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La tech pensante

Un écosystème a besoin de locomotives pour se construire

French Tech Woman. Chez Clara Chappaz, l’école est une histoire de famille : sa maman était professeure de physique-chimie, ses grands-parents également étaient profs. « Heureusement j’aimais beaucoup l’école », sourit la jeune femme. En réalité, avait-elle réellement le choix ? Son papa, lui, était entrepreneur. Alors Clara Chappaz a réuni le meilleur du public et du privé. Des start-up à la Mission French Tech. De l’aventure entrepreneuriale pur jus à l’administration d’un écosystème qu’elle connaît sur le bout des doigts. « Je crois dans le service public, et notamment dans sa capacité à apporter un maximum aux entreprises », assure Clara Chappaz. Un parcours sans fausse note : une classe préparatoire au lycée Saint-Louis à Paris, l’Essec, et même un MBA à Harvard quelques années plus tard. À se demander ce que Clara Chappaz est allée faire dans cette galère… celle de l’entrepreneuriat, des start-up ! De ses expériences marquantes, retenons la création de la plateforme Lullaby, dédiée aux vêtements d’occasion pour enfants, ou encore son passage à Zalora, déclinaison asiatique de Zalando où elle exercera divers postes de responsabilité pour le marché thaïlandais. Last but not least, c’est sans doute Vestiaire Collective qui marquera son ascension, une des rares licornes françaises, qu’elle rejoint en 2019. Elle y fera évoluer le business model, s’occupera d’une stratégie de développement aux États-Unis, avant d’être nommée chief business officer et superviser toutes les régions de la plate-forme (Europe, États-Unis, Asie) ainsi que le pôle marketing et marque. Au bout de trois ans, Clara Chappaz, curieuse insatiable, veut voir autre chose et se lancer de nouveaux défis. Ce sera finalement la French Tech. Après le départ de Kat Borlongan, Clara Chappaz prend officiellement les rênes de la Mission French Tech le 1er novembre 2021. Avec des idées plein la tech. Entretien.

La Mission French Tech, c’est quoi ?

IL L’A DIT…
Maximilian Bittner, CEO de

Vestiaire Collective

« Ce qui rend Clara unique, c’est l’étendue de l’expérience de gestion qu’elle a acquise en travaillant dans l’univers tech et mode en Asie, en Europe mais aussi en étudiant aux États-Unis. Clara a pris le risque de ne pas suivre une route toute tracée, ce qui lui permet d’avoir une expérience beaucoup plus large que la plupart des personnes de son âge. Elle a connu les hauts et les bas, a été obligée de prendre des décisions difficiles, ce qui est un élément clé dans la gestion d’une entreprise. C’est ce qui lui permet aujourd’hui de démontrer une grande maturité ainsi qu’une approche très créative », lors d’un entretien accordé au journal Forbes en janvier 2022.

D’abord, il ne faut pas confondre French Tech et Mission French Tech. La French Tech, c’est une marque déposée, qui appartient à l’État. Une marque justement animée par la Mission French Tech, l’administration que je dirige. Il y a dix ans, quand le terme French Tech est apparu, l’ambition du gouvernement était celle-ci : si on veut exister en tant que pays entrepreneurial de la tech à l’échelle mondiale, il faut créer un dynamisme et faire en sorte que tous les acteurs travaillent ensemble. Entrepreneurs, investisseurs, État, associations, etc. D’où la création de la Mission French Tech, l’écosystème existait, certes, mais il fallait le rassembler. Notre pays a cet ADN entrepreneurial.

Notre mission donc, faire le lien entre l’État et l’univers de la French Tech. Très concrètement, nous ne finançons pas les entreprises, mais nous les accompagnons. Notre rôle, par exemple, c’est d’accélérer les dispositifs qui existent pour permettre à chacun de pouvoir se lancer, où qu’il soit. On essaie de débloquer les entreprises sur leurs enjeux, j’étais il y a peu au téléphone avec un entrepreneur en quête d’un site industriel en plein Paris pour ouvrir sa première usine, c’est compliqué. Notre rôle aussi, c’est de faire remonter à l’État les besoins systémiques des entreprises. Orienter les politiques publiques en faveur de l’écosystème que l’on représente et défend, l’aboutissement du French Tech Visa en est la parfaite illustration. On anime un réseau, via nos présences sur les salons professionnels. Bref, on facilite les relations entre l’écosystème French Tech et les ministres, l’État.

Vous avez été nommée directrice de la Mission French Tech en novembre 2021, comment fonctionne le processus ?

Notre pays a cet ADN
entrepreneurial

Il existe un jury, composé de six membres, qui proposent une personne au secrétaire d’État chargé du Numérique, en l’occurrence Cédric O à l’époque. Parmi les membres du jury, vous trouviez notamment Jean-Charles Samuelian-Werve, le fondateur d’Alan. Ils ont vu une quinzaine de personnes et ont finalement sélectionné mon profil. Pour l’anecdote, Cédric O voulait à l’époque absolument quelqu’un issu de l’administration… raté car jusqu’à la Mission French Tech, je n’y avais jamais mis les pieds ! Le mandat dure trois ans, renouvelable une fois. Les équipes de la Mission French Tech se constituent d’une trentaine de personnes, nos bureaux sont situés à STATION F, hormis moi qui possède aussi un bureau à Bercy. Nous sommes en fait des contractuels, employés par la DGE (direction générale des entreprises, ndlr). On fonctionne en réseau, avec des Capitales et Communautés French Tech un peu partout en France et à l’international.D’ailleurs, pour bien faire comprendre que nous sommes un acteur public, nous venons tout juste de refonder notre site Internet, qui reprend les codes d’un site d’État.

