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Les 36e « Rencontres Stratégiques du Manager » se sont tenues à Valenciennes, au Royal Hainaut, sous les bons auspices du cabinet de conseil luxembourgeois BSPK.
« Le monde ne se change pas, il se répare ». Tout l’esprit des Rencontres Stratégiques est là. Une approche concrète et franche, dédiée au changement. Loin des logorrhées et de la « pensée magique ». Sans langue de bois. Mais avec tellement de sourires !
Henri Prévost, organisateur de haut-vol
Henri Prévost est un combattant. Un certain 18 juin de 2019, à seulement quelques jours des premières « Rencontres Stratégiques du Manager », on lui diagnostique un cancer de la gorge. Le CEO fondateur du cabinet BSPK assurera tout de même ce premier événement, ne laissant rien paraître, malgré l’inquiétude. Son grand invité et ami est le Général Pierre de Villiers, ancien chef d’État-Major des Armées. Le haut-gradé lui glisse alors cette leçon. Éternelle. « Il faut servir et surtout ne pas subir ». Dont acte. Henri Prévost se relèvera, pour vaincre cette « saloperie » qui tente de le détruire.
Son traitement pour un retour gagnant ? L’action et le facteur humain. Il s’accroche de toutes ses forces à son nouveau projet. Multiplie les rencontres, les invités, les cadres prestigieux. Autant de moments de vérité qui sont bien davantage qu’un simple business club. Allergique aux visios, Henri Prevost préfère les accolades, les regards, les vrais moments de vie.
Trente-cinq rendez-vous et quatre ans plus tard, devant la petite communauté qu’il a su fédérer, il contemple l’œuvre accomplie. Les chiffres impressionnent : 50 orateurs-écrivains, 650 chefs d’entreprises et décideurs, des conférences dans quatre pays différents. Dans la chapelle de l’ancien hôpital général de Valenciennes, où se tient la conférence, le valeureux sort vainqueur. Sous la voûte sacrée pointe l’émotion.
Le souvenir d’un grand-père d’exception
Pierre de Gaulle, Peer de Jong, Pierre de Villiers, Oded Galor, Loïk Le Floch Prigent, Arnaud Montebourg, Frédéric Pierucci, Hubert Védrine… De Airbus au GIGN en passant par l’université de Brown ou l’Élysée.
Le carnet d’adresse d’Henri Prévost est impressionnant. Où peut-il puiser cet influent réseau d’affaires et quelle est cette infatigable motivation qui le pousse à toujours rassembler ?
Pour la fidélité d’un grand-père. Son « mentor », dont il garde précieusement le souvenir. Jean-Marie Prevost, échappé des camps, fut un joueur de football patriote, qui refusa de se soumettre. Joueur du Losc après la guerre, il fut surnommé par la presse « le style impérial ». Il remportera plusieurs fois la Coupe de France avant de devenir coach à succès d’une équipe belge de D1. « Un mec coriace et formidable qui m’a tout appris, pour qui le sentiment d’appartenance et le respect de la patrie étaient des valeurs fondamentales ! Il m’a inculqué … À la volonté de l’Homme, rien n’est impossible ! », lance son petit-fils avec fierté et honneur.
Les conférences BSPK sont riches de cet esprit de vérité, de chaleur humaine, de réflexion. Le point commun entre tous les intervenants ? Ils ont du coffre, du courage, de la trempe. Pas le genre à s’écraser devant la doxa. L’objectif d’Henri Prévost ? « Changer les regards, bousculer les certitudes ».

Jean-Jacques Durand, cristal inoxydable
Ils seront cinq audacieux à se relayer sur scène. Honneur aux anciens avec Jean-Jacques Durand. Un industriel, typique de cette région du Nord où le capitalisme rime souvent avec valeurs familiales et sociales. Celui qui fut à la tête de la Cristallerie d’Arques revient, à 82 ans, sur une vie dédiée au service de l’excellence. Ancien élève du lycée de la Providence à Amiens, comme Emmanuel Macron ou Charles Gave, il fut formé selon les préceptes jésuites… Et se rendit coupable de quelques bêtises mémorables. Jusqu’à faire entrer un poulailler entier dans le bureau du proviseur.
Des anecdotes en pagaille, comme ce jour où son père, déjà patron de l’entreprise familiale, décida, en pleine guerre froide, d’offrir aux cégétistes un chèque vacances… Destination Moscou ! Une existence toute dédiée à la vente, au travers du monde, des États-Unis à la Turquie en passant par la Chine et le Japon… Aujourd’hui, il refuse la retraite, et s’occupe de la gestion du golf de Saint-Omer. Sans oublier l’écriture de son livre, Mémoires d’un verrier – D’Arcopal au Cristal d’Arques, publié aux éditions des Lumières de Lille.
L’incroyable parcours de Fabrice Gatti
Place ensuite à Fabrice Gatti. Cet ancien de la F1 (il dirigeait une filiale de Red Bull) s’est depuis reconverti dans le management. Sa devise ? « Prendre du recul face à un monde qui nous asphyxie ». Non sans avoir eu affaire, pendant des années, difficiles, aux méthodes venimeuses de Carlos Ghosn. L’ancien maître de Renault « demandait à la F1 d’être rentable ! », argue l’ancien cadre. Il raconte son licenciement terrible : « On m’a demandé de faire + 10 %. J’ai fait + 25 %. On m’a quand même viré ».
