Comment les grandes écoles ont transformé le distanciel en programmes gagnants

Temps de lecture estimé : 4 minutes

De l’art de s’adapter en temps de crise.

Le diplôme international par excellence, le Master of Business Administration, subit de plein fouet les conséquences du distanciel. Mais les écoles championnes du management ont adapté leurs programmes pour survivre au virus. Un bel exemple de maîtrise…

Maintenir les formations MBA « quoi qu’il en coûte » ! En pastichant un certain président, ainsi pourrait-on formuler la ligne de conduite adoptée par les écoles de commerce pour assurer les formations en cours et maintenir les rentrées prévues en 2020-2021. Dès mars 2020, à l’annonce du confinement « sévère », la plupart ont relevé le défi et ont basculé en distanciel, du jour au lendemain. Une formalité pour certaines, déjà rodées à l’exercice pour les besoins des enseignements, une prouesse pour d’autres. Mais une fois les promotions sortantes diplômées, comment lancer les suivantes dans un tel climat d’incertitude ? Au cœur de la problématique, une question : comment maintenir l’attractivité d’une formation chère par nature et qui pour beaucoup implique un pas vers l’inconnu : déménagement, investissement, changement de travail… Côté écoles, les défis sont nombreux. Elles doivent adapter leurs programmes sans les appauvrir. Vendre du networking en distanciel. Convaincre les entreprises de cofinancer une reconversion professionnelle en pleine crise économique. Attirer des cadres étrangers dans un pays confiné…

Convaincre les étudiants étrangers de venir vivre en France

Les Full time MBA, majoritairement composés d’étudiants étrangers, ont probablement été les plus difficiles à remplir, pour la plupart des écoles. Les promotions sont composées aux trois quarts, au moins, d’étudiant·es étranger·ères confronté·es aux voyages. En outre, intégrer un Full Time MBA répond autant à une volonté d’acquérir des outils et un réseau qu’à celle de découvrir un pays, une culture, un mode de vie. En temps de confinement, bonjour l’accueil ! Que peut-on espérer découvrir dans un pays qui restreint les relations sociales, ferme les lieux culturels et autres places d’échanges et menace à tout moment de reconfiner sa population ?

De mars à septembre 2020, les écoles ont œuvré pour convaincre leurs prospects de franchir le pas malgré tout. « Nous avons entretenu le contact avec tous les étudiant·es prospects grâce à des webinaires, pour répondre à leurs questions et les guider dans leurs démarches administratives, raconte Mickaël Naulleau, directeur international MBA chez Audencia. Nous avons dû les rassurer sur le déroulement de la formation, leur expliquer comment nous pouvions les accompagner dans leurs démarches administratives. Pour eux et elles, ces études sont une forme d’expatriation. Nous avons accompli un travail de proximité en misant sur le relationnel et la transparence totale sur la situation. » Un investissement d’énergie qui s’est avéré payant. « Cette démarche a été très appréciée et nous a permis de remplir la promo. »

À l’EM Lyon, la rentrée de septembre a été décalée à janvier pour intégrer les candidat·es qui n’ont pu obtenir leur visa en septembre. « La promo compte 60 inscrit·es, soit le même chiffre que l’année dernière, alors que nous aurions dû être en croissance », rapporte Stéphanie Ousaci, responsable développement MBA à l’EM. « Cinq personnes ont préféré décaler leur rentrée à septembre 2021. » À l’EM, où le FT MBA est passé grade master en juillet 2020, les étudiant·es suivent le programme en présentiel à 100 %.

Stéphane Canonne, directeur executif Education & MBA à l’Edhec, constate, pour sa part, un regain d’intérêt pour les formations Full Time MBA et une augmentation du nombre de candidatures. Selon lui, deux raisons expliquent ce phénomène. « Comme dans toute crise, celle que nous connaissons génère une peur de la situation sociale, on se sent plus armé avec un MBA que sans. » Seconde raison, le choix de mener un MBA répond à un projet à long terme impliquant, dans 90 % des cas, un déménagement. « Face à tant d’incertitude, un diplôme est perçu comme une valeur sûre. Tant que la situation de l’emploi est difficile, les diplômes auront de la valeur. » À l’heure de chercher un travail, le sésame va faire la différence. Canonne : « Un MBA est un signe fort pour l’employeur. C’est le signe que la personne se bouge. »

EMBA, soutenus par les plans de sauvegarde de l’emploi

Confrontés dans une moindre mesure aux restrictions de déplacements entre les pays, les Executive MBA qui recrutent des pros d’au moins dix ans d’expérience ont également dû s’adapter. Selon le directeur marketing et communication des MBA d’HEC Paris, Benoît Banchereau, l’appétit pour les EMBA n’a pas faibli. « Nous enregistrons une augmentation de 50 % des candidatures en septembre, idem en janvier. Certes, nous avons connu une zone de forte turbulence liée à l’incertitude, mais nous avons entièrement numérisé le parcours des prospects. » Même son de cloche à l’Edhec. « Malgré les circonstances, l’intérêt pour les MBA ne faiblit pas, assure Stéphane Canonne. Nous constatons une évolution toujours aussi forte, une prise de conscience des cadres qu’ils doivent s’occuper de leur évolution professionnelle et de leur formation. »

