2005-2018 : histoire d’une révolution du travail en devenir

Brad Neuberg, au sein du Citizen Space, 1er espace de coworking ouvert à San Francisco en 2005.
Brad Neuberg, au sein du Citizen Space, 1er espace de coworking ouvert à San Francisco en 2005.

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Du coworking au corpoworking

En 2005, à San Francisco, s’ouvre dans un collectif féminin, Spiral Muse, un curieux espace, sorte de communauté de travail où des passionnés par l’open source, l’ouverture des codes logiciels entre programmeurs, échangent idées et savoir-faire. Son créateur, Brad Neuberg, le nomme Citizen Space. Un « espace citoyen » dont il résume le concept par un mot, « coworking ». Treize ans plus tard, le phénomène envahit la planète.

Comment traduire coworking si l’on ne veut pas aligner toute une phrase du style « espace de travail partagé » ? Le Journal Officiel donne la réponse : « cotravail, n.m. Domaine : Économie et gestion d’entreprise. Définition : mode de travail consistant, pour des professionnels indépendants, à partager espace, poste de travail, expérience ou compétences. Voir aussi : partage de bureau. » Au moins, c’est simple. Mais entend-on « collaboration », « émulation », « mise en réseau », voire « mutation » dans « cotravail » ? À peine. C’est pourtant bien l’idée sous-jacente originelle de Brad Neuberg : cet indépendant employé recherchait « la liberté et l’indépendance de l’autoentrepreneur et la structure et l’esprit d’équipe du travail entre collègues », comme l’explique dans un petit livre qu’elle consacre au coworking Geneviève Morand, créatrice de deux espaces de cotravail à Genève et à Lausanne1.

Né de l’ordinateur portable et du wifi

Impossible, désormais, de ne pas « tomber » au détour d’une rue de grande ville sur l’un de ces espaces plus ou moins colorés qui proclame son nouveau statut d’espaces de travail partagés. Pousser par exemple la porte de l’immeuble haussmanien du Village by CA, la pépinière des start-up du Crédit Agricole, au 55 rue La Boétie, c’est entrer dans un autre monde : une ruche, une foule, pas d’agents d’accueil mais de grands calicots qui vous expliquent où trouver votre bonheur, une sorte de vaste agora sous verrière où trône un superbabyfoot que domine un écran plat d’affichage des matchs et des équipes en compétition. Le vaste hall sert de bar, de restaurant, de salle des pas pas si perdus, des hommes, des femmes partout, un ordi portable sur les genoux. En mezzanine, courent des bureaux de toute taille ou des suites fort calmes qui renouent avec l’entreprise traditionnelle, avec ses tables de travail et ses ordinateurs. Même ambiance, un rien plus calme, au 37 avenue Trudaine à Paris, l’ex-plus grand espace de cotravail de Morning Coworking (lié à Bureaux à Partager, BAP, le lieu est désormais réimplanté pour cause de démolition,) installé dans les 7 500 mètres carrés d’une ancienne école austère qui n’aurait jamais cru annoncer sur sa façade : « Faites un break, venez travailler… »

Nous voilà projetés déjà dans le deuxième âge du coworking si l’on veut bien se souvenir qu’au cœur des années 1990 des espaces de hackers, comme le C-Base de Berlin – la version pirate du Citizen Space de Neuberg – faisaient peur au traditionnel employé de bureau allemand, comme la Schraubenfabrik de Vienne qui rassemblait une faune créative hirsute. À l’origine, le coworking (le néologisme fut employé pour la toute première fois, avant Neuberg, par Bernie de Koven, concepteur américain de jeux) était affaire de programmeurs, d’informaticiens, de webdesigners, et pour cause : ils furent les premiers à saisir toute la portée de cette invention technique sans laquelle l’« espace partagé » n’aurait guère de sens : la connexion wifi. Plus de fil à la patte. Au tournant des années 2003-2004, cette liberté de contact nouvelle contribue à accélérer cette véritable mutation du travail qui se met à gagner les entrepreneurs sociaux, les commerçants, artisans et les électrons libres dans tous les métiers. Aux micro-entrepreneurs soucieux de trouver un espace de travail peu coûteux et de limiter leurs déplacements se sont joints les télétravailleurs salariés, les étudiants parfois, les consultants bien sûr, adeptes des « tiers lieux », entre travail à domicile et en entreprise.

Un tiers lieu où naît le business

Mais le modèle éminemment adaptable n’est désormais réservé ni aux freelances ni aux start-up : les entreprises on ne peut plus traditionnelles, avec leurs bureaux feutrés, leurs open spaces, leurs ascenseurs et leurs salles de réunion commencent à se transformer « de l’intérieur », non pas sous la forme d’un simple aménagement de bureaux, mais bien par la voie d’un changement de culture. Le coworking devient du corpoworking. Bureaux à Partager (BAP), le leader de la recherche d’espaces de travail, y voit « de nouveaux vecteurs d’innovation où le partage d’idées, l‘émulation collective et le changement sont encouragés par la communauté. Animation, échange de compétences, rencontres : au sein de cette économie collaborative chacun étend son réseau, enrichit son portefeuille client et fait germer de nouveaux projets ou idées de business ». N’appelle-t-on pas ça une mutation ?

1 – Coworking : réenchanter le travail, vers la collaboration créatrice, Jouvence Éditions, 2016

Olivier Magnan

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