Désormais, il écrit. Avec intelligence. Auteur de L’Autruche et le Curieux (Enrick B éditions) il revient sur les différentes manières de transformer une organisation. Et oppose par exemple la méthode Renault, d’un Ghosn tyrannique et broyeur, cherchant à maximiser les profits par tous moyens, à celle d’un Jean-Dominique Sénart, qui chez Michelin, fit le choix du dialogue et de la confiance. Résultat sur quinze ans : l’action Michelin se porte mieux que celle du géant au Losange…
L’importance selon Gatti ? Qu’une entreprise travaille son innovation, fasse la satisfaction de ses clients, qu’elle protège ses salariés. Un triptyque gagnant. Et si c’était ça, finalement, les valeurs de l’entreprise ? Gatti, en lutte résolue, appelle à « libérer l’individu du règne de la règle et des process ». Les dirigeants se reporteront à sa méthode PERE. Prévisible, Exemplaire, Responsable, Équitable.
Montebourg : l’homme libre qui chérit la France
Les portes s’ouvrent. Un silence. Arnaud Montebourg surgit dans l’ancienne église, la poignée de mains et l’échange de regards avec Henri Prévost est puissant de sincérité.
L’homme libre, revenu des dangereuses contrées de la politique, raconte une vie au service du pays. Comme avocat, d’abord. Comme homme politique, ensuite. En entrepreneur, désormais. Le Bourguignon, qui s’engagea dans la vie publique en mémoire de ses ancêtres, affronta l’âpreté d’un monde peuplé d’homme en gris… Un monde dont il n’était pas.
Il se souvient de Manuel Valls, qui lors de l’adoption du Traité de Nice, en 2001, voulait lui tordre la main. « Tu n’es qu’un petit député de Saône-et-Loire. Alors tu vas obéir ! ». Montebourg s’exécute. Ce sera la dernière fois. Au gouvernement, sous les ordres de ses « patrons » Hollande et Ayrault, il tente de réformer, de réindustrialiser. Pour simplifier la vie française, il veut supprimer 500 normes contraignantes. L’administration finira par broyer son plan, qui ne sera exécuté qu’à hauteur de 1 %.
Il doit également assister au « choc fiscal », hausse considérable des impôts, qui provoqua la ruine des campagnes. Lorsque le président Hollande et le conseiller Macron sacrifient les ouvriers de Florange, cette fois, c’est trop. Montebourg démissionne, écœuré. Lassé des compromissions socialistes, de l’impuissance publique et surtout du manque de courage des élites françaises… Il résume la situation. « Les ministres sont les attachés de presse de décisions qu’ils ne prennent pas ». Désormais, Arnaud Montebourg s’emploie à revivifier l’agriculture et l’industrie, via ses 12 entreprises. Une autre manière de servir la France.
Christophe Genoud, l’art suisse du management
Christophe Genoud est Suisse. Il en a tout l’air. Un solide bon sens, une honnêteté à toute épreuve, un caractère bien trempé qui sommeille sous l’apparence tranquille. Ancien haut-fonctionnaire de l’État de Genève, il bat en brèche les concepts éculés du nouveau management. Et tant pis si cela choque. « Le team building ? N’en faites pas, ça ne sert à rien. La plupart du temps, c’est simplement un moyen pour l’employeur de se rassurer à bon compte ». Genoud poursuit. « Je suis désolé de le dire, mais votre entreprise n’est pas responsable de votre bonheur ». L’Helvète n’a pas peur de déchirer le rideau d’hypocrisie qui s’est constitué autour de la valeur « bienveillance » en entreprise…
Il prône au contraire le retour à des idées simples et fortes. Au premier rang, la civilité. Féru des écrits de Goffman, il évoque sans peur ce « masque social » que chaque collaborateur porte en permanence. Genoud explique : « Le mystère de l’action collective est le fruit de luttes de pouvoir ». En rappelant ces vérités simples, en dégommant enfin ces préceptes qui pullulent désormais, il nous libère. Cela ne fait pas forcément plaisir… Mais cela fait toujours du bien.
Genoud contre Rousseau ? Le philosophe, lui aussi citoyen de Genève, disait que l’homme était naturellement bon par nature. Alors, est-ce l’entreprise qui le corrompt ? Réponse dans le livre du haut-fonctionnaire. Leadership, agilité, bonheur au travail… bullshit ! (Vuibert). Langue de bois s’abstenir !
Oded Galor, le prodige israélien de l’économie
Pour conclure la journée organisée par BSPK, voilà Oded Galor. L’économiste israélien nous aide à prendre du recul, puisqu’il place le curseur à une échelle macro-historique, débutant ses explications dans les méandres de la préhistoire. Il s’adresse à l’assemblée dans la langue de Shakespeare, avec son incroyable allure. Passé par l’université de Jérusalem, de Columbia, de Louvain ou encore de Tel-Aviv ; il dresse un constat passionnant de l’histoire économique mondiale. Un long voyage dans l’aventure humaine, qu’il résume sous le titre de sa thèse, forcément savante. Sa « théorie de la croissance unifiée » fait autorité partout sur la planète.
Un profil atypique et académique qui conclut en beauté cette journée dédiée à la réparation du monde.
Une 36e Rencontre Stratégique couronnée de succès pour le CEO du cabinet de conseil luxembourgeois BSPK. Henri Prévost, souriant, cite Saint-Exupéry.
« La grandeur d’un métier est peut-être
avant tout d’unir des hommes.
Il n’est qu’un luxe véritable et
c’est celui des relations humaines ».