Le minimalisme comme art de vivre

Le minimalisme ne signifie pas austérité.
Le minimalisme ne signifie pas austérité.

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Du bien-avoir au bien-être

Courir après le bonheur et perdre sa vie à vouloir la gagner ? Certains disent non merci si bien qu’on assiste en Occident à un retour à la sobriété dans les modes de vie. Le minimalisme dénonce les pratiques qui réduisent l’être à l’avoir et condamne au malheur. Mais sans faire de bruit…

«On nous fait croire / Que le bonheur c’est d’avoir / De l’avoir plein nos armoires / Dérision de nous dérisoires », chante Alain Souchon dans Foule sentimentale. Loisir de masse et société de consommation ont réussi à nous faire accroire que le bonheur consistait à avoir. Or, le minimalisme prône un mode de vie simple où l’être reprend le dessus sur l’avoir. « La simplicité n’a rien de nouveau et n’est pas extraordinaire. Des hommes ont toujours existé qui préféraient la sérénité à l’agitation, la vie simple et sans excès au luxe et au mouvement permanent », indique Dominique Loreau, auteur qui s’est établie depuis plus de trente ans au Japon.

Actuels pleonexia et hybris

« Μηδὲν ἄγαν » (Mêden agan), telle est l’inscription que les Grecs lisaient sur le fronton du temple de Delphes. Cet adage grec signifie « Rien de trop » et représente la maxime cardinale de la sagesse grecque. La pleonexia et l’hybris ne datent pas d’hier. La première désigne le fait d’ambitionner plus que sa part et d’en vouloir toujours plus. Le second, honni par les Grecs, signifie excès, intempérance et démesure.

Après les révolutions industrielles, pleonexia et hybris semble s’être mariés, surtout pour le pire. En réduisant le bien-être au bien-avoir, l’homme moderne se damne et se dispose malgré lui au malheur. « L’individu moderne se définit par l’avoir. Pour beaucoup de gens, avoir moins signifie inconsciemment “exister moins”. Personne ne souhaite exister moins ! Or, il ne s’agit pas d’exister moins, mais d’exister autrement », explique Laure Waridel, sociologue, conseillère stratégique au Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable (CIRODD) de Montréal. Pourquoi courir après le bonheur ? De peur qu’il ne se sauve ? Exister autrement revient à prendre son temps, à tenter de vivre au présent en n’étant pas poussé au devant de soi par la quête effrénée des choses qui nous manquent. Le minimaliste fait la différence entre les besoins et les désirs vains, et ne veut pas être aliéné aux seconds. Evidemment, le minimaliste défend le Buy Nothing Day et abhorre le Black Friday. L’homme ne vit pas au temps présent, mais sera enfin heureux quand il possédera l’objet convoité, puis tel autre, puis tel autre, à l’infini. Le désir de possession est sans fin et le bonheur sans cesse repoussé à demain, si bien qu’il n’existe jamais. « Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais », soutenait Pascal dans les Pensées (Laf. 47).

Le minimalisme comme éthique et discipline

« Le minimalisme est une mode qui provient surtout des Etats-Unis et du Japon, tandis que la simplicité est un mode de vie ; le minimalisme est artificiel et creux, alors que la simplicité correspond à un art de vivre qui implique la personne toute entière », explique Dominique Loreau, auteur de L’art de la simplicité (Robert Laffont, 2005). Plutôt que d’avoir une année à cent à l’heure, sans répit ni repos à faire souvent des tâches ingrates pour s’octroyer deux semaines de « vacances de rêve » dans des lieux luxueux, le minimaliste préfère avoir une vie plus simple animée d’un tempo plus lent, mais faire tous les jours des choses qu’il apprécie faire avec des gens qu’il aime. « Le minimalisme est un moyen de tenir en équilibre en évitant la spirale du consumérisme et du manque de temps », défend Laure Waridel.

« La simplicité correspond à une façon de vivre en se battant contre les désirs de posséder, de se montrer et de briller », ajoute Dominique Loreau, auteur de L’art de l’essentiel (J’ai lu, 2009). Le minimalisme implique une certaine conception du monde et de l’humaine condition. « Je propose une vie basse et sans lustre, c’est tout un », conseille déjà Montaigne dans les Essais (III, 2, « Du repentir »). S’il se contente de plaisirs simples, le minimaliste n’est pas pour autant austère. « La simplicité ce n’est ni être strict, stoïque ou ascétique. L’essentiel est de trouver un juste milieu entre le trop-plein et le défaut », précise Dominique Loreau, auteur de L’infiniment peu (J’ai lu, 2012). La tempérance ou la mesure sont les vertus qui permettent de tenir en équilibre et qui autorisent l’existence du bonheur au présent. « On ne se sacrifie pas en vivant de façon simple ayant conscience de tout le bonheur généré et des malheurs évités », ajoute Laure Waridel.

La simplicité, forme d’action politique

« Le minimalisme est l’aboutissement d’une réflexion profonde sur la vie et le sens d’exister. Il tient compte de l’empreinte écologique et de l’impact social de chacun de nos choix », assure Laure Waridel, pionnière du commerce équitable au Canada, auteur de Acheter, c’est voter (Editions Ecosociété, 2005). Avoir, faire et être apparaissent comme les caractéristiques fondamentales de l’humanité. Depuis plus d’un demi-siècle, le faire et l’être sont réduits à l’avoir, décidé par avance par le marché et les cabinets de tendance. « On nous inflige des désirs qui nous affligent », continue Alain Souchon en 1993. « Pour consommer toujours plus, des personnes s’»auto-subissent» par l’endettement », explique Laure Waridel. Le réflexe est rarement de travailler moins pour dégager du temps et devenir oisif, vivre «sans lustre». Souvent, on travaille plus et on vit à crédit pour continuer à mener grand train.

Dans un contexte de surconsommation, la fin de l’action et du travail est réduite à l’acte d’acquisition. Les populations semblent de plus en plus conscientes des risques humains et écologiques de la consommation de masse. Une évolution culturelle semble quelque peu enclenchée. Toutefois, les habitudes de vie ne changent pas dans les faits. Et Laure Waridel de rappeler le proverbe québécois : « Les bottines ne suivent pas toujours les babines. » Tout le mode de production et de consommation est à repenser si l’homme veut se montrer plus respectueux de l’homme comme de la nature. « Pour motiver un changement dans les pratiques de consommation et éduquer les citoyens, il faut internaliser les coûts environnementaux et sociaux dans le prix de ce que l’on achète. La mise en place de taxe carbone pour réduire l’empreinte carbone est un exemple d’éco-fiscalité qui a un impact », défend Laure Waridel, cofondatrice, porte-parole et ancienne présidente d’Équiterre, ONG écologiste québécoise. Pour qu’un changement de paradigme et de pratiques s’opère réellement, les citoyens et les décideurs doivent faire pression sur les entreprises, puisque l’industrie n’est pas d’abord à l’écoute des citoyens. « Le minimalisme est une manière de s’impliquer politiquement dans sa vie individuelle, rappelle Laure Waridel, car les modes de production et de consommation dominants polluent, déshumanisent et gâchent des vies. »

« Comme on nous parle… »

Joseph Capet

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