Entrepreneurs : « décrocheurs de lune »

Un petit bout de Saint-Didier-au-Mont d'Or en orbite...
Un petit bout de Saint-Didier-au-Mont d'Or en orbite...

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Il était une fois deux étudiants de l’Insa qui avaient la tête dans les étoiles et qui sont allés au bout de leur rêve, en mettant en orbite un satellite… Le premier d’une longue série.

Baïkonour, à 200 km de la mer d’Aral au Kazakhstan, 19 avril 2013. A l’issue d’un lancinant compte à rebours, la fusée Soyouz semble s’ébrouer lentement, alors que ses puissants moteurs crachent un nuage de fumée s’étiolant dans les steppes alentours. Stanislaw Ostoja-Starzewski et Spas Balinov, les deux amis de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon, les yeux humides, ne sont pas présents en simples spectateurs. La puissante machine porte en elle leur bébé, un nanosatellite de télécommunication destiné à être mis en orbite. Un accès à l’espace à faible coût, et surtout l’aboutissement de quatre années de travail acharné de ces fondateurs de la start-up NovaNano à Saint-Didier-Au-Mont d’Or, près de Lyon.

Un pari fou

La jeune pousse rhodanienne, seule à développer une telle technologie en France, est le fruit d’une rencontre entre deux passionnés d’espace à l’Insa. « Nous faisions partie du club étudiant de construction de fusées expérimentales et avons gagné des concours », se souvient Spas Balinov. Tout était à faire dans cette branche émergente du secteur spatial où des universitaires concoctaient des prototypes de nanosatellites chacun de leur côté. Les deux étudiants, ayant l’intuition qu’il existait de nombreux clients, ont décidé d’industrialiser le développement via NovaNano, qui a intégré en 2007 l’incubateur Crealys. Pari gagné, puisque les retours deviennent vite concrets. « Des industriels et des pays ont un œil sur nos satellites, nous avons des contacts avec la Chine, l’Europe et l’Amérique », affirme Stanislaw Ostoja-Starzewski. Jeunes, pionniers dans un secteur de haute technologie, les deux associés avaient pourtant tout à prouver. « Nous avons construit notre société étape après étape, développant d’abord le « déployeur », qui est l’espace sur la fusée permettant la mise en orbite du satellite. Le deuxième objectif a consisté à gagner la confiance des lanceurs : les Russes de Progress, qui utilisent le pas de tir casaque, avaient l’habitude de travailler avec des grands du secteur spatial uniquement », se souvient le président de la société.

De la suite dans les idées

Atterrissage et fin de l’aventure ? Que nenni, plutôt le premier étage de la fusée, comme le révèle Stanislaw Ostoja-Starzewski : « Durant quatre années nous avons construit les capacités de développement de nanosatellites de télécommunication, prouvant que nous maîtrisons toute la chaîne pour la mise en orbite. Nous fabriquons maintenant notre propre satellite. » Mais pour quelles applications ? « Les nanosatellites sont au même stade que les ordinateurs à la fin des années 70, quand même leurs concepteurs se demandaient à quoi ils allaient servir exactement. Nous savons fabriquer ces CubeSats de moins d’un kilo, à un million d’euros environ. Mais pour quel client ? Quel public ? Quelles solutions sont les plus pertinentes ? », s’interrogent les fondateurs, qui ont fini par identifier quelques applications susceptibles d’intéresser des industriels comme les compagnies pétrolières. Celles-ci pourraient devenir des clients de lancement. « Le satellite est un relais d’informations. Il semble des plus utiles dans les zones mal ou non couvertes en 2G, 3G et 4G, qui ne se situent pas en France, mais plutôt autour des pipelines ou forages de zones désertes. Dans les océans aussi, les bateaux ont leur propre système, mais il est toujours impossible de « tracer » les containers, de savoir s’ils sont été ouverts, de connaître leur position exacte. Notre système permet de contrôler l’actif de valeur détenu par l’industriel client, qui ne peut utiliser les réseaux terrestres », esquisse Stanislaw Ostoja-Starzewski. Après mûre réflexion sur le modèle économique, les deux jeunes diplômés de l’Insa en sont venus à l’approche service : NovaNano proposera la balise, et deviendra fournisseur de données durant une période prédéfinie.

Deux caractères hors norme

La question brûle dès lors toutes les lèvres : comment Stanislaw Ostoja-Starzewski, 29 ans, Polonais d’origine, et son compère Spas Balinov, 30 ans, lui d’origine bulgare, sans réseau et sans fonds conséquents au départ, ont pu tracer leur route ? Nul doute que passion, persévérance et force de conviction ont été de puissants moteurs dans un secteur qui explose, où des sociétés spécialisées dans les satellites ultra-miniaturisés lèvent 13 millions de dollars en un tournemain aux Etats-Unis. « C’est un moment historique, il ne faut pas laisser passer le train », s’accordent les ingénieurs entrepreneurs, qui ont profité du programme international de l’Insa, et selon qui « l’âge n’a pas été un obstacle. Les gens s’attendent à trouver des jeunes dans un tel univers de rupture ». De même le financement n’a pas été si problématique : 500000 euros d’investissements privés, un million d’aide publique, notamment de la Région. La base industrielle de Rhône-Alpes, et donc la possibilité de trouver des partenaires technologiques à Grenoble, les dispositifs affairant à la première phase de développement, comme l’incubateur Crealys ou le concours national d’aide aux entreprises innovantes d’Oseo, les aides de la Région, du Département et du réseau Entreprendre ont été déterminants. Le perfectionniste Stanislaw Ostoja-Starzewski perçoit tout de même quelques bémols, « le capital risque étant quasi-inexistant ou inadapté aux ambitions mondiales. De même les dessertes réduites de l’aéroport sont un handicap, car nos clients et prospects sont situés partout dans le monde ». C’est cette même lucidité implacable qu’il emploie pour décrire son école : « L’Insa permet d’atteindre un niveau technique redoutable pour comprendre les problématiques d’un tel secteur de pointe. En revanche l’esprit entrepreneurial n’y est pas encore suffisamment développé », citant en exemple Skoltech, une université privée récemment fondée à Moscou en collaboration avec le MIT, où 50% du temps est consacré au développement d’une start up. « Le monde évolue dans cette direction, il suffit d’observer les études sur les jeunes diplômés des grandes écoles américaines », pointe Stanislaw Ostoja-Starzewski, irrité par la pusillanimité française et les freins au développement depuis deux ans, alors que son entreprise est précisément en route vers les sommets. La course aux étoiles exige une ambition et une exigence d’excellence. Les deux fondateurs de NovaNano l’ont parfaitement intégré..

Julien Tarby

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