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Jeu de mains…
Le langage corporel peut aider ou plomber le politique qui ne le maîtrise pas toujours. La preuve…
En France, nous avons une faiblesse pour les petites phrases assassines, les « bons mots », et ce particulièrement en politique. « Vous n’avez pas le monopole du cœur », « regardez-moi dans les yeux »… Les exemples abondent, et nous adorons nous les répéter. Mais une bonne partie de la communication passe par les mouvements et les attitudes. Nous avons peut-être moins tendance à les remarquer, mais certains gestes de nos politiques gaulois favoris ont eu un impact fort sur l’opinion – en positif ou en négatif – et sont devenus symboliques. « Les gestes sont un véritable langage parallèle, qui servent à mieux se faire comprendre », souligne Stephen Bunard, conférencier et synergologue – spécialiste de l’analyse des gestes et des comportements. L’un des premiers – et des plus marquants – nous vient du Général (qui, vu sa place de référent ultime de la politique française, mérite sa majuscule) : les bras levés en V, notamment lors de son discours du 4 septembre 1958 annonçant la Ve République. Le geste rappelle, évidemment, le V de la victoire fait avec les doigts (aujourd’hui bien galvaudé, puisqu’étant devenu un classique des selfies). Mais il va plus loin qu’une simple déclaration de supériorité. En fait, la posture, simple et efficace, est l’exact intermédiaire entre les deux poings levés au-dessus de la tête (signe de victoire batailleuse) et les deux bras à l’horizontale, façon Christ sur la croix (Emmanuel Macron essaie – pour l’instant sans échec patent – de reprendre cette posture christique). Autrement dit, à la fois un signe de victoire et d’affection… Et c’est pour cela que le geste marche : il correspond à l’image publique de de Gaulle alors, qui tenait un peu le rôle de père de la Nation. Et de plus, il est énergique, contrairement à la version de François Hollande, après avoir gagné les primaires, qui avait le bras courbe… Car évidemment, tous les gestes ne peuvent pas être réussis. Valérie Giscard d’Estaing, auteur du « vous n’avez pas le monopole du cœur » cité précédemment, est également l’auteur de son fameux « au revoir ». Mais cet adieu, désastreux, aurait pu être moins désastreux s’il ne s’était pas levé de sa chaise, pour partir de la pièce, presque en claquant la porte. « C’est un peu comme s’il était un roi destitué et dédaigneux », analyse Stephen Bunard. VGE, d’ailleurs, n’a jamais vraiment refait surface après cela… De fait, ce qui va rendre symbolique ou non un geste est un mélange de plusieurs choses : « Qui le fait, dans quel contexte, avec quel message », résume Stephen Bunard. La spontanéité peut jouer, mais n’est pas essentielle. Cela semble évident, mais cela explique bien pourquoi, quand François Bayrou colle une claque à un mineur qui voulait lui faire les poches, l’opinion publique approuve – ce qui est rare pour les gestes violents –, alors que quand Manuel Valls fait la même chose à un militant du PS, c’est l’inverse. Dans le deuxième cas, c’est très clairement perçu comme une agression ; dans l’autre, c’est une affirmation de la valeur d’une certaine vision (vieillotte) de l’éducation des enfants. On retrouve cette même spontanéité dans le geste peut-être le plus fameux de ces 50 dernières années en politique française (on a d’ailleurs écrit plusieurs livres sur le sujet) : la poignée de main entre François Mitterrand et Helmut Kohl, à Verdun, en 1984. Tout y est, ou presque : le geste arrive comme un point d’orgue, semblant sceller une évolution sociétale forte – une réconciliation, loin d’être évidente, entre deux peuples –, un endroit fort et symbolique – un champ de bataille arrosé du sang des soldats, encore marqué aujourd’hui –, et un geste manifestement pas (ou peu) prémédité – il suffit de voir la tête d’Helmut Kohl les premières secondes pour le réaliser (on peut se poser la question pour François Mitterrand, qui initie la poignée de main). L’image, par elle-même, résume tous ces enjeux.
Si tous ces moments sont volontaires (ou presque), un dernier geste qui aura marqué l’opinion est, pour être précis, une gestuelle inconsciente : celle d’Édouard Balladur prenant le métro en 1995. Il n’est pas le seul à s’être plié à l’exercice : plusieurs personnalités s’y sont essayées, en général avec des conséquences malheureuses. On peut d’ailleurs se demander pourquoi les communicants continuent à proposer ce genre d’excursions, vu les résultats majoritairement catastrophiques. Sous l’œil implacable des caméras, Édouard fait plus Bourbon que jamais, lâchant une remarque inepte sur la température, essayant de « faire peuple » – et son corps, par tous ses mouvements, crie son inconfort. Et, s’il est excessif de dire que cette prestation a causé sa chute, elle l’a certainement parachevée. Soyons bien clairs : il n’est pas répréhensible, en soi, de ne pas avoir pris le métro ou de ne pas l’apprécier. En revanche, prétendre que l’on aime ça pour une opération de communication… L’opinion publique n’aime pas qu’on se paye sa poire, et quand c’est le cas, elle ne pardonne pas !
Jean-Marie Benoist