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Sur un air de tango
Les notions de développement durable et de respect de la nature font partie du vocabulaire. Dans la pratique, du chemin reste à parcourir, ce qui n’a rien d’inédit.
Dans l’imaginaire culturel, l’image associée à « l’écolo » comporte encore une bonne trace de hippie. Ce n’est pas par hasard : si la notion d’écologie date du milieu du 19ème siècle (par Hegel, en 1866), elle ne s’est vraiment imposée dans la conscience commune que dans les années 1970. Il y a bien eu entre-temps Théodore Roosevelt, et l’apparition de mouvements de préservation de la nature, mais c’est à-peu-près tout. L’idée continue à tourner, mais dans des cercles restreints.
L’explosion des seventies
Après la Seconde Guerre, la priorité est, clairement, au développement technique et industriel. En conséquence, on pollue joyeusement les rivières et l’atmosphère. L’empilement de problèmes locaux va pousser le gouvernement à adopter des lois sur la protection des ressources naturelles (1957) et sur l’eau (1964) ; il crée par ailleurs les parcs nationaux en 1960 et la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale) en 1963. En fait, c’est le mélange détonnant de l’arrivée du nucléaire, des premières marées noires, de mai 68 et de la montée des pensées « alternatives » qui va définitivement propulser l’écologie sur le devant de la scène. « Les années 70 sont le vrai départ, estime Dominique Bourg, philosophe français, professeur à l’université de Lausanne, institut de géographie et durabilité. Les questions environnementales émergent dans le débat public, des mouvements sociaux s’en emparent… L’écologie apparaît comme une question réelle pour la société. » Le choc pétrolier de 1973 achèvera d’asseoir le sérieux des enjeux aux yeux du public.
Des actions collectives plus efficaces
En revanche, la responsabilité lui échappe, elle, totalement. L’écologie à l’époque dénonce – c’était à la mode dans les années 70 – la faute du Grand Capital. « Il y a 50 ans, la pollution était considérée comme un problème d’entreprises, souligne Dominique Bourg. Les pollueurs, c’était eux, et le particulier, lui, était innocent. » Aujourd’hui, on sait que les comportements du public joue un rôle particulièrement important : la consommation détermine ce qui rentre dans le cycle économique, et qui, en grande partie, influe sur notre environnement. Mais c’est une idée qui a émergé progressivement.
Les gouvernements, eux, prennent en charge le problème. La conférence de Stockholm, en 1972, s’attaque ainsi à la pollution de l’eau et de l’air. Et pour la première fois, ce n’est pas une réunion scientifique, mais une conférence diplomatique et intergouvernementale. Et les actions entreprises ont porté leurs fruits : on a mis des filtres sur les cheminées, instauré de nouvelles normes de pollution, par exemple sur la pollution émise par les véhicules… L’air des villes serait bien pire que ce qu’il est aujourd’hui sans elles. Mais si ces actions sont efficaces, elles ont plusieurs défauts : elles sont locales, se concentrent sur des symptômes visibles et non sur les problèmes sous-jacents, et ont recours à des solutions techniques.
La fascination technologique
On pourrait appeler ça le syndrome du gagdet. Nous avons tendance, une fois que nous croyons avoir compris un problème, à nous précipiter sur une solution impliquant une nouvelle technologie (de préférence visuellement impressionnante) sans réfléchir aux conséquences. Et nous nous en mordons souvent les doigts. Avec le nucléaire, nous avons diminué la dépendance envers les combustibles fossiles ; mais quelques dizaines d’année plus tard, nous nous retrouvons avec sur les bras des déchets radioactifs dangereux pour des millénaires. Par une telle approche les mauvaises surprises peuvent facilement survenir. Témoin : l’accord de Montréal, en 1987. Il a mis fin à l’utilisation des CFC, qui détruisaient la couche d’ozone. Aujourd’hui, cette dernière est presque réparée… Un succès ? Oui… et non : cet accord n’a été possible que parce que les industriels de l’époque avaient un produit de remplacement, les HFC, qui se sont – évidemment – révélés depuis être des gaz à effet de serre très puissants. En outre les dernières technologies ne sont pas toujours « LA » solution, car elles peuvent aussi avoir une fâcheuse conséquence : l’effet rebond. Les gens polluent et gaspillent plus de ressources en se disant que l’innovation le permet désor-mais.
Prime à l’économie, toujours
L’accord de Montréal est symptomatique de l’autre problème qui affecte nos pratiques écologiques : l’économie prend toujours le pas sur l’environnement. Tous les accords intergouvernementaux sur l’écologie portent, en condition liminaire, que l’économie mondiale ne doit pas en souffrir (y compris pour la COP21). L’idée, depuis notamment le rapport Brundtland de 1987, est de découpler croissance économique et consommation de ressources. Le problème, c’est que cela ne fonctionne pas, entre autres à cause de l’effet rebond. En fait, nous avons, en trente ans, accompli l’exact inverse : un rapport de l’ONU, sorti en juillet dernier, démontre que nous avons surcouplé, autrement dit consommé plus de ressources naturelles pour une même croissance.
Le lent réveil du public
Le tableau est sombre, mais malgré tout, nous faisons des progrès. Notre connaissance scientifique des enjeux semble enfin rattraper nos actions. Et si la COP21 repose, encore, sur l’émergence de solutions technologiques, une étape décisive a indéniablement été franchie. Et comme l’économie règne sur l’écologie, nous avons pris des mesures économiques, à travers la prise en compte des externalités environnementales – l’idée que le pollueur doit payer un droit à polluer. Cela a pris du temps : la taxe carbone a mis 14 ans à s’imposer. Mais la meilleure nouvelle est que le public commence aussi à se sentir concerné, malgré un obstacle de taille. « C’est un problème presque anthropologique : on ne réagit vraiment que confronté à une menace immédiate et accessible à nos sens », souligne Dominique Bourg. Les informations scientifiques et techniques sur le climat ne « parlent » pas ; les catastrophes lointaines inquiètent un moment, puis s’en vont. Le temps de latence du système Terre fait que l’on nous présente la facture 50 ans après – bien trop tard pour nous motiver vraiment. Mais grâce à l’appropriation du sujet par des acteurs aussi bien politiques que culturels et à une communication incessante, le public trouve, petit à petit, sa motivation..
Jean-Marie Benoist