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« Ce qu’il y a de plus réel pour moi, ce sont les illusions que je crée avec ma peinture. Le reste est un sable mouvant » · Eugène Delacroix, Journal.
Rencontre avec Cyb, belle figure de notre peinture contemporaine qui perpétue dans un style tout à elle (baroque abstrait) la tradition des peintres de Montparnasse. Artiste accomplie, cette amoureuse des correspondances s’intéresse également à la philosophie et à la musique.
Parler d’un tableau n’est pas une chose facile. Nous pourrions même dire que cela ne sert à rien, sinon à meubler les discussions de convenance lors des vernissages. L’art est un peu comme l’amour ; plus on en parle, moins on le fait. À moins d’être artiste soi-même, l’exercice paraît vain et il faudrait probablement s’en tenir à la contemplation. Appliquer ce précepte chinois : « Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi. »
Devant la beauté, le silence s’impose seul. Voilà pourquoi nous fûmes étonnés de découvrir, dans les travées du Sélect, une série de toiles étonnantes, charmants îlots perdus dans le flot des conversations bruyantes, forcément bruyantes. Au cœur de la fascinante brasserie de Montparnasse, coquet refuge des artistes, de Modigliani à Cocteau en passant par Rilke ou Satie, ces tableaux symbolisaient la continuité. Le lieu continuait, persévérait, voilà le mot juste, dans sa raison d’être. Et célébrait par là son centenaire.
Recherche de l’archaïque
Puisqu’il est si vain de parler des œuvres, tentons d’approcher la peintre. Elle s’appelle Cyb. Presque comme une nymphe. Chevelure d’argent, élégance impeccable du feu qui lentement perce la glace. Une présence intense, certes, mâtinée d’un zeste d’absence, d’ailleurs. On ne tire jamais totalement une artiste hors de son atelier et il faudrait toujours avoir des scrupules lorsqu’on la force à venir dans le monde des conversations.
Sa peinture témoigne souvent de paysages qu’elle aime. La Nouvelle-Calédonie, Carthage, Venise, le Stromboli. Peintre de l’incandescence, elle aime les mouvements, les surgissements. Son travail emprunte à certains idéaux de la philosophie, la recherche de l’archaïque est son principe. Ce mot venu du grec évoque l’acte fondateur, premier, originel. Celui dont découlent tous les autres. L’enfance et ses stigmates ne sont pas loin. D’autres emprunteraient les chemins balisés de la psychanalyse pour s’en approcher. Elle préfère agripper les falaises – souvent raides – de la peinture.
Dans son atelier de la Rive-Gauche – où nous n’accéderons pas, désireux de préserver les mystères – elle s’enferme pour de longues plages de silences, lesquelles souvent prennent le caractère d’une espèce de transe, condition sine qua non de la création. S’il fallait la rapprocher d’un autre peintre, il faudrait opter sans doute pour Kandinsky.
Amoureuse de l’Arménie
« Une peinture est comme une existence en raccourci, en concentré. L’achèvement du tableau est comme sa mort : enfin l’ensemble prend sens. Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change. L’ensemble des éléments fait sens », déclare l’artiste.
Et de poursuivre : « La position du peintre est double, ceci est passionnant, instructif, étonnant. À la fois je suis l’existant, qui prend des décisions, des directions, des couleurs, sans savoir à l’avance quel en sera le sens au final. Et pourtant à chaque décision je vise un sens, j’ai une intention, précise : ce petit morceau jaune doit nettement se détacher de ce rouge et de ce bleu, sans que rien ne déborde, ne soit flou, cela est vital. Peindre se passe en une succession de détails importants, d’équilibre, de contrastes à conquérir, sans que jamais je ne sache quel sens aura dans l’ensemble du tableau à l’avenir, ce soin particulier que j’ai apporté à cet équilibre, à ce contraste. »
L’Arménie est son jardin secret, terre des mythes aujourd’hui fracassée par une guerre qui n’intéresse pas les médias. Elle cite Saint Augustin : « Chanter, c’est prier deux fois. » Peindre, c’est répéter encore cette opération mathématique, peut-être la multiplier. Faut-il seulement le dire ? Elle croit.
Héroïne du baroque abstrait, Cyb s’intéresse aux icônes, touche au thème de l’adoration. « J’écoute souvent Bach quand je peins », confie-t-elle, sans que cela nous surprenne. Artiste qui dompte si bien le rouge et ses métamorphoses, elle aimerait, à la manière d’un Chagall, peindre le plafond d’un opéra. Nous en rêvons avec elle.