Pour réussir la bataille de l’hydrogène vert

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C’est le numéro atomique 1, son symbole est H et c’est la grande affaire de la transition énergétique, le grand vecteur pour décarboner l’industrie : l’hydrogène. Elle constitue la plus grande part du Soleil et des étoiles, l’élément chimique le plus répandu de la planète. Les États en capacité de s’en prévaloir injectent des milliards d’euros dans les expérimentations déjà très prometteuses dans la mobilité lourde. On en prend une petite bouffée ?

La révolution hydrogène est en marche ! Alors que la France a lancé fin 2020 un plan de 7 milliards d’euros afin de s’imposer parmi les leaders mondiaux de l’hydrogène décarboné d’ici à 2030, les expérimentations foisonnent çà et là dans l’hexagone soudain hydrogéné et dans le reste du monde pour faire valoir les vertus de ce vecteur d’énergie dans la lutte contre le réchauffement climatique. Son atout premier ? Constituer une nouvelle source de production massive d’énergie propre, à partir notamment de l’électrolyse de l’eau – via de l’électricité renouvelable – et le recours à une pile à combustible. Un système notamment déployé à la Réunion dès 2016 pour alimenter entièrement un hameau dans le cirque de Mafate ! Autonomie énergétique de bâtiments, voire de territoires isolés et surtout mobilité durable : l’hydrogène vert devrait capter, d’ici à 2050, 15 à 20 % des besoins énergétiques mondiaux, selon l’association France Hydrogène. De quoi à terme contribuer à hauteur de 20 % à la baisse exigée pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C, selon certains experts…

Des propriétés énergétiques décuplées

Il faut dire que l’hydrogène suscite depuis longtemps déjà un vif engouement. Et pour cause : ce fameux « H » du H20, la molécule de l’eau, est ni plus ni moins l’un des éléments chimiques les plus répandus de la planète, présent dans les végétaux comme les hydrocarbures… C’est dire si la pénurie n’est guère pour demain ! Plus encore, cette molécule, petite, légère et ultra-réactive, aligne des propriétés énergétiques trois fois supérieures à celles du pétrole ! « Voilà pourquoi on l’utilise depuis cinquante ans pour faire voler les fusées Ariane », illustre Stéphanie Paysant, responsable communication chez France Hydrogène. Et pour cause, le secteur industriel au sens large, chimie, raffinage, production d’engrais… « en consomme environ 80 millions de tonnes par an à l’échelle mondiale, dont un million en France », calcule François Kalaydjian, coordinateur hydrogène à IFP Énergies Nouvelles. Or la grande majorité (96 %) reste aujourd’hui produite, pour des raisons économiques, à partir d’énergies fossiles (pétrole, charbon…). « Loin de constituer une source d’énergie en tant que telle, et donc directement disponible, l’hydrogène résulte – un peu comme l’électricité – d’un processus de transformation. Pour s’avérer rentable, il se révèle alors polluant », déplore François Kalaydjian. À la clé, des émissions de CO2 générées, d’environ un milliard de tonnes chaque année ! C’est dire l’enjeu de ce virage à 360° des pouvoirs publics pour décarboner l’hydrogène dit « gris », après un premier plan en 2018 – de 100 millions d’euros –, monté par l’ex-ministre Nicolas Hulot, et qui se décline désormais aujourd’hui en… milliards. C’est le cas aussi d’une trentaine d’autres pays – Allemagne (plan de 9 milliards d’euros), Espagne, Japon… – qui affichent également des stratégies hydrogène très structurées, notamment en matière de mobilité lourde. Au total, environ 50 milliards d’euros sur la table !

Capacité de stockage massif

Des investissements colossaux donc pour faire émerger une telle filière, comme c’est le cas en France, soucieuse de soutenir, entre autres, les acteurs pionniers de l’électrolyse, levier indispensable pour la production d’hydrogène vert. Un objectif : « Son industrialisation à un coût in fine bien plus compétitif », dixit Stéphanie Paysant, pour l’heure dans les 5 euros le kilo contre… 1,50 euro pour l’hydrogène gris ! Si l’hexagone entend viser « une capacité d’électrolyse de 6,5 gigawatts sur le territoire national d’ici à 2030 », comme le rappelle Mme France Hydrogène, « un tel procédé technologique n’en demeure pas moins complexe et onéreux ». D’autant qu’il reste conditionné à l’usage impératif d’énergies renouvelables (aux tarifs eux aussi très variables) pour produire de l’hydrogène vert et non gris. Une utilisation que l’hydrogène est toutefois en mesure d’optimiser voire démultiplier grâce à « sa capacité à intégrer et donc stocker les ENR sur un temps bien plus long que les batteries traditionnelles », souligne François Kalaydjian. De quoi compenser l’inévitable production par intermittence de ces énergies propres – selon le jour et la nuit pour le solaire – par leur stockage massif, par exemple le temps d’une saison.

Malgré tout, « privilégier la seule voie électrolytique pour la production d’hydrogène propre va forcément conduire à devoir booster largement les parcs éoliens ou solaires en France », prévient François Kalaydjian. Sans compter que dans les transports notamment, première cible de l’hydrogène vert, le « carburant » sera utilisé dans une pile à combustible pour générer de l’énergie.

Énergéticiens et équipementiers

Bien qu’il existe d’autres modes a priori plus souples de production d’hydrogène propre « comme l’hydrogène bleu, grâce à la conversion d’énergies fossiles, décarbonées, et le captage et stockage de CO2 dans le sous-sol », dixit François Kalaydjian, force est de constater que c’est sur l’hydrogène vert que tous les yeux sont rivés. États, collectivités, grands groupes, start-up…, tous les acteurs publics et privés de l’hydrogène se mobilisent en priorité dans cette direction pour décarboner l’industrie et doper la transition écologique. « Nous ne partons pas de zéro bien sûr », nuance Stéphanie Paysant qui pense à « l’implication forte de grands acteurs de la recherche en France, comme le CEA ou le CNRS, pour le développement de nouvelles compétences, l’un des axes clés de la stratégie nationale ». Sans oublier le concours de pôles de compétitivité (Capenergies en région Paca, Tenerrdis en région Auvergne-Rhône-Alpes, etc.), de grands énergéticiens comme Engie, EDF ou Air Liquide, dotés de filiales en la matière ou encore des acteurs phare de la mobilité. « À commencer par les grands équipementiers comme Faurecia ou Plastic Omnium et aussi de petits carrossiers comme la PME française Safra qui planchent sur la conception de nouveaux réservoirs sur les engins compatibles avec l’hydrogène vert. » L’enjeu clé du développement des mobilités lourdes et propres via la structuration d’une telle filière.

Des stations de recharge à déployer

On l’aura compris, si l’hydrogène intéresse de lourds secteurs industriels, et même la santé – une étude clinique a été lancée par le CHU de Grenoble pour soigner les malades de la covid-19 ! – « c’est bien en matière de transports que les avancées écologiques sont pour l’heure les plus prometteuses. En particulier pour les bus, poids lourds, bennes à ordures, trains, mais aussi taxis, autrement dit, les mobilités professionnelles et collectives où la force de l’hydrogène décarboné est de largement satisfaire un impératif de longue distance, de lourdes charges à transporter ou d’usage intensif, avec un temps de rechargement record à la clé », plaide la porte-parole de France Hydrogène. Exemple probant : la chaîne de taxis parisienne Hype qui s’est associée à Toyota pour le lancement, en 2021, d’une flotte de 600 voitures à l’hydrogène vert ! Mais c’est du côté des mobilités lourdes que les cas sont les plus emblématiques, comme avec les bus à hydrogène prisés par toujours plus de villes, à l’instar de Pau (huit engins en circulation depuis déjà 2019). Ou encore les trains, à travers une première expérimentation nationale en cours sur la ligne Tours-Loches, en partenariat avec Alstom. Stéphanie Paysant : « Reste maintenant à passer des démonstrateurs à l’industrialisation ! Ce qui suppose de se pencher sur la question sine qua non du déploiement adapté des stations de recharge à hydrogène pour l’heure trop peu nombreuses sur le territoire, malgré quelques acteurs surfant déjà sur ce créneau, comme la PME iséroise HRS. »

Autant d’actions que le tout nouveau Conseil national de l’hydrogène, créé en janvier, aura pour lourde charge de coordonner afin d’assurer la réussite de cette révolution sans précédent.

Charles Cohen

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