine à craquer. « Il y avait des places gratuites que les habitants se disputaient. Un auteur latin nous indique même que certains faisaient la queue la nuit pour les obtenir », précise Jean-Paul Thuillier. Il poursuit : « Il y avait aussi les sièges particuliers, l’équivalent des tribunes officielles. Mais sinon, c’était toute la population de Rome. Certains auteurs latins parlent même de tota Roma. » Les courses de chars avaient donc le pouvoir de fédérer toutes les strates de la société romaine.
Il n’était pas rare, dans les travées de l’arène, de croiser des parieurs bien sûr, mais aussi des groupes de supporters « fanatiques ». Ces « tifosi absolument passionnés et prêts à tous les débordements » rappellent avec limpidité ce que l’on peut observer dans nos tribunes contemporaines, à la seule différence qu’eux choisissaient leur faction de coeur avec tout leur libre arbitre, et n’étaient pas influencés par des préférences territoriales ou sociales.
Oui car, les Rouges, les Verts, les Blancs et les Bleus étaient des clubs sans attaches, non reliés à des idéaux politiques ou à un quartier de Rome précis. D’ailleurs, ces factions avaient des « succursales » dans bien d’autres endroits de l’Empire. Jean-Paul Thuillier rappelle par exemple que certaines régions de l’Espagne d’aujourd’hui étaient de véritables terres de chevaux et qu’elles organisaient des courses de chars avec ces quatre mêmes équipes dans leur propre cirque.
En France, Arles, Vienne et Lyon avaient aussi leurs propres arènes.
La course : un moyen d’émancipation
De fait, au regard de l’ampleur et de la frénésie autour de cette discipline, conduire des quadriges semble être la voie royale vers l’émancipation. Pourtant, ce n’est pas aussi simple
que cela. Comme on pourrait l’imaginer, la plupart des cochers étaient des esclaves. Ainsi, même si la répartition des recettes entre l’athlète et son équipe n’est pas détaillée dans les écrits romains, on imagine qu’une bonne partie était récupérée avant d’entrer dans la poche de la vedette. Ce n’est qu’à la fin de leur carrière, que les cochers les plus brillants arrivaient à s’affranchir de leur statut.
Avant cela, les propriétaires avaient tout le loisir de les vendre ou de les acheter à l’envi. C’est
ainsi que l’on voit apparaître les premières traces de ce qui s’apparente aujourd’hui à un mercato. Les cochers étaient baladés d’équipe en équipe. C’est le cas par exemple de Diocles – le Platini antique – qui a commencé sa carrière chez les Blancs avant de courir pendant quinze ans avec les Rouges. Malheureusement, aucune trace écrite ne permet de savoir quels étaient les montants de transfert. « Les Romains ne se posaient pas les mêmes questions que nous », sourit Jean Paul Thuillier.
Une chose est sûre, l’argent qui gravitait autour de cette discipline ne faisait pas que des heureux. « Les intellectuels hurlaient en voyant combien les cochers pouvaient gagner », précise l’historien. Déjà à Rome, le sport business – qui n’en était qu’à ses balbutiements – avait ses détracteurs. Mais force est de constater que le modèle a bien traversé les époques. Ex nihilo nihil fit*, disaient les Romains !