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Qui vote pour qui et pourquoi ? L’ouvrage star de la rentrée publié par le couple d’économistes Julia Cagé et Thomas Piketty, démontre que les classes sociales n’ont pas disparu. Avec un enseignement fort (certes déjà connu mais enfin mesuré) : la ruralité et la gauche n’avancent plus main dans la main.
Dans le prolongement de Marx et Bourdieu, Piketty et Cagé prouvent, dans un livre référence de près de 900 pages, que la classe sociale n’a jamais été aussi importante aujourd’hui pour comprendre le vote. Un raisonnement plutôt par classe géo-sociale : « en prenant en compte l’aspect territorial, les revenus, le patrimoine, l’emploi, l’éducation… ces dimensions expliquent 70 % des écarts de vote […] Si l’on ajoute l’identité, la religion et le pourcentage d’immigrés, on monte à 73 % », défend Julia Cagé au micro d’Apolline de Malherbe. Le vote n’est donc pas régi par des questions d’identité mais par des logiques socio-économiques.
Ces travaux, qui synthétisent les tendances de votes depuis deux siècles dans les 36 000 communes françaises, invitent la gauche à se questionner sur tout ce qu’elle n’a pas fait et qui explique qu’elle a perdu les classes populaires des bourgs et villages, parties chercher les remèdes à leurs maux auprès du Rassemblement national. Voilà l’erreur de la gauche – tout autant que la droite d’ailleurs –, avoir été au pouvoir la moitié du temps au cours des quarante dernières années. Sans que rien ne change pour les ouvriers et oubliés des campagnes. Un aveu d’impuissance qui prend un tournant à la fin des années 1990 : quand Jospin lance aux milliers d’ouvriers de Michelin qui ont perdu leur emploi que l’État ne peut pas tout. Si la gauche ne peut plus sauver les plus faibles de la détresse économique et sociale, alors à quoi sert-elle ?
Les années qui suivent creuseront le fossé avec une gauche qui se pluralise, en témoignent la place grandissante des écologistes et la montée en puissance de Jean-Luc Mélenchon, en parallèle d’un PS à bout de souffle et laminé lors des élections présidentielles de 2017. Le vote de gauche est urbain : dans les villes les classes populaires se rangent derrière Mélenchon là où les plus aisés votent écolo. Dans les campagnes, les plus pauvres, quand ils se déplacent, votent « Marine ». Séduits par des propositions qui touchent directement au portefeuille et à l’accès à la propriété, « je propose un prêt de l’État de 100 000 euros, adossé sur un prêt bancaire, à taux zéro pour l’accès à la propriété, prêt qui ne sera plus remboursé à partir du troisième enfant », propose Marine Le Pen. Une politique qui paie dans les villages, où devenir propriétaire de son logement, par le travail, est une aspiration qui s’explique par une quête d’émancipation – là où la gauche assimile toute velléité de possession à des réflexes de petits bourgeois.
Mais ce que propose le RN pour séduire les classes populaires se réduit à une posture. « Marine Le Pen veut supprimer l’impôt sur la fortune immobilière des gens qui ont plusieurs millions d’euros », pointe Thomas Piketty sur RMC. Il y a une incohérence au sein du RN, bien au fait qu’il doit s’étendre dans les villes pour pouvoir un jour courtiser l’Élysée. Problème, l’électorat plus bourgeois préfère Zemmour à Le Pen. Les électeurs de Le Pen et Zemmour, ce sont deux classes sociales qui n’ont pas grand-chose en commun en réalité.
La gauche peut revenir. Si elle cesse de culpabiliser celles et ceux qu’elle est censée défendre, obligés de prendre leur voiture, rarement électrique, pour aller travailler (parce que l’offre de transport y est quasi inexistante). Et si elle concentre ses actions sur tout ce qui améliorera très concrètement le quotidien des plus pauvres : parlons du pouvoir d’achat à la hauteur de l’inquiétude qu’il représente au sein de certaines familles. Autant qu’elle est capable de se mobiliser sur certains débats, évidemment légitimes, comme l’écriture inclusive ou tout autre démarche qui vise l’égalité entre les sexes. Des sujets encore une fois d’importance mais qui ne reflètent pas toujours les préoccupations des gens qui, naguère, votaient encore à gauche.