L’humour, éternel soft-power

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Chroniqueurs et humoristes sont devenus les stars du PAF. Des chasseurs qui pour faire rire traquent en priorité l’animal politique. Pour celui-ci, mieux vaut rater un entretien avec un journaliste « sérieux » qu’être la victime de la saillie bien sentie d’un chansonnier. L’humour jouerait donc un rôle majeur dans le paysage politique français. Une nouveauté ?

Jacques : Roi des Français et prince de la déconne. Un hasard ?
Jacques : Roi des Français et prince de la déconne. Un hasard ?

«Corriger les mœurs par le rire ». Rien que ça. Dès le XVIIe siècle, Molière et ses contemporains croient – comme d’autres après eux – aux forces de l’esprit. Pourtant, les avares délient-ils les cordons de leur bourse après s’être moqués d’Harpagon ? Pas sûr. Les hypocrites abattent-ils leurs cartes après s’être retrouvés dans Tartuffe ? A voir. Les Précieuses se trouvant ridicules ravalent-elles leur langue de velours ? Pas certain.

Mais les temps changent. Et aujourd’hui, il serait admis que, en politique au moins, l’humour joue un rôle non négligeable. D’aucuns croient par exemple que le couteau planté dans le dos de Jacques Chirac par les Guignols, en 1995, l’aurait rendu sympathique au point de rallier à lui quelques poignées d’électeurs. « Les medias participent évidemment à la construction d’un imaginaire autour de certains personnages, mais il ne faut pas surestimer le rôle des Guignols dans cette affaire », tempère Nelly Quemener, maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 3-Sorbonne nouvelle, et auteur en 2014 de Le Pouvoir de l’humour, (Armand Collin). Une chose est certaine, c’est que caricaturistes, humoristes ou chroniqueurs donnent aujourd’hui dans l’ad hominem comme jamais auparavant. « L’exercice de l’humour se fait sur énormément de médias, dans des matinales d’info, sur des plateaux de télévision. Il faut produire du flux – chroniques, éditoriaux, sketches – ce qui aboutit à un humour hyper personnalisé, presque fragmenté, qui incite chacun à se focaliser sur de petits événements du quotidien, et empêche de faire preuve de recul et de distanciation. Chaque « billet » finit presque par être un duel avec la personnalité ciblée, bien souvent un politique », analyse l’universitaire. Pourquoi cette évolution ? « De mon point de vue, elle est due au personnage de Nicolas Sarkozy, qui s’est énormément mis sur le devant de la scène, poursuit la sociologue. La présence du corps de Nicolas Sarkozy dans le jeu politique a remis cet humour de caricature au goût du jour. »

Ultra ciblé, omniprésent sur les ondes, l’humour ne l’a pas toujours été. « Dans les années 1960-70, il est beaucoup moins visible qu’aujourd’hui, en grande partie parce que la télévision est beaucoup moins développée, remarque Nelly Quemener. Et puis, les sujets traités sont très différents eux aussi. Dans les années 50-60, à l’image de Fernand Raynaud, nous sommes sur un humour de classe populaire, qui parle de la classe populaire, avec une bonne dose d’autodérision. » Une patte qu’on retrouvera en version plus urbaine et ouvrière chez Coluche quelques années plus tard. Coluche qui, avec Thierry Le Luron, va faire basculer le comique dans une autre dimension dans les années 1970. « Avec eux, la parole comique va devenir antisystème, affirme Nelly Quemener. Bien sûr, ils vont s’attaquer à certaines figures, comme lorsque Le Luron raille Valéry Giscard d’Estaing dans son Entretien au coin du feu. Mais derrière la critique du Président d’alors, c’est l’ensemble des hommes politiques, leur langue de bois et leurs promesses non tenues qui sont vilipendées. Même chose lorsque Coluche s’en prend à François Mitterrand, Michel Debré, Jean Lecanuet ou Simone Veil. » Ce faisant, les comiques du moment racontent les problèmes de leur temps plus qu’ils n’en attaquent les hommes.

La religion ? Bien sûr, elle en prend pour son grade. Pierre Desproges égratignera souvent l’image du Pape, par exemple. Mais elle est raillée au même titre que tous les autres symboles du pouvoir en place : l’armée, les gendarmes, les politiques nous l’avons vu, mais aussi plus globalement le chauvinisme à la française, emprunt d’alcool et de racisme « à la papa ».

Pour autant, on ne peut pas dire que les comiques d’alors dérangent les hommes politiques. Pour que le poil à gratter commence à sérieusement démanger, il faut que l’un de ces amuseurs publics change de costume : c’est la candidature de Coluche à l’élection présidentielle de 1982. « Cela a déstabilisé la classe politique de manière unique, affirme Nelly Quemener. Coluche était autorisé à critiquer le pouvoir tant qu’il restait cantonné dans son rôle. Mais son arrivée dans l’arène politique a fait très peur. Comme pour ce qui se passe aujourd’hui avec Dieudonné, on observe une inflation de la place des comiques lorsque leur rôle social se floute. » Humoriste parlant de politique, ou homme politique utilisant l’humour comme vecteur de communication ? C’est ce brouillage qui créé de la défiance, et qui donne à l’humour un écho qu’il ne rencontre pas lorsqu’il se cantonne aux salles de music-hall.

Une situation pire lorsque la raillerie touche de surcroît à des sujets sensibles, comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui. « De nouvelles thématiques sont apparues dans le discours des humoristes, notamment les questions de genre, d’identité, de minorités, explique la sociologue. Le tout expurgé du côté antisystème, mais élargi à de nouvelles figures du pouvoir, comme les sportifs, les grands chefs d’entreprise, les comédiens. » Pas de quoi renverser les régimes en place. Mais peut-être de quoi rappeler aux puissants qu’il est un domaine où ils sont tout sauf intouchables..

 

 

Olivier Faure

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