L’émancipation des 13 régions

Le transfert de pouvoir, une querelle française multiséculaire ?
Le transfert de pouvoir, une querelle française multiséculaire ?

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Territoires en quête de pouvoir

A défaut de pouvoirs politiques forts, les 13 nouvelles régions héritent d’autres missions dont la portée n’est pas nécessairement secondaire.

On reproche souvent à notre Hexagone son fonctionnement trop centralisé, avec Paris comme unique centre névralgique. Romain Pasquier, politologue et directeur de recherche au CNRS, est partisan de l’analyse suivante : « Depuis la monarchie absolue et la Révolution française, tout corps intermédiaire ou entité politique avec un corpus territorial potentiellement concurrent à l’Etat central n’est pas accepté. C’est l’une des raisons des difficultés que nous avons à nous adapter à la mondialisation, où il faut de la réactivité, ce qui va ­totalement à rebours de notre histoire politique et institutionnelle. » Pas étonnant avec un tel poids du passé que les régions manquent d’autonomie et de pouvoir.

La réforme des territoires de 2016 aurait pu être l’occasion d’opérer une refonte complète des institutions, de créer une nouvelle carte où une redistribution des pouvoirs politiques s’ajoute à l’objectif de simplification de l’organisation régionale et d’amélioration de la compétitivité des territoires. Il n’en a rien été. Pour l’historien Nicolas Lyon-Caen, la carte des 13 nouvelles régions est davantage le fruit d’un « pragmatisme administratif qu’un retour à un passé historique commun ».

Par bien des aspects, les relations Etat-Régions des dernières décennies pourraient se résumer par l’expression « je t’aime moi non plus », à l’image de l’évolution de la clause générale de compétences, attribuant à la région à partir de 1982 « une capacité d’intervention générale sur les affaires de la collectivité », selon la définition officielle. Cette clause a ensuite été supprimée en 2010, réinstaurée en 2014, avant de disparaître à nouveau en 2015.

Des chefs d’orchestre de la compétitivité

Si les régions n’ont pas le poids décisionnel de leurs homologues allemandes par exemple, et servent essentiellement de relais pour déployer les politiques initiées par les ministères, elles jouent toutefois, notamment depuis la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) d’août 2015, un rôle essentiel en matière de structuration des forces économiques locales. En plus des compétences relatives à la formation professionnelle, la gestion des lycées, des transports, ou encore l’aménagement du territoire, les régions sont aujourd’hui chargées de définir et piloter le Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII). Concrètement, il s’agit de la feuille de route qui détermine les aides à l’investissement et à l’innovation des entreprises, les soutiens à l’internationalisation, ou encore les initiatives pour favoriser l’attractivité territoriale. Les pôles de compétitivité se retrouvent ainsi animés par les régions.

De manière analogue, les régions héritent de l’élaboration et du suivi du Schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET). En co-construction avec d’autres partenaires, tels que les collectivités territoriales, les acteurs de l’énergie, des transports, de l’environnement et la sphère associative, il s’agit de conduire une stratégie de long terme concernant le développement autour d’un ensemble de thématiques, comme les transports et mobilités, la gestion des déchets, de l’air ou de l’énergie.

Des leviers économiques ?

Les nouvelles prérogatives des régions ont vu naître un véritable marketing régional, transformant chaque territoire en marque à part entière dont l’objectif est la conquête internationale. La Normandie a ainsi officialisé en 2017 sa marque « Normandy » qui a vocation à servir de tremplin aux activités en la matière et contribuer à un rayonnement accentué. Une nouvelle agence dédiée à l’attractivité de la région, et installée dans les locaux de la CCI du Havre, a hérité de cette mission. Selon certaines études, la Normandie serait la deuxième région la plus connue au monde derrière la Californie. Quelque 16 millions de visiteurs arrivent chaque année dans la région avec un objectif culturel, dont six millions pour le seul tourisme de mémoire. « Nous profitons de trois à quatre millions de touristes rien que sur nos plages. Il s’agit désormais aussi de soutenir les visites thématiques, comme le tourisme vert », estime Michel Collin, président de la CCI de Caen Normandie. La « Normandie médiévale » ou la « Normandie littéraire » se situent parmi les potentiels sur lesquels la région veut capitaliser.

En Auvergne Rhône-Alpes, le nouveau cadre régional contribue à rapprocher des savoir-faire complémentaires des deux anciennes régions. Les échanges entre responsables de filières et de chambres de commerce entre Lyon et Clermont-Ferrand se multiplient pour donner lieu à des collaborations atypiques. Des synergies ont d’ores et déjà vu le jour, comme entre le pôle de compétitivité rhônalpin Minalogic, spécialiste des solutions micro et nano-électroniques, et le pôle de compétitivité Céréales Vallée en Auvergne. Les opérations visent à provoquer des rencontres et rapprochements entre les deux écosystèmes, en vue de croisements des connaissances, car l’agriculture utilise toujours plus de technologies numériques, pour garantir la traçabilité et mettre en place des processus d’automatisation. Il en résulte de nouvelles opportunités d’affaires ainsi que des innovations.

D’autres initiatives sont poussées dans les Hauts-de-France par les nouvelles ambitions régionales, comme le projet Simafond, autour du pôle I-Trans, dédié à la mobilité, aux transports terrestres et notamment ferroviaires. Le but est de rapprocher les savoir-faire de l’Université de technologies de Compiègne, l’Ecole centrale de Lille, et le centre de transfert de compétences CM2T Ingénierie, pour produire des pièces ferroviaires dans une fonte particulière, un alliage de fer et de carbone plus léger et économique que l’acier.

Mathieu Neu

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