Phobie administrative : ce qu’en dit un psy

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Un fait : la « phobie administrative » n’est pas reconnue dans la classification internationale des troubles psychiatriques. Pourtant, les psychiatres la prennent au sérieux : il s’agit d’une réalité vécue par certains, mais qui relève – ou pas – de pathologies différenciées.

Du courrier qui s’entasse, jamais ouvert, des démarches administratives sans cesse reportées, une demande de remboursement jamais finalisée : autant de signes possibles d’une phobie administrative. Qu’est-ce ?

D’abord, l’expression : « phobie administrative » a été popularisé en 2014 avec l’affaire Thomas Thévenoud, ce ministre français météore qui l’a plaidée pour justifier ses loyers impayés et la non-déclaration de ses revenus en 2012. Or aucune classification internationale des troubles mentaux ne la recense. Le négligent s’est-il dit plus « atteint » qu’il ne pouvait l’être ? Le fraudeur moins innocent qu’un phobique pourrait l’être ? Remontons aux définitions.

Pathologies différenciées

Une phobie se caractérise « par une angoisse démesurée qui envahit le sujet, lequel a conscience du caractère irrationnel de sa peur mais n’arrive pas à la contrôler. Il s’organise alors pour éviter les situations qui déclenchent sa peur », décrit le Dr Gérard Macqueron, psychiatre libéral à Paris, auteur de Psychologie de la solitude et Coauteur du Guide de psychologie de la vie quotidienne chez Odile Jacob.

En pratique, dans le cas d’une phobie administrative ? « Plus la personne reporte l’échéance, plus sa situation devient angoissante et moins elle se sent capable de l’affronter, car à ses craintes imaginaires initiales s’ajoutent les conséquences réelles de son attitude d’évitement », creuse le psychiatre. Qui souligne le sentiment de honte associé au phénomène, lequel empêche, bien souvent, de solliciter de l’aide.

En réalité, évoquer une « phobie administrative », c’est se retrancher derrière des attitudes variées face à des réalités hétérogènes : difficulté à s’organiser et à planifier, peur de ne pas accomplir correctement ce qui est demandé, manque d’autodiscipline, difficulté à se soumettre à une autorité, incapacité à assumer ses responsabilités, rechigner à exécuter des tâches ennuyeuses, manque de concentration, trouble de l’attention ou encore un profond… apragmatisme. Il s’agit donc d’un symptôme de pathologies multiples et pas forcément liées à une même cause.

Jouir de sa désobéissance civique

La phobie administrative touche par exemple des personnes « perfectionnistes, scrupuleuses » qui « ont tendance à procrastiner [remettre au lendemain] » : « Elles connaissent les enjeux, savent ce qu’elles doivent faire mais n’y arrivent pas, persuadées qu’elles ne pourront pas réussir correctement, parfaitement », indique le Dr Macqueron. « Parfois, ces gens ouvrent leur courrier et vérifient sans cesse ce qui est demandé pour être certain/es d’avoir bien compris. Ou relisent et relisent ce qu’ils/elles ont écrit par peur d’avoir mal compris l’intitulé de la lettre ou d’avoir commis une erreur irréparable. Ils/elles culpabilisent d’agir ainsi et s’angoissent des conséquences de leurs actes qu’ils/elles perçoivent comme inadaptés et préjudiciables. » Premier cas.

Dans un second cas, la phobie administrative reflète plutôt d’une « mauvaise foi évidente, sous-tendue par un comportement psychopathique », relève le médecin. Il s’agit alors d’une attitude consciente, exempte de culpabilité, susceptible même de procurer à son auteur/e « un plaisir et une fierté à voler l’État ou la société ». Le psychiatre parle même d’« un sentiment de puissance et de pouvoir sur la société » et une tendance à la victimisation face à la « machine administrative ». On en reconnaît déjà quelques-uns/es…

Dépression et schizophrénie…

Mais le descriptif clinique n’est pas clos : la phobie administrative pourrait aussi relever d’une pathologie psychiatrique sévère comme la dépression, quand « le détachement, le manque d’entrain, le sentiment d’impuissance conduisent à négliger entre autres les démarches administratives ». Et pourquoi pas relever d’une « démence dans laquelle le patient irresponsable ne sait plus gérer ses comptes » ou de la schizophrénie « au cours de laquelle les éléments délirants et l’apragmatisme conduisent souvent à l’isolement et à l’incapacité de répondre aux demandes administratives dont l’utilité même échappe au patient », liste le Dr Macqueron côté extrême.

On l’a compris : selon le diagnostic posé, la sortie (la guérison ?) de cette phobie ne relève pas des mêmes « traitements ». Dans le cas de la pathologie psychiatrique, c’est bien évidemment par le soin, avec parfois une mise sous curatelle, que le/la patient/e s’en sortira. Dans le cas d’une mauvaise foi, l’ordonnance du Dr Macqueron échappe aux protocoles médicaux : « Le rappel à la loi et les sanctions qui en découlent restent le meilleur outil thérapeutique. »

Et si la cause initiale relevait des administrations courtelinesques ?

Mais, et les autres ? Avec une aide psychologique parfois nécessaire, ils/elles connaissent le remède : « Traiter au fur et à mesure » les papiers administratifs et consacrer un temps hebdomadaire à ces tâches, fussent-elles rébarbatives ou irritantes, avec un objectif précis et accessible. Pourquoi ne pas « rendre le tri et les démarches administratives plus attractives : écouter en même temps de la musique, se récompenser après avoir atteint l’objectif ou se faire aider par un ami », préconise le psychiatre. Peut-on ajouter une supplique ? François Hollande parla, un temps, de « choc de simplification ». Il ne faisait pas allusion aux « victimes » de la paperasse, mais aux tracassins et aux administrations capables de « pondre » des formulaires et des processus, en ligne ou par courrier, à même de rendre fous les moins phobiques des Français/es. Depuis, ce facteur causal initial ne s’est pas véritablement dissous dans le « choc ». Il faudra que les psychiatres dépeignent cet autre syndrome qui veut que des gratte-papier à la Courteline s’ingénient à compliquer ce qui pourrait relever du simplissime…

Elsa Bellanger

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