Vous fêtez donc vos dix ans, quels enseignements vous tirez pour l’écosystème ?

Au cours des dix dernières années, l’entrepreneur qui a réussi dans la French Tech, si je caricature : c’est un homme, le plus souvent en région parisienne, passé par HEC ou Polytechnique

En 2023, je crois que l’écosystème au sens large a atteint une véritable maturité. Avec 25 000 start-up dans la French Tech. En 2018, quand Xavier Niel ouvre Station F, l’objectif était d’accueillir 1 000 start-up. La réaction des gens ? « Est-on bien sûr qu’il existe au moins 1 000 start-up en France ? » Vous voyez, on a fait du chemin ! Quand on demande aux jeunes ce qu’ils veulent faire plus tard, moins de 5 % d’entre eux répondaient entrepreneurs en 2013, c’est plus de 50 % aujourd’hui*. Idem quand on se penche sur le financement, moins de 1 milliard d’euros levés en 2013, contre 13,5 milliards l’an passé. Plus d’un million de personnes travaillent dans la French Tech et deux tiers des Français achètent et utilisent leurs produits et services régulièrement.

*52 % des jeunes de 18-24 ans veulent devenir entrepreneurs selon une enquête publiée par OpinionWay en mars 2023

À la Mission French Tech, vous n’accompagnez pas les 25 000 start-up dont vous parlez ?

On accompagne en direct 250 start-up sur ces 25 000. Et ce en fonction des priorités stratégiques de l’État. En 2019, on a créé le programme French Tech Next40/120. À travers lequel l’État accompagne les entreprises dont le poids dans l’économie française de demain sera encore plus important qu’aujourd’hui, de par les emplois et la valeur qu’elles créent, et leur développement par-delà nos frontières. Un écosystème a besoin de locomotives pour se construire. Il faut des « grands » qui tirent tout le monde vers la croissance.

Quels sont les grands défis pour demain ?

LE CHIFFRE
200

C’est le nombre d’événements labellisés qui auront lieu en France et à l’étranger, du 16 au 22 octobre, à l’occasion des dix ans de la French Tech. Plus de 65 régions et pays devraient participer à la promotion de l’écosystème tech français. Ateliers, rencontres, tables rondes, remises de prix et salons seront au rendez-vous pendant cette semaine qui se veut la plus représentative possible des possibilités qu’offre la French Tech. Tous ces événements se répartiront en 24 thématiques, parmi lesquelles : emploi, santé, éducation, quantique, parité, transition écologique, financement, numérique, attractivité internationale, innovations de rupture, etc.

Le premier, c’est la réindustrialisation. Car la connaissance des start-up maintenant est actée : on commande un BlaBlaCar, on paie ses amis avec Lydia, et on surveille son compte bancaire avec Qonto. L’écosystème s’est fait une place. Maintenant donc, les start-up, elles aussi, doivent participer à la reconquête de notre industrie. Et ainsi retrouver notre souveraineté, notre indépendance. Après cette expérience des dix ans s’ouvre un pan entier d’innovations. La France doit créer des géants technologiques, et notamment industriels.

Le second, c’est l’ouverture. Rendre la French Tech plus accessible, à tous et notamment à toutes. Au cours des dix dernières années, l’entrepreneur qui a réussi dans la French Tech, si je caricature : c’est un homme, le plus souvent en région parisienne, passé par HEC ou Polytechnique, qui a monté une boîte en fintech. Je grossis le trait volontairement, mais vous voyez l’idée. Alors le défi ces dix prochaines années, il faudrait que l’on ait davantage de femmes qui se lancent, pourquoi pas docteures, qui décident de s’attaquer à la réindustrialisation du pays. Je le rappelle, moins de 10 % des start-up sont cofondées par des équipes 100 % féminines, et 88 % des fonds levés s’orientent vers des jeunes pousses 100 % masculines.

Comment vous agissez concrètement pour faire évoluer la parité au sein de l’écosystème ?

Nous avons notre programme Tremplin, qui permet chaque année d’accompagner 400 entrepreneurs qui ne sont pas forcément issus du milieu de la tech, via par exemple une bourse qui servira à financer les premières dépenses. En parallèle, des ateliers de travail existent et sont mis en place justement pour aboutir à des engagements concrets et communs, avec un credo : que peut-on faire pour changer les choses ? Ce n’est pas parce que l’on est dans un univers start-up que l’on est forcément moderne sur ce point. Quand on ne mesure pas, on reproduit les mêmes erreurs, celles que l’on croît parfois appartenir à l’ancien monde, misogyne. Nous avons également lancé en 2022 un pacte parité pour faire progresser significativement et durablement l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’écosystème start-up français. Un travail de fond doit s’opérer, rendons les process de recrutement plus inclusifs, formons les managers aux biais de genre.

Avez-vous déjà ressenti un syndrome de l’imposteur dans cet univers, précisément parce que vous êtes une femme ?

Clara ChappazOn a tous des biais, et je n’échappe pas à la règle. Je ne compte même plus les réunions auxquelles j’ai participé où j’étais la seule femme. C’est étrange comme sensation, parfois je me demandais ce que je faisais là. Avec le recul, je m’en veux sur certaines choses : pourquoi était-ce moi qui proposais le café, presque spontanément, à la fin des réunions entièrement constituées d’hommes ? Même chose quand je commençais mes phrases « peