L’événementiel sur la corde raide

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Frappé par une crise d’une violence inédite, le secteur plie mais ne rompt pas.

Le secteur de l’événementiel, au bord de la crise de nerf depuis le premier confinement, survivra-t-il au deuxième ? Grâce aux aides de l’État et à l’effet de taille, certains acteurs s’en sortiront sans doute. Mais beaucoup y laisseront des plumes, voire leur peau. Cette crise inédite n’épargne personne… même les plus gros.

Fin octobre, Sodexo, multinationale familiale française et membre du CAC 40 a frappé les esprits en annonçant la suppression nette de 2 083 postes. « La crise de la covid-19 a fortement impacté l’activité de restauration dans les entreprises, les écoles, les universités et les activités événementielles. Le développement de nouvelles tendances comme le télétravail ou la livraison de repas a été fortement accéléré », a justifié le groupe de restauration collective. Alors comment s’organise le secteur ? Le numéro deux mondial de la restauration collective n’a pas tergiversé en coupant dans ses coûts fixes malgré ses milliards d’euros de liquidités. Avec le confinement, acte 2, d’autres acteurs lui emboiteront inéluctablement le pas et beaucoup d’entre eux, pour le coup, n’auront pas le choix. Aussi, en attendant d’entrevoir le bout du tunnel, les entreprises concernées vont, elles aussi, réduire leur masse salariale et vivoter grâce aux subsides de l’État. « Le chômage partiel à plein, c’est-à-dire 100 % pour l’employeur, va être réactivé pour tous ces secteurs : hôtellerie, cafés, restaurants, tourisme, événementiel, culture, sport », a assuré Emmanuel Macron au moment de l’instauration du couvre-feu, mi-octobre. À côté de cet appui vital, les acteurs qui pourront rouvrir connaîtront les mêmes affres que ces derniers mois. « Notre clientèle d’affaires a été au rendez-vous lors du déconfinement. En revanche, nous souffrons de la disparation complète des évènements à Paris comme les salons, les conférences, les défilés de mode, etc. », indique Massimo Mori, propriétaire de l’Armani Caffé et du Mori Venice Bar. « Nous nous sommes adapté·es à cette crise inédite en resserrant notre carte par deux, mais également en recourant aux aides du gouvernement, comme le chômage partiel. Mais pour faire du bon travail, il nous faut du monde : plus de 24 salarié·es au Mori et une trentaine chez Armani. Nous avons également lancé un service de livraison, mais essentiellement pour ne pas rompre le lien avec notre clientèle », détaille le restaurateur. Les hôtels, eux, devraient multiplier les offres auprès des entreprises locales en valorisant leurs atouts, une démarche partagée par les parcs de loisirs. Pour tenter de résister à l’explosion de la digitalisation des événements, les agences spécialisées comme les hôtes ont été contraints de s’adapter en lançant des séminaires et autres congrès « hybrides », avec une partie de présentiel et une autre à distance. Mais ce genre d’événements n’est pas la panacée. Des échanges par écrans interposés ne remplaceront jamais le « live » avec ses souvenirs partagés, son humanité et ses « off » échangés à la pause et souvent très constructifs.

Sur le fil du rasoir

Moribond depuis le premier confinement, l’événementiel affronte avec cette nouvelle fermeture de l’économie une crise d’une violence inouïe. L’enjeu est de taille. En 2018, 380 000 événements organisés à l’initiative d’une entreprise ou d’une institution ont eu lieu en France – soit plus d’un millier par jour –, générant 32 milliards d’euros de retombées, selon une enquête d’EY publiée en novembre 2019. La pandémie menace directement les 335 000 emplois (en équivalent temps plein) d’un secteur composé principalement de PME ou de TPE, voire d’indépendant·es. Des petites entreprises, qui, bien souvent, ne disposent pas de la trésorerie suffisante pour laisser passer l’orage, d’autant que personne ne sait quelle sera la durée et l’ampleur de la crise. Une situation qui inquiète au plus haut point le délégué général de l’Unimev, le syndicat du secteur, Frédéric Pitrou. « Au printemps, les pouvoirs publics ont mis en place des aides pour les principaux acteurs, les agences, les lieux de réception, etc., en oubliant une multitude de prestataires pourtant clefs comme les traiteurs, les hôtesses, la sécurité, le son, etc. » Aussi, ce dernier se félicite d’avoir obtenu récemment d’élargir la liste des acteurs pouvant bénéficier de ces aides (prestataires…). « Si ces entrepreneur·euses font faillite, le secteur ne pourra pas redémarrer lorsque la crise sera passée », explique-t-il. Pour lui, seul l’État peut éviter la quasi-disparition du secteur, encore faut-il en saisir la spécificité. « L’événementiel n’a pas le même rapport au temps que les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. Ces derniers peuvent reprendre une activité dans les jours qui suivent l’autorisation d’ouverture, alors que les événements ont des temps de production qui se comptent en mois », rappelle le délégué général de l’Unimev. À cet égard poursuit-il, le cas du Salon international de l’agriculture est exemplaire. L’événement a été reporté alors qu’il ne devait se tenir… que fin février 2021, soit quatre mois et demi plus tard. Un coup dur sachant que ce salon attire quelque 650 000 visiteur·euses en temps normal. « Dans ce secteur, tout se décide six mois, voire un an avant », rappelle Frédéric Pitrou. En d’autres termes, le secteur marche à la confiance. Or, elle a corps et bien disparu.

Prendre son mal en patience 

L’avantage du deuxième confinement… C’est qu’il arrive après le premier déconfinement. Aussi, les acteurs du secteur connaissent l’impact de la fermeture de leur activité et ont une idée plus précise du futur. « La crise sanitaire a provoqué le quasi arrêt de notre activité événementielle. Or nous organisons en moyenne 200 événements par an. L’activité a rebondi avant l’été dans le sillage du déconfinement. Mais depuis quelques semaines et le ton de plus en plus grave du Premier ministre, les entreprises jouent la prudence et attendent. Nos client·es n’ont aucune visibilité… et nous non plus puisque l’activité est rythmée par les annonces sanitaires », explique Rodolphe Lauron, responsable événementiel chez Parc Asterix. Face à la crise, le parc détenu par la Compagnie des Alpes encourage la polyvalence de son équipe. « Au lieu de procéder à des mesures de chômage partiel, nous préférons déployer les salarié·es sans mission à d’autres tâches qui incombent d’habitude à des intérimaires ou des CDD », explique le responsable. En attendant la réouverture, le Parc Asterix ne baisse pas les bras. « Nous réfléchissons à la mise en place de nouveaux produits commerciaux pour séduire les client·es quand la crise se sera estompée. Par exemple, le lancement d’offres tournées vers l’extérieur et nos espaces verts. Nous faisons en effet le pari qu’après trois mois de confinement et de reconfinement, les individus auront besoin de prendre l’air. À cet égard, nous avons la chance d’être entouré·es de verdure, de forêts, autant en faire profiter nos client·es », indique Rodolphe Lauron. Une stratégie développée également par l’Abbaye Royale de Fontevraud. Pour elle aussi, le premier confinement a été rude. « Bien sûr, le premier confinement a provoqué l’arrêt total de l’activité MICE, qui est toutefois repartie timidement à l’été 2020. Selon le maintien ou non des événements de la fin de l’année, notre baisse de chiffre d’affaires en 2020 pourrait atteindre jusqu’à 50 %. Cependant, nous constatons ces dernières semaines, malgré le regain de la pandémie, le retour de certains de nos client·es. Si les grandes entreprises internationales évitent les conventions, les entreprises locales, les clubs de dirigeant·es et les fédérations professionnelles par exemple reviennent vers nous. Les gens éprouvent le besoin de se retrouver, de réfléchir ensemble, en groupes réduits et dans le plus strict respect des mesures sanitaires », expliquait, juste avant l’annonce du reconfinement, Sophie Gambiez, directrice communication, commercial et marketing de l’Abbaye Royale de Fontevraud. Pour séduire de nouveau les entreprises, l’hôtel continuera de promouvoir son site, très vaste, riche d’histoire, en pleine nature et écoresponsable. Selon Sophie Gambiez, « l’Abbaye correspond parfaitement au besoin des client·es de se ressourcer, de se recentrer sur l’essentiel et d’être en cohérence avec leurs engagements RSE. D’ailleurs, la crise de la covid a accéléré cette tendance observée depuis quelques années et qui est désormais une tendance de fond ». Comme le Parc Asterix, l’Abbaye joue la carte commerciale. « Nous avons adapté nos conditions générales de vente en y apportant beaucoup de souplesse, notamment en cas de report des événements. Nous faisons des efforts sur les prix et ajustons nos prestations. Par exemple, nous pouvons proposer un service assis au prix d’un cocktail debout, sachant que cette formule n’est plus autorisée. Enfin, nous jouons sur nos atouts en ouvrant l’abbaye à des visites privées, afin d’offrir une expérience unique à nos client·es », précise Sophie Gambiez. 

