Les pionnières cheffes d’entreprises

« "Leadership au féminin" est à manier avec précaution »
« "Leadership au féminin" est à manier avec précaution »

Temps de lecture estimé : 2 minutes

L’irrésistible ascension des femmes ?

La parité et la mixité sont-elles des solutions suffisantes pour garantir aux femmes la direction d’une entreprise ou d’une institution politique ?

En 1938, Yvonne-Edmond Foinant est la première femme déléguée à la Confédération générale du patronat français. Elle crée l’association Femmes chefs d’entreprise (2 000 membres aujourd’hui). Une goutte d’eau dans une marre remplie de testostérone pour l’époque. L’INSEE chiffrait, en 2012, 900 000 femmes indépendantes ou dirigeantes salariées d’entreprise, contre 1 800 000 hommes. Une sur trois… Et le ratio ne cesse d’augmenter. Et ce depuis les années 80.

L’influence des entreprises américaines

Le féminisme français s’essouffle avec les Trente Glorieuses et le baby-boom. Les années 70 voient naître une vague de féminisme qui porte sur la maîtrise du corps. Ce n’est qu’au début des années 80 que les femmes revendiquent leur droit à faire de la politique et à diriger des entreprises. « Il y a trente ans, les lois américaines ont lutté contre la discrimination et ces pratiques d’égalité étaient également respectées dans les filiales US en France », affirme Anne-Françoise Bender, maîtresse de conférences en gestion des ressources humaines au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Les filiales françaises d’IBM, de Hewlett-Packard, de Manpower ou encore de Coca-Cola ont alors promu des femmes aux postes de direction. « Dans les années 90 apparaît l’argument de la performance de la mixité. Avec la rhétorique de la diversité, il s’agit de promouvoir et de tirer parti de tous les talents, y compris féminins », précise Anne-Françoise Bender, spécialiste de la carrière des femmes et de leur représentation dans les conseils d’administration. La question de la féminisation des emplois à haute responsabilité n’est donc pas tant amenée par la politique que par des entreprises comme Total ou Orange qui ont des filiales en Amérique ou dépendent de fonds de pension américains. « Les multinationales prennent conscience de l’enjeu de la diversité les premières, au début des années 2000, suite aux pratiques américaines, mais également parce qu’elles sont soumises aux notations sociales des marchés internationaux », explique Anne-Françoise Bender, membre de l’axe genre, droit et discriminations au Lise CNRS (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique). Pour répondre aux attentes des actionnaires américains et parce que la diversité semble vertueuse, les grandes entreprises françaises nomment des femmes aux premières échelles de l’encadrement.

L’invention de la parité

C’est au début des années 90 qu’apparaissent les revendications paritaires. Le féminisme d’Etat et la «nouvelle grammaire de la parité» ont contribué à faire avancer la «bataille de la parité». « Au début des années 90, la revendication de parité a pu faire ricaner. On a pu observer une féminisation très rapide du corps politique. Néanmoins, la distribution du pouvoir reste sexuée et les femmes ne sont pas en position de leadership », explique Marion Paoletti, maîtresse de conférences en science politique (HDR) à l’Université de Bordeaux, membre du centre Emile Durkheim. A la fin des années 90, l’idée de parité est apparue comme une réponse à la crise de la démocratie représentative. « Toutefois, la parité repose encore sur l’identité «genrée» traditionnelle et le discours sur les femmes reste différentialiste », regrette Marion Paoletti, spécialiste de la question du genre en politique et membre du comité de rédaction de la revue Travail, genre et société. Les maires et les présidents de Région restent principalement des hommes. Le nombre de femmes maires d’une commune de plus de 100 000 habitants n’augmente pas. La parité introduit une égalité numérique, mais ne rime pas avec une égalité réelle. L’ordre hiérarchique est différenciant et les hommes restent souvent à la tête.

Mythe du leadership au féminin

Depuis 2010, toutes les entreprises du CAC 40 luttent contre l’hégémonie masculine et la ségrégation des emplois. En 2011, la loi Copé-Zimmermann incite à recruter des administrateurs « du sexe le moins représenté ». « L’arrivée des femmes dans les CA permet peut-être de lutter contre les archétypes «viriliste» et contribue certainement à faire évoluer les cultures », déclare Anne-Françoise Bender. Néanmoins, « l’expression «leadership au féminin» est à manier avec précaution car une telle rhétorique cache souvent une essentialisation qui dessert les femmes ». Le mythe du management au féminin ressortit d’une série de représentations culturelles qui opposent le féminin au masculin : la douceur, l’émotion et le care contre le rationnel, le courage et la force. « La parité n’est pas l’égalité. Si les femmes deviennent des représentantes politiques, la hiérarchie des sexes n’est pas pour autant remise en cause. C’est pourquoi la mise en place de la parité peut être lue comme une «révolution conservatrice» », conclut Marion Paoletti, co-directrice de l’ouvrage Sexes, genre et politique (Economica, 2007).

Joseph Capet

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