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Impressionisme machiste
Le territoire français n’a rien d’homogène en terme d’inégalités femmes-hommes. Une véritable mosaïque d’inégalités, qui fluctue même selon les sujets car les bons élèves dans un domaine peuvent être les bonnets d’âne dans un autre.
Selon l’INSEE, en 1995, le revenu salarial des femmes était inférieur de 27 % à celui des hommes, à compétences égales et à poste de valeur égale. En 2014, l’Institut notait que ce pourcentage atteignait 24 %. Les 19 journées internationales des droits de la femme qui séparent ces deux constats n’ont pu apporter qu’un modeste progrès de trois points. A croire que ces mobilisations annuelles relèvent plus du folklore que d’une opération de sensibilisation et de pression à l’égard des politiques.
Au-delà de ce funeste tableau national, où en sont nos régions ? Une enquête récente publiée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), le bureau d’études rattaché au ministère du Travail, prouve que sur un plan salarial tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Loin de là. Les convaincus que le sexisme est davantage une affaire de zones rurales, pour ne pas dire provinciales, qu’un phénomène urbain, ont de quoi faire les yeux ronds. Paris figure en réalité parmi les mauvais élèves, tout comme d’autres agglomérations telles que Lyon, Toulouse, Marseille, Lille en raison d’un taux d’inégalités supérieur de 1,6 point à la moyenne nationale.
Les contrats qui sont très largement à durée indéterminée, la forte proportion de salariés travaillant dans les services, ainsi que la proportion élevée de cadres, d’ingénieurs et de salariés figurent parmi les grandes explications de cette tendance. « Si on observe une amélioration ces dernières années, les entreprises d’ingénierie souffrent toujours d’une sous-représentation des femmes dans leurs effectifs. C’est un problème majeur car la mixité participe directement de la richesse d’une entreprise et de sa capacité à innover. En parallèle des actions que nous menons déjà, il nous semble important de mettre sur le devant de la scène les talents au féminin qui composent nos sociétés, et surtout, de valoriser les expertises pointues de ces professionnelles », confie Nicolas Jachiet, président de Syntec-Ingénierie, qui a récemment appelé toutes les ingénieures à prendre la parole sur les réseaux sociaux sous le hashtag #JeSuisIngénieurE, avec pour but de casser les codes très masculins de l’ingénierie.
Plus d’ouvriers, moins d’inégalités salariales
A l’inverse, on observe que les villes moyennes principalement ouvrières, comme Saint-Etienne, Rouen, Mulhouse Caen, Metz, Amiens, Valence, ou encore Tours, forment une catégorie d’élèves un peu plus satisfaisante, avec un taux situé à 0,5 point sous la moyenne nationale. Si l’on se tourne vers des zones dans lesquelles les activités ouvrières sont très largement représentées, cette amélioration se confirme : du côté de Mont-de-Marsan et Bergerac, en Nouvelle-Aquitaine, de Nogent-le-Rotrou, en Centre-Val de Loire, ou encore dans la Vallée de la Bresle en Normandie, le taux affiché est de près de deux points inférieur à la moyenne nationale.
Les chiffres deviennent encore meilleurs dans la Maurienne, en région Auvergne Rhône-Alpes, en région PACA, ainsi qu’en Corse, avec près de quatre points de différence avec le taux moyen national. Mais ceux-ci sont à relativiser, en raison d’un grand nombre de CDD relatifs aux activités touristiques omniprésentes sur ces territoires.
Pour trouver les vrais bons élèves de la France dans ce domaine, il faut aller beaucoup plus loin, de l’autre côté des océans, car ce sont les DOM qui constituent les exemples à suivre. Les inégalités salariales constatées sur place (hors Mayotte) ne représentent pas plus de la moitié du taux global français, même si la part des femmes parmi l’ensemble des salariés y est plus faible qu’au sein des autres groupes analysés. Les départements d’Outre-Mer se caractérisent également par des proportions très proches de femmes et d’hommes travaillant à temps complet. La part des seniors (plus de 50 ans) est moins élevée que dans les autres territoires.
Contrastes inquiétants
Malheureusement pour les femmes, les écueils sexistes ne se limitent pas aux inégalités de revenus. L’INSEE a également publié en 2016 un intéressant comparatif inter-régions sur plusieurs thématiques comme l’éducation, l’accès au marché du travail, la représentation dans la société ou encore les conditions de vie.
Si la Corse affiche quelques résultats meilleurs que d’autres territoires en matière de différences salariales, elle fait plutôt figure de mouton noir sur d’autres sujets. Elle est la seule région où les femmes et les hommes présentent un grand écart en terme de taux de chômage. Au moment où l’étude a été réalisée, avec 9,4 %, les hommes étaient moins touchés que la moyenne nationale de 11,6 %, tandis que les femmes connaissaient un taux de 14,6 %. A l’échelle de la France, les demandeuses d’emploi représentaient alors 12,9 %. Face à cette difficulté d’accéder à l’emploi salarié, les initiatives visant à soutenir l’entrepreneuriat féminin se développent. « Aux Etats-Unis, près de 50 % des entreprises sont créés par des femmes, tandis que la France affiche un taux de 32 %. En 2017, 39,2 % des sociétés que nous avons soutenues ont été reprises ou créées par des femmes, soit une progression d’un demi point par rapport à 2016. Cette tendance à la hausse est une bonne nouvelle », se réjouit Bernadette Sozet, déléguée générale d’Initiative France.
En matière de représentation dans les conseils municipaux, la Corse se hisse également sur le podium des exemples à ne pas suivre, aux côtés de la région Grand Est et de la Bourgogne-Franche-Comté. Les femmes n’y atteignent pas la barre des 40 %, alors qu’elles représentent 58 % au niveau national. En Corse, seuls 11,2 % des maires sont des femmes. A noter par ailleurs que ces trois régions figurent parmi les territoires qui comptent le plus grand nombre de petites communes. Or, la loi de mai 2013 portant sur la parité lors de l’élection des conseillers départementaux, municipaux et communautaires ne concerne que les communes de plus de 1 000 habitants. Une preuve, s’il en faut une, que l’égalité de traitement ne semble rencontrer la réalité que par la contrainte.
La Corse présente toutefois un meilleur bilan lorsqu’il s’agit d’évaluer la réussite scolaire. Les jeunes filles de la région sont celles qui réussissent le mieux à l’épreuve du baccalauréat. L’INSEE indique aussi qu’elles restent bien plus scolarisées que les garçons après 18 ans. Quant aux conditions de vie, mesurant essentiellement la capacité à vivre de façon autonome, l’Institut souligne que la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées offre le contexte le moins inégalitaire : les jeunes femmes quittent plus tôt le domicile parental que les jeunes hommes, elles deviennent parents plus jeunes, et vivent également plus souvent seules ou en situation de monoparentalité que dans d’autres régions.
Mathieu Neu