Innover pour survivre

Malgré ces efforts, les hôtelier·ères risquent de connaître une reprise compliquée. Selon bon nombre d’observateur·rices en effet, cette crise va accélérer la transition déjà à l’œuvre en faveur du digital. « La tendance est aux événements hybrides. Face aux restrictions de voyage, les entreprises s’organisent par exemple avec une partie des collaborateur·rices en présentiel à l’abbaye et une autre en visio-conférence », reconnaît d’ailleurs la directrice de l’Abbaye Royale de Fontevraud. Dans ce cadre, les acteurs du secteur devront investir ou pouvoir accueillir techniquement des outils plus flexibles, capables de permettre aux entreprises de combiner la présence physique et le virtuel afin d’engager le maximum de participant·es sans pour autant se lancer dans une organisation complexe, coûteuse et le plus souvent polluante en raison du transport. L’événementiel sera ainsi de plus en plus hybride. Cette tendance est dans l’air depuis quelque temps, mais la crise pourrait accélérer son avènement. Le but ultime des entreprises sera de concerner de façon aussi intense la communauté présente physiquement que celle devant son ordinateur. Pour autant, les observateur·rices sont tout aussi unanimes, les événements physiques ne s’arrêteront pas avec la crise. « Le secteur a appris à coexister avec Internet depuis une quinzaine d’années déjà. Les gens auront toujours besoin de se réunir, de se serrer la main, etc. », remarque Éric Vence, fondateur d’Eventdrive, une plateforme de gestion d’événements professionnels. « Le salon est un média qui plaît aux entreprises, notamment celles qui opèrent en BtoB. Plus globalement, le concept d’événement n’est pas remis en cause. C’est sans doute le meilleur moyen d’échanger avec sa communauté et de lui transmettre un message », renchérit Olivier Cadi, président et fondateur de Corp Agency. Frédéric Pitrou aussi croit en une reprise de l’événement physique à terme. « Une fois la crise achevée, les gens auront plus que jamais l’envie de se retrouver, d’échanger de vive voix. En visioconférence, on perd un élément majeur des rencontres physiques, le off. Ce qui est dit avant ou après la réunion. Ces rencontres informelles sont souvent enrichissantes pour les interlocuteurs et leurs entreprises. Même dans le business, les sentiments, l’émotion, ça compte. Aussi, à mesure que la situation sanitaire s’améliorera, j’espère que le gouvernement augmentera le plus rapidement la jauge des participants aux événements, peut être dans un premier temps pour les événements BtoB. Ces évènements y sont souvent moins festifs, plus facile à gérer au niveau du comportement des participants et également très importants pour favoriser la reprise économique ». Au final, le principal perdant sur le long terme de cette crise pourrait bien être le transport aérien. Pour des raisons sanitaires, économiques et écologiques, les événements au bout du monde risquent de se faire rares…

Pierre-Jean Lepagnot

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