La construction de la jeunesse dans l’histoire

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L’éternel retour des Valseuses

Jeunesse rouge aux cheveux longs en Mai 68. Jeunesse inculte aujourd’hui. Par-delà les époques, la dépréciation de la jeunesse a la peau dure.

Les palabres portant sur l’inculture et la fainéantise de la jeunesse ne datent pas d’hier. Déjà Platon dans « La République », alors qu’il analyse la tendance chez tous à la satisfaction immédiate des désirs, écrit à l’endroit des jeunes : « Ils sont mal élevés, méprisent l’autorité, n’ont aucun respect pour leurs aînés, bavardent au lieu de travailler ». En Mai 68, les postures et les attitudes choquent : la jeunesse se vautre sur les fauteuils et passe son temps à plaisanter sans se préoccuper de l’essentiel. Haro sur ces dilettantes invertébrés ! Dans le sillage de 68, apparaissent Jean-Claude et Pierrot, les jeunes anti-héros zonards et désabusés des Valseuses de Blier.

Toutefois, fustiger constamment la jeunesse revient à scléroser les possibilités de changement, voire de progrès. Dénigrer la jeunesse finit par faire de la société une marre stagnante dans laquelle les individus croupissent, où la normalité remplace la norme, où tout écart est proscrit. Déprécier « les jeunes » est une posture égoïste qui replie l’avenir sur le présent et le réduit à n’être plus qu’une répétition du même.

De la Révolution française à Tanguy

Avec les Lumières, l’idéal d’égalité se répand, y compris du point de vue juridique en ce qui concerne les relations de la jeunesse avec les adultes. L’enfant n’est plus soumis à l’autorité du Pater familias et devient une personne avec des droits. Dominique Youf, directeur du service de la recherche et de la documentation à l’Ecole nationale de la Protection judiciaire de la jeunesse, soutient qu’avec la Révolution française : « Si l’enfant est sous l’autorité de ses parents, ce ne peut être que pour bénéficier de la protection et de l’éducation qui lui sont nécessaires pour devenir un homme libre. Dès lors qu’il a atteint l’âge de la majorité, il est libéré de leur tutelle et devient leur égal. »

Mai 68 représente ce point critique où le refus de l’autorité du pouvoir des aînés et la liberté, revendiquée comme originalité, excentricité et marginalité, sont réclamés à cor et à cri, et à grand renfort de pavés. La négation de la souveraineté du Pater familias rend possible l’acte de naissance de l’enfant roi, celui d’une jeunesse de plus en plus inventive, qui lutte contre ce que la société veut faire d’elle, à savoir son propre reflet.

La jeunesse entre page blanche et renouveau des possibles

Définir la jeunesse est impossible, car la définition dépend de la discipline de laquelle elle émane, ainsi que du cadre politique et historique de la jeunesse étudiée. Psychologues, sociologues, publicitaires, hommes politiques en forgent une représentation idéalisée et utilitaire. Selon Jacqueline Descarpenteries, maître de conférence en Sciences de l’éducation au laboratoire EXPERICE de l’Université Paris 8 Vincennes : « La jeunesse est un fait anthropologique, social et culturel, qui a toujours été inscrit dans des enjeux sociaux et politiques. Ses pratiques de consommation et ses loisirs, à l’ère du néolibéralisme, deviennent une cible de marchandisation ». Le propre de la jeunesse serait d’être comme cette page blanche sur laquelle tout peut s’écrire, aussi bien l’avenir individuel que le destin collectif. Mais, ce que devient la jeunesse est relatif autant aux normes qu’elle intègre, qu’à la marge de jeu, à l’écart, aux alternatives qu’elle initie. Au pouvoir en place, la jeunesse oppose une série de contre-pouvoirs. L’embrigadement politique qui forme « des jeunesses » ou « des chemises » de couleur, l’endoctrinement religieux, l’influence du marketing, du consumérisme… montrent que si la jeunesse se construit en réaction à un pouvoir, à des normes et des discours, elle peut également apparaître comme leur résultat, surtout si le pouvoir en fait sa cible privilégiée.

La jeunesse est un groupe social soumis à la norme d’une société de laquelle elle cherche à s’émanciper, afin de devenir l’auteur de son propre avenir. L’opposition à la norme établie caractérise la jeunesse dans son effort de subjectivation et de construction de soi.

Ainsi, la jeunesse ne semble-t-elle pas être un état déterminé par des contours identifiables. Elle ne connaît pas d’âge et ne saurait être confondue avec les années biologiques. Dans un effort d’émancipation, elle se construit au regard d’une société et d’une culture données. La jeunesse actuelle est atypique : plurielle, transculturelle, transgressive, transfrontalière, transgenre. Les possibilités de renouveau naissant de ses initiatives sont telles qu’on pourrait soutenir que la jeunesse ne s’est jamais aussi bien portée.

Joseph Capet

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