50 ans d’écologie politique vouée à l’échec

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Écologie et politique, l’incompatibilité

Les leaders de la cause verte changent, leurs idées restent… essentiellement dans les cartons pas même recyclés. À l’heure où la transition écologique montre que ces écologistes de la première heure avaient raison de s’alarmer, ils restent embourbés dans une difficulté d’exister endémique au sein de la vie politique. Petit résumé de 50 ans d’impuissance.

Je t’aime, moi non plus ? Entre écologie et politique, c’est à une cohabitation des espèces style carpe et lapin que l’on a assisté, quels que soient les époques et les gouvernements. Un malentendu insoluble qui traverse les décennies à la grande satisfaction des lobbys industriels qui veulent que rien ne change. Et rien n’a changé.

Pourtant, une écologie politique virulente était née dans l’après Mai-1968, réveil des consciences, dont la conscience écologique. Delfeil De Ton, l’une des plumes acerbes et engagées du satirique Harakiri, futur Charlie Hebdo, fut l’un des premiers défenseurs d’une nature entamée. Son discours était écouté. Alors que l’homme marche sur la Lune un an plus tard, les images de la Terre dans l’espace provoquent un émoi mondial, unique. « Si fragile… » Le ton est donné, la conviction forte : la planète bleue est précieuse, il faut la protéger coûte que coûte.

Les commentaires de Jacques-Yves Cousteau, d’Haroun Tazieff le volcanologue et de l’explorateur Paul-Émile Victor, qui découvraient comme personne la nature et ce qu’elle subissait, saisissent l’opinion. Leurs discours sont relayés.

L’association Les Amis de la Terre naît dans ce contexte, à l’aube des années 1970. Son mot d’ordre, déjà : « L’automobile doit s’adapter à la ville. ». En complète opposition au président de l’autoroute et aux centrales nucléaires, Georges Pompidou : « La ville doit s’adapter à l’automobile. » En 1972, une première manifestation spontanée amuse et ne débouche sur rien : une foule de Parisiens à bicyclette gênent les voitures pour demander notamment la mise à disposition de vélos à Paris… gratuits. Des décennies avant Vélib, payant.

Leaders avant-gardistes

René Dumont, premier candidat écologiste à l’élection présidentielle en 1974, entre en scène. L’homme aux grosses lunettes fait alors figure de prophète de la cause écologiste. Cet ingénieur agronome met à profit ses multiples voyages pour tenter de sensibiliser le plus grand nombre au danger qui menace l’environnement et les humains, notamment en Afrique. Il se révèle un tribun hors pair. Bon nombre d’observateurs soulignent le respect qu’il suscitait à l’époque. Ses meetings faisaient salle comble. Il devient le premier chef de file politique du mouvement.

Le cri d’alerte sidéral « Halte à la croissance » du Club de Rome – l’un des premiers think tanks de scientifiques, d’économistes, de hauts fonctionnaires et d’industriels de 52 pays (!) – avait jeté en avril 1968, juste avant le mouvement insurrectionnel en France, un pavé dans une mare polluée. Son message bénéficie d’un écho médiatique exceptionnel, mais… les États l’ignorent délibérément. La dénonciation du gaspillage, de la pollution, de l’homme prédateur, la disparition de la photosynthèse, la défense du temps choisi, du recyclage et les réflexions sur le travail et son sens dans le société moderne, thèmes d’actualité phares aujourd’hui, émaillaient les débats du Club en cette deuxième moitié des années 1970. Un livre d’entretiens, Pourquoi les écologistes font-ils de la politique ? (Combats, Seuil) devient même un best-seller en 1978. Brice Lalonde, futur ministre de l’Environnement, y tient un discours « engagé » aux côtés de René Dumont – candidat à la présidentielle en 1974, véritable fondateur de l’écologie – et… Serge Moscovici.

Vœux pieux et luttes impossibles

À l’instar du discours récurrent de Brice Lalonde, l’un des premiers ministres (1988-1992) engagés dans l’action et les programmes, l’intégration de tous ces champs de réflexion dans le temps électoral, qu’il s’agisse du septennat ou du quinquennat, se heurte à la brièveté du mandat : un politique, a fortiori un président de la République, ne projette pas la société qu’il est en charge de faire évoluer dans le long terme. Les chefs d’État ont peur de l’écologie militante synonyme de rupture(s). Lalonde dénoncera les intérêts privés contraires aux intérêts d’une planète collective. L’opinion d’une société française de plein-emploi préoccupée de croissance se détourne de l’écologie.

Brice Lalonde est l’emblème du militant qui ne croit pas au parti d’écologie. Le porte-parole des Amis de la Terre, qui s’était présenté dès 1981 à l’élection présidentielle, avait préféré soutenir un programme axé sur cinq thèmes majeurs : protéger la vie, domestiquer l’économie, utiliser l’énergie solaire, développer la solidarité mondiale, créer une démocratie du quotidien. À moins de 4 % des voix, il n’avait pas même appelé à les porter sur François Mitterrand. L’idée n’était alors pas de créer un parti politique, mais de profiter de la tribune télévision pendant les élections pour faire connaître le projet écologiste au plus grand nombre. Raté. Après chaque scrutin, les organisations politiques créées pour l’occasion étaient immédiatement dissoutes. Le parti écologiste ne sera créé que dans un deuxième temps. Peut-être une erreur, comme le jugent certaines anciennes figures de l’écologie politique tel Brice Lalonde lui-même, qui y voyaient une manière systématique de se mettre à dos l’ensemble des partis, alors qu’il s’agissait justement de collaborer avec eux pour imprégner tous les projets envisagés des nouvelles idées écologistes.

En 1989, Michel Rocard et François Mitterrand organisent une conférence avant-gardiste : l’appel de La Haye, tentative de créer une autorité supranationale de l’atmosphère, quatre ans avant la convention cadre des Nations Unies sur le climat. À l’époque, l’accroche du Monde Diplomatique consacrée à l’événement en dit long sur la tonalité : « L’environnement est à la mode. Les gouvernements, au moins ceux des pays développés, viennent de découvrir qu’il s’agit de problèmes urgents auxquels il faudrait fournir une réponse collective et efficace. « Comme le problème est planétaire, sa solution ne peut être conçue qu’au niveau mondial », peut-on lire dans la déclaration de La Haye, signée par vingt-quatre chefs d’État ou de gouvernement en mars 1989, idée longuement développée lors du sommet des Sept, à Paris, en juillet. » L’environnement, une « mode »…

Transition… trop douce

Face aux idées novatrices, les politiques jouent l’inertie totale. Décennie après décennie, les projets d’envergure sont étouffés. L’essentiel, apparemment, pour un président de la République et son Premier ministre, consiste à décider à quel ministère l’on doit adosser l’écologie – autonome depuis Lalonde-Royal. Août 2018 : le premier écologiste promu ministre, Nicolas Hulot, démissionne. L’ancien député Europe Écologie-Les Verts – le parti Les Verts a été formé en 1984 – lui succède. « L’anti-nucléaire de longue date », converti à un macronisme contrasté et prudent en matière d’écologie, ne semble guère destiné à « transiter » davantage que ses prédécesseurs impuissants. Et pourtant, « Notre maison brûle… » .

« Face aux idées novatrices, les politiques jouent l’inertie totale. Décennie après décennie, les projets d’envergure sont étouffés »

Mathieu Neu

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