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Dans un monde où la parole politique semble « démonétisée », la voix des grands patrons émerge comme un souffle d’air frais… ou peut-être un coup de vent tempétueux, selon l’usage qu’ils en font.
En effet, alors que nos députés sont en pauses à rallonge, et que les chefs de parti jouent les prolongations en réfléchissant à la prochaine échéance ou promesse électorale, les PDG se mettent de plus en plus à prendre la parole. Longtemps coutumiers d’une communication strictement encadrée, voire aseptisée, les dirigeants prennent désormais le parti d’incarner davantage leurs prises de parole sur les réseaux sociaux.
Tout a commencé en 2014, plus exactement le soir du 20 octobre 2014. Ce soir-là, le destin de Christophe de Margerie, président de Total, allait être scellé au fond d’un cockpit de Falcon à Moscou. À 4 heures du matin, un tweet sera tristement relayé près de 500 millions de fois en 48 heures ! Funeste, cette notoriété posthume sera, de l’aveu de beaucoup de dirigeants, une révélation de la puissance des réseaux faisant des dirigeants d’entreprises, des acteurs de la comédie humaine à portée mondiale. Plus de 190 dirigeants du monde entier présenteront leurs condoléances via … Twitter ! Une seule notification en pleine nuit …
Cette année-là, des patrons de tous poils prennent conscience du potentiel d’expression qui s’ouvre à eux, grâce aux réseaux sociaux. Anne Méaux, présidente de l’agence de communication Image 7, avoue avoir été particulièrement sollicitée, à partir de cet accident dramatique …
Depuis, Patrick Pouyanné, Alexandre Bompard, Xavier Niel, Michel-Edouard Leclerc, etc. tentent de « fabriquer l’opinion » des consommateurs, journalistes, actionnaires, leaders d’opinion, par ces truchements. Nous sommes dans une ère où les dirigeants doivent s’afficher plus que jamais, pour promouvoir des valeurs, défendre des engagements cohérents, communiquer… C’est tout un programme !
Loin des secrets bien gardés, ces grands patrons doivent aujourd’hui faire face à un public aux yeux rivés sur leurs moindres gestes. La parole des grands patrons est, néanmoins, une arme à double tranchant. Les réseaux sociaux sont en effet devenus le tribunal populaire où l’on juge leur sincérité, ces derniers tentant parfois de se justifier comme un enfant pris la main dans le pot de bonbons. La dictature du temps réel rend impérative la nécessité de répondre aux attentes d’un public impatient. L’opinion est un ogre insatiable.
Une maladresse, un tweet mal interprété, et hop, les affectations sont désavouées, entrainant parfois des polémiques plus grandes que le sujet qui les motive. Entre communication positive et mise en scène savamment orchestrée, les patrons doivent naviguer avec prudence sur cette mer agitée de l’opinion. Les réseaux peuvent ruiner une réputation en une seconde. Arnaud Lagardère et bien d’autres en ont payé le prix …
Alors, la parole des grands patrons doit-elle alimenter la comédie humaine ? Suspense, émotion, embellie mais parfois drame… En tout cas, une chose est sûre : dans le monde des affaires, chaque mot compte, et chaque patron devient, sans le vouloir vraiment, un protagoniste sur la scène médiatique mondiale.
La juriste Susan Cain, dans son livre Quiet – traduit La Force des discrets (éd. JC Lattès) –, fait un éloge des dirigeants discrets. Selon elle, la crise financière a fait sortir de l’ombre des dirigeants réservés, beaucoup moins touchés que les stars préoccupées par leur réputation. Des dirigeants plus modestes et souvent plus clairvoyants, selon elle. Depuis, des analyses économiques aux USA ont montré que ces derniers affichaient des résultats comparables aux plus visibles des patrons américains !
À méditer…
































