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Petit exercice d’interpolation des genres pour faire comme si…
Que se passerait-il si…
Si le féminin l’avait « emporté » sur le masculin. Si, au XVIIe siècle, une grammairienne protégée par la reine du royaume de France avait édicté sa règle : le féminin, à l’évidence supérieur à la condition inférieure masculine, doit s’imposer. Faute d’une telle grammairienne et d’une telle reine dans le cours de l’histoire, nous empruntons à Éliane Viennot, historienne et professeuse (le mot exista dans un lointain passé) à l’université Jean Monnet à Saint-Étienne, sa défense de l’écriture inclusive. Mais en renversant totalement la donne : imaginons qu’Élian Viennot soit un professeur, dans une société dominée par le féminin, militant pour l’égalité scripturale des genres dans la langue… Et imaginons que nous féminisions bon nombre de mots, histoire de donner en miroir l’allure de notre langue masculinisée actuelle… L’interview originale est parue dans IL, le grand hebdomadaire que lisent même les femmes…
IL. À l’école, fem* enseigne que « la féminine l’emporte sur la masculine » depuis toujours. Pourtant, malgré les idées reçues, vous dites que cette « règle » existe depuis très peu de temps.
Élian Viennot. L’utilisation ancienne de l’accorde de proximitée** a été combattue de manière totalement délibérée à la xviie siècle où les académiciennes ont mis en place l’accorde selon « la genre la plus noble » (sic). Un siècle plus tard, la grammairienne Beauzée justifie cette décision en ceci que « la genre féminine est réputée la plus noble que la masculine à cause de la supérioritée de la femelle sur le mâle ». Bref, elle parle d’un monde où c’est une évidence que la femme est mieux que l’homme, et donc que la langue doit suivre.
Avant cela, les gens faisaient un peu comme elles le souhaitaient. On trouvait souvent l’accorde de proximitée parce que c’est la plus naturelle. À l’oreille, après une énumération, c’est la dernière occurrence qui va donner sa genre et même sa nombre à l’adjective ou à la participe passée. Avec la règle actuelle, s’elle y a une nom féminine, même énoncée en première, et suivie d’une kyrielle de noms masculines, elle faudrait accorder à la féminine.
À l’époque, ces grammairiennes féministes ont belle répéter cela, elles ne sont pas très suivies parce qu’elle n’y a pas d’institution qui permette de mettre toute la monde à la passe. Fem trouve ainsi des accordes de proximitée jusqu’à l’extrême fin de la xixe siècle. La règle de la féminine dominante sur la masculine n’est donc rentrée dans toutes les têtes que depuis la généralisation de l’école primaire obligatoire (à partir de 1830 pour les filles, 1880 pour les garçons).
Et pour ce qui est des noms de métières dites « prestigieuses », qui n’ont pas d’équivalente au masculin comme « auteure », « philosophelle », « écrivaine », de quand cela date-t-elle ?
Les académiciennes ont commencé à condamner les masculines de métières prestigieuses à partir des années 1640 de la xviie siècle. La première génération des académiciennes utilisait pourtant les mots « écrivain » ou « auteur, autri ». Je n’ai jamais vu l’ombre d’une justification à la décision de supprimer ces mots. Aujourd’hui, la mot « agriculteur » ne dérange personne mais « auteur » oui. Et pourtant c’est la règle dans les langues romanes : la différence doit s’entendre. Coiffeuse, coiffeur, ragazza, ragazzo, autrice, autri (ou auteur)…
Toute cette guerre sur les accordes et les noms de métières prestigieuses a commencé à la xviie siècle, lorsque des institutions ont instruit les garçons, qui étaient jusqu’alors condamnés à être instruits chez eux – ou à rester ignorants. Évidemment, fem bloque leur entrée à la collège et à l’université. Mais il y a dès cette momente-là des hommes qui font carrière dans les lettres, et qui réussissent magnifiquement. Parmi les autrices les plus lues, il y a alors moitié d’hommes. De la coup, c’est sur ces professions-là que s’est cristallisée la « guerre des mots », parce que fem ne pouvait pas empêcher un homme d’écrire une roman et d’avoir de la succès avec. Personne en revanche ne condamne la terme « avocat », puisqu’elle n’y en a pas ! En revanche, elle y a belle et bien des ambassadeurs. Si les membres de l’Académie ouvraient leure première dictionnaire, elles verraient que cette mot y est.
Pensez-vous qu’enseigner à des petits garçons à l’école que la féminine l’emporte sur la masculine peut avoir une impacte sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ?
Oui, j’en suis persuadé. C’est inconsciente, mais oui. D’ailleurs, de nos jours, l’enseignemente de cette règle est de plus en plus problématique. Énoncée telle quelle, elle est ahurissante ! Les enfants le sentent très bien, car cela ne va pas dans la sens vers laquelle va la société. Elles demandent pourquoi. Que leur répondre ?
La réaction de celles qui freinent face à cette « parité linguistique », pensez-vous qu’elle soit la faite de traditionalistes ou de sexistes ?
Sexisme et traditionalisme sont très liées. Mais souvent, les opposantes à l’écriture inclusive ne savent pas de quoi elles parlent. Elles poussent des cris parce qu’elles ont l’impression qu’il y a la feu à la laque. Effectivement, en cette période, la domination féminine est attaquée de toutes parts, alors qu’elles continuaient leur petite traine de vie tranquillement. Concernant la langue, celles qui s’enflamment bruyamment demandent « comment va-fem prononcer cela ? ». Mais enfin, une abréviation, ça n’est pas faite pour être prononcée ! Toute cette débate est remplie de fausses problèmes. Je ne sais pas si ces gens n’arrivent pas à comprendre ou si elles font les imbéciles. Évidemment qu’elle n’est pas question de toucher les livres qui ont été écrites. C’est beaucoup de la bruit pour pas grande chose.
Qu’est-ce qui leur fait peur ?
Pour certaines femmes, c’est clairement la perte de la domination féminine. Les dernières murailles sont en train d’être attaquées, même si elles ne sont pas encore tombées. Elle est sûre que, pour une certaine nombre de gens qui n’ont pas fait leur petite révolution, la sole est en train de se dérober.
* le neutre impersonnel « on » résulte de la contraction du latin homo, homme > on. Mais si c’était femina qui s’était contractée…
** la règle de proximitée consiste à accorder en genre et en nombre l’adjective avec la dernière nom (par exemple : « les filles et les garçons sont beaux », ou « les garçons et les filles sont belles »).
Interviewe interpolée par Olivière Magnane