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Le CEO et fondateur du cabinet de conseil BSPK évoque les nombreux défis auxquels nous serons confrontés en 2024. Entretien.
Henri Prévost (BSPK) nous offre une vision prospective et proactive des grands enjeux. Langue de bois s’abstenir !
2024 semble être une année propice aux grands changements. Plus de la moitié de la population mondiale est par exemple convoquée aux urnes. Quel serait votre ressenti général à l’aube de cette nouvelle année ?
Ce qui intéresse particulièrement les experts chez BSPK ce sont les entreprises, les PME, les PMI et leur premier capital : l’humain. Dans ces nombreux processus d’élections, ce sont des femmes et des hommes qui vont choisir celles et ceux qui vont « gérer, guider ou diriger » leur cité, leur nation avec les implications sociales micro et macro-économiques qui impacteront inévitablement leur vie, leur activité professionnelle ou industrielle. Les dirigeants devront « composer » avec des réglementations nationales ou supranationales, des aides ou taxes et impôts qui grèveront leur résultat, mais aussi des contraintes administratives plus ou moins empreintes de bon sens ou de stupidité fonctionnelle…
D’un autre coté, si l’on sait que le tissu économique européen est composé à 95 % de petites et moyennes entreprises, il est logique que leurs dirigeants puissent s’intéresser de plus près voire s’impliquer même dans la vie politique régionale ou nationale, ce qui est une excellente chose. Le pragmatisme d’un chef d’entreprise au service de la population face à une majorité grandissante des technocrates totalement ancrés dans un monde hors des réalités.
Les grandes multinationales par exemple ne veulent pas être entraînées malgré elles dans des campagnes politiques et la plupart des dirigeants ne prennent pas ouvertement position pour un candidat, de peur de s’attirer les foudres du grand public, du monde politique ou de diviser au sein de l’entreprise, mais cela n’est qu’en avant-scène car on connait parfaitement les collusions en back stage.
Quel sera à votre avis l’événement majeur de cette année ? On cite principalement l’élection américaine, est-ce à raison ?
Lorsque vous tracez un plan stratégique dans l’industrie, vous élaborez plusieurs scenarii dont certains seront « challenging » à souhait…
Et si l’état de santé de M. Biden se dégradait encore plus et radicalement pour laisser la place à Kamala Harris ou Anthony Blinken, sur fond de conflits attisés aux quatre coins de la planète pour resserrer le sentiment patriotique… Le story-board de politique fiction serait plausible, non ? Comme le disait Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères au journal suisse Le Temps… « Nous avons basculé dans l’irrealpolitik ».
Sans démagogie, il est temps pour les entreprises européennes de sécuriser leurs marchés, leurs technologies, leurs talents et cerveaux… 2024 est une année charnière qui va avoir son lot de turbulences et d’orages.
Dans ce cadre, pensez-vous que 2024 soit propice à l’entrepreneuriat et à la prise de risque ?
Propice, oui ! À la volonté de l’Homme rien n’est impossible. Il est toujours la bonne heure pour l’entrepreneuriat qui porte d’excellentes idées avec du courage et une haute dose d’intuition. Un entrepreneur est dans la gestion des risques en permanence. Pour prévenir un risque, le gérer, il faut tout d’abord connaître objectivement ce risque encouru. Avec les nombreuses missions de diagnostic managérial menées par les experts BSPK, l’analyse de risque y est toujours une démarche préalable et indispensable à la gestion des risques proprement dite.
Toutes les entreprises qui présentent des dangers particuliers et comptent au moins 10 employés doivent procéder à cette démarche de détermination des dangers et évaluation des risques pour tracer le cap en période de crise, mettre en œuvre des mesures, prendre les bonnes décisions. Dans les moments incertains que nous vivons et qui nous attendent, la préparation et l’anticipation font partie de la stratégie que nous implémentons.
Selon l’importance de la crise, chaque élu politique devrait revoir avec soin la liste de ses « O.I.V. »… Toutes ces entreprises ou industries qui sont des Opérateurs d’Importance Vitale pour le pays… mais les connaissent-ils seulement ? Les ont-ils seulement rencontrés en face à face ?
Le monde est traversé par des conflits de haute-intensité. Ukraine, Proche-Orient, Yémen… Allons-nous vers un embrasement ou au contraire un retour vers la paix et la raison ? Que penser de l’avènement des Brics + ?
Le conflit ukrainien il y a deux ans, a lui seul nous a imposé de nous projeter dans un avenir plus sombre. Les Brics + sont l’explication parfaite de la définition d’insolence appliquée à la macro-économie. Reculons de près d’un quart de siècle en arrière, au début des années 2000, l’acronyme des Brics a été pondu par Mr. Jim O’Neill pour désigner les grandes puissances émergentes sur base de leur croissance économique qu’il qualifiait « d’insolente » … mais on oublie que M. O’Neill était alors chez Goldman Sachs, je vous laisse réfléchir à la suite de l’entreprise qui l’employait et les effets collatéraux de cette enseigne.
Ce club des Brics + est très fort d’enseignement pour tous les chefs d’entreprise qui s’intéressent de près aux fondements économico-sociaux de l’évolution de la société.
J’en veux pour preuve l’intervention de l’économiste israélien Oded Galor avec son ouvrage « Le voyage de l’humanité » lors des 36e Rencontres Stratégiques du Manager organisées par BSPK à Valenciennes.
Le ton était donné il y a un an, j’avais voulu titrer cette journée par la citation de Camus : « Le monde ne se change pas, il se répare ! » Car même si l’espèce humaine a surpassé toutes les autres, elle n’arrive plus à surmonter les profondes inégalités entre les peuples et surtout, l’Intelligence Artificielle risque de sonner le glas de bien des prérogatives de la valeur ajoutée de l’Humain.
Les composantes des Brics + définissent un savant dosage politique, démographique et économique qui ne se perturbe pas entre les pays démocratiques à économie de marché et les pays autoritaires où l’économie est administrée
On sait l’incertitude éminemment dangereuse en économie. Y-a-t-il un risque imminent de crise financière ?
Le risque ? Incertitude ? C’est évident… le compte à rebours est là, on s’approche de l’impact. On oublie la simplicité et la notion de temps et de réalités … ou mieux… on occulte que « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ! ».
La France, comme d’autres pays d’Europe, est traversée par une crise agricole majeure. Est-ce une expression parmi d’autres d’un malaise global dans la société occidentale, dépourvue de sens et tirée vers un nihilisme destructeur ? Où est passé notre bon sens et comment le retrouver ?
J’ai toujours un grand plaisir à répondre à vos questions affutées et même insolentes, car elles le sont, mais pas pour nous. Le retour aux fondamentaux est la seule solution, la clé du temps long et le courage, l’envie de réaliser, de construire, de transmettre. Remettre l’Humain à sa place avec amour, partage et vision.
Identifiez-vous une menace souterraine qui risquerait à tout moment de nous exploser au visage ?
Oui, elle est clairement identifiée. La mondialisation heureuse n’a jamais existé, c’était un leurre, aujourd’hui elle est aux soins palliatifs ! Ceux qui y ont cru aveuglément vont avoir des réveils difficiles. L’Europe est une valise vide, et sans souveraineté… elle risque d’être aspirée par sa myopie macro-économique. Pour citer à nouveau Hubert Védrine : « Les démocraties semblent de plus en plus gouvernées par l’opinion ! Les leaders se transforment en followers… ils s’épuisent chaque jour en tentant de suivre les vents dominants. Cela les empêche de gouverner, car diriger et décider suppose d’être capable de prendre le contre-pied d’une partie de l’opinion. »
Comment tenir le cap dans un monde en délitement ? Quelle est la méthode BSPK ?
« Ne pas subir ! C’est ça la méthode BSPK ! ». Mais avec un peu de hauteur, il est capital aux décideurs, chefs et leaders de s’imaginer les souffrances des autres pour se rappeler ce que l’on donne et ce que l’on reçoit. Car « les gens sensibles donnent souvent aux autres ce qu’ils auraient besoin pour eux ». Cette citation n’est pas de moi… mais d’Oscar Wilde, et devrait s’appliquer tant au monde politique, social et aux entreprises. Pour cela il faut avoir le courage de réinstaurer le dialogue.
J’ai envie de conclure par ce moteur qui m’anime chaque matin : « Sauver la proposition d’autrui ! Même si l’autre a un point de vue opposé, le décideur digne de ce nom, le chef, le maître… c’est celui qui accepte un point de vue opposé et se sent assez capable et courageux pour sauver la vérité de l’autre ! Ça, l’IA n’en sera jamais capable ! Aimer ! ».
Propos recueillis par Valentin Gaure