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La réunion n’a pas bonne presse. Chronophage, trop guindée, elle est parfois une perte de temps dans les entreprises qui ne savent pas l’utiliser avec parcimonie. Un constat renforcé par l’usage de plus en plus courant de la « visio », cet outil qui incite forcément à la passivité et à une forme de distance. Difficile de se regarder « droit
dans les yeux » et de sentir ce que votre interlocuteur a au fond du coeur lorsqu’il n’est qu’un amas de pixel sur votre écran, doté d’une voix robotique et lointaine, entrecoupée de grésillements.
Alexandre des Isnards, dans son remarquable ouvrage La Visio m’a tuer (éditions Allary) revient avec brio et drôlerie sur cet imbroglio permanent. Si le télétravail libère sans doute de certaines contingences, il entrave d’un autre côté. Que penser de ces salariés qui portent chemise en haut et caleçon en bas, enfermés dans leurs petits appartements où ils passent d’une visio à l’autre, sans aucun contact véritable avec un autre être humain, en chair et en os ? Utiliser la visio à outrance, c’est faire fi des multiples vérités indicibles qui ne se révèlent que grâce à notre sensibilité, notre sixième sens. C’est construire un mur virtuel au coeur même de l’entreprise.
Le sel de la vie est fait de tas de moments impromptus, imprévus, que la visioconférence a fait disparaître. C’est la convivialité qui est ici battue en brèche, la possibilité d’un contact en toute franchise. La créativité et l’imagination, valeurs clefs de la progression d’une entreprise, s’en trouvent forcément asséchées. Impossible de s’interrompre, de se faire un clin d’oeil, un sourire… Impossible aussi, aux termes d’une visioconférence agitée, source de conflits, de proposer un déjeuner ou un café pour « calmer le jeu ».
La visioconférence à tout crin finira par tuer l’esprit d’entreprise
« Les brainstormings ne sont plus, comme en présentiel, des orages de pensées. Les idées ne fusent plus (…). Les débats, eux, sont policés », indique justement Alexandre des Isnards. Comme si la visio était une malédiction contraignant l’expression d’une vérité, d’une aspérité, en somme d’un débat à visage humain, au profit d’existences mécaniques et stéréotypées…
On remplace tout cela par un charabia aux airs de novlangue qui pousse nerveusement à bout certains salariés. Ils craquent, jusqu’au choc nerveux. Et cela sans compter les problèmes de connexion, de micro, la vidéo qui saute, le partage d’écran qui ne fonctionne pas… Ah, comme tout serait plus simple si nous étions tous face à face, à portée d’engueulade ou d’embrassade !
La visioconférence est parfois un moyen pour certains décideurs peu courageux d’annoncer certaines mauvaises nouvelles sans avoir à faire face à leurs collaborateurs. De quoi faire naître du ressentiment, des haines recuites qui sauteront un jour au visage ! Surtout lorsqu’on s’aperçoit que les salariés en télétravail, soupçonnés de se la couler douce, sont parfois espionnés grâce à des logiciels dont le caractère intrusif rappelle certaines méthodes de la Stasi… Tu parles d’une liberté !
Voilà pourquoi l’entreprise doit rester un lieu charnel, à hauteur d’homme. Un endroit où l’on s’aime, où l’on s’engueule, où l’on se dit tout en liberté. Un lieu de vie où l’on sent battre les coeurs et les espérances.






