Le classement du MBA et le prestige de l’école sont probablement un facteur clé au moment de la prise de décision. Les taux de remplissage des promos varient d’une école à l’autre, certaines se voient contraintes de reporter la rentrée ou d’annuler purement et simplement. Chez Kedge, on constate une baisse sensible du nombre d’inscrits, mais les formations sont maintenues. « Habituellement, nous recrutons des promotions de 40-50 participants, explique Hervé Remaud, directeur Kedge Global MBA. Depuis la crise, nous sommes entre 35 et 40 sur les deux dernières rentrées cette année. Chaque promo ouvre deux portes d’entrée, une en décembre, l’autre en mars. Les deux se rassemblent pour ne faire qu’une promo. Début décembre, nous avons organisé une prérentrée simplifiée. » Enfin, le contexte économique favorise les plans de sauvegarde de l’emploi dont beaucoup incluent un volet formation. À HEC, la rentrée de septembre des EMBA s’est faite en mode hybride : moitié présentiel, moitié distanciel. Et pour les étudiant·es dont l’école dispose de son campus, l’avantage est de taille côté networking. « Rassembler les personnes sur le campus est clairement un facteur différenciant », souligne Benoît Banchereau. Les étudiant·es vont travailler ensemble par petits groupes, se retrouver pour faire du sport, partager au quotidien et se lier d’amitié.

Le réseautage version distanciel

On suit un MBA pour acquérir des outils, travailler un projet de reconversion, acquérir de l’assurance et puis surtout… networker, en français canadien, réseauter. Pour travailler durant 18 mois avec des participant·es qui au fil des missions, des travaux de groupes, des événements, deviennent ami·es. Des ami·es destiné·es à occuper des postes executive. Mais lorsqu’une telle formation bascule en distanciel, est-il toujours pertinent d’investir temps et argent sans espérer tout le bénéfice initialement attendu ? Le networking, c’est bien là que le bât blesse. Les écoles redoublent d’efforts et d’imagination pour réinventer les échanges en temps de covid. Mais le relationnel à distance, on a beau se convaincre du contraire, ce n’est pas pareil ! Les participant·es devront s’y résoudre. « Nous ne pouvons plus organiser les événements festifs et expérientiels, reconnaît Stéphane Canonne. La formation est plus austère, mais tant que nous ne sommes pas soumis à un nouveau confinement strict, elle est assurée en présentiel. » Dans toutes les écoles, certains événements tels les week-ends d’intégration ont été annulés, d’autres reportés sine die. L’ordre des événements a été modifié dans le programme. Pour les plus chanceux, en fin de formation lorsque la crise a sévi, le préjudice est moindre. La plupart des événements clés avaient déjà eu lieu.

Les promos en fin de formation moins impactées

Si l’incertitude pèse sur les formations commencées en 2020, la crise n’a pas impacté de la même manière les cohortes en fin de diplôme. Sébastien Bufflier, participant au Executive MBA de l’EM Lyon, le constate. Il a démarré sa formation en part time en octobre 2018 et a été diplômé en décembre 2020. Son objectif : se former pour accompagner la mutation de son entreprise et envisager un rachat de parts. Pour cela, il a souhaité améliorer sa capacité de gestion et renforcer son leadership. « Aujourd’hui, j’ai la capacité à être leader. » Carrément. Le distanciel, dans son cas, avec les restrictions sociales, se sont avérés profitables. « La covid a été une opportunité pour me concentrer sur mon mémoire et la soutenance. »

Le présentiel plus que jamais plébiscité

Le confinement aura au final représenté un défi largement relevé par les écoles. Les perturbations-tribulations leur ont donné l’occasion de développer une capacité à assurer les cours à distance. Toutes ont acquis une flexibilité maximale. Mais pas question de transformer les MBA en formation en ligne à terme ! « La formation en distanciel fonctionne pour les online MBA, mais il s’agit d’un marché très spécifique », estime Stéphane Canonne. Pour les MBA classiques, tous valorisent encore plus les rencontres physiques pour travailler ensemble. En attendant un retour définitif à la normale, les équipes pédagogiques mettent tous les moyens en œuvre pour maintenir le contact au quotidien. Organisation de webinaires fréquents, suivi personnel de chaque étudiant·e…

Des programmes durablement modifiés

Si le mode traditionnel d’enseignement en présentiel a de beaux jours devant lui, les programmes post-crise auront subi une profonde évolution. « Aujourd’hui, les cadres se posent clairement la question du sens de leur travail. Nous remarquons une très forte évolution vers la RSE. Cette tendance est assez récente », analyse Stéphane Canonne. Pour le directeur executif Education & MBA de l’Edhec, la vision du cadre qui génère des profits pour ses actionnaires est révolue. La thématique existait déjà dans les formations d’avant-covid, mais son contenu évolue durablement.

Marie Bernard

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