Musée Jacquemart-André
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« C’est le paradoxe des hommes de la Renaissance que d’être à la fois coureurs et croyants, amateurs de parties fines et de messes somptueuses, célébrant le vice d’un satyre et représentant le jour même une Vierge en grâce. En somme, cyniques et obéissants, grandioses et grotesques, libres et respectueux. » – Clélia Renucci, Concours pour le Paradis (Albin Michel).

Le célèbre musée du boulevard Haussmann s’offre une réouverture magistrale avec une exposition événement sur la galerie Borghèse.

« Seule Rome est digne de Paris et seule Paris est digne de Rome. » Les deux plus belles capitales du monde sont ainsi unies par un jumelage exclusif, comme une sorte de mariage éternel. Le musée Jacquemart-André, après une fermeture de quatorze mois pour restauration, ouvre de nouveaux ses portes depuis le 6 septembre. Par un hasard bienheureux, cette réouverture coïncidait avec les nécessaires travaux de la Villa Borghèse, joyau de la Cité éternelle, nichée entre des ribambelles de pins sur la colline du Pincio.

La flamboyante collection d’un cardinal

Résidence historique de la famille éponyme, les Borghèse ne vendirent la villa et son musée à l’État italien qu’en 1902. L’ombre du sulfureux cardinal Scipion Borghèse (1577–1633), neveu du pape Paul V (1550–1621), y plane encore un peu. Ce cardinal décidément très italien avait sa propre lecture des Saintes Écritures. Loin du vœu de pauvreté, il accumula une colossale fortune et abandonnait volontiers la chasteté, surtout à la vue des jeunes hommes. Amoureux des arts, il fut l’un des grands financiers de la Renaissance. Heureux temps où les riches avaient du goût.

« Garçon à la corbeille de fruits », (vers 1593) de Caravage. (Domaine public)

Raphaël, Titien, Botticelli, Véronèse, Caravage, Rubens… Tous ces trésors quittent ainsi leur résidence romaine pour prendre leurs quartiers parisiens. Il faudrait citer vingt tableaux, nous n’en citerons qu’un seul : Le garçon à la corbeille de fruits. Chef d’œuvre de jeunesse du Caravage, la figure pulpeuse, voluptueuse, affriolante de ce jeune homme efféminé incarnait à merveille le « vice italien. » Le trésor montre bien l’amour éperdu de la beauté qu’on entretient charnellement de l’autre côté des Alpes.

Un musée aux airs d’écrin

Revenons-en au musée Jacquemart-André, au-delà de ses vacances romaines, même si le musée parisien compte dans ses collections permanentes d’impressionnantes œuvres de la Renaissance italienne, vénitienne principalement. Cet éblouissant hôtel particulier administré par l’Institut de France constitue un immanquable repère de la beauté. Édouard André et son épouse Nélie Jacquemart, couple d’esthètes comme seul le Paris haussmannien pouvait en fabriquer, n’eurent jamais d’enfants. Sinon leurs œuvres…

L’Illustration consacre un article à l’inauguration de l’hôtel particulier, en 1876 : « Il est impossible de trouver un plus admirable cadre. Il y avait là toutes les célébrités de la mode et de l’élégance […] Elles brillaient toutes d’un même éclat. […] Rien ne manquait d’ailleurs pour faire du bal de M. André une de ces fêtes à sensation, dont les magnificences font époque. Les murs des deux pièces d’entrée, le vestiaire et le vestibule disparaissaient sous une tenture odorante de violettes et de camélias. Les dorures du double salon de danse ruisselaient, étincelantes sous les feux de mille bougies. »

Le legs d’un couple d’exception

La mort de Nélie, en 1913, transforme les lieux en musée. Cette dernière avait tout prévu, comme en témoigne cette notice : « Dotée d’un grand sens pratique, Nélie Jacquemart a pensé à tous les détails, allant jusqu’à stipuler dans son testament les conditions d’ouverture du musée et l’endroit précis de chaque œuvre. Elle demande à l’Institut de France, son légataire, de respecter ses aménagements. » Une émouvante photographie montre le président de la République Raymond Poincaré visitant les lieux à l’ouverture en 1913, un an avant la guerre. Derniers battements d’ailes de la Belle Époque…

Rien n’a tellement changé depuis. Sûrement pas l’incroyable escalier, léger et svelte, conduisant le visiteur dans des jeux de miroirs fabuleux. Citons aussi le jardin d’hiver (peut-être le plus beau du monde) qui semble figé dans l’éternité du Second Empire, avec ses palmiers et son buste de Richelieu. Ne manquons pas enfin la visite du Nélie, brave salon de thé abrité en ces lieux. L’atmosphère proustienne n’y est troublée que par l’usage intempestif de mots américains idiots : « afterwork ; tea time ; brunch. » Après tant de beautés, triste retour aux banalités crispantes de notre temps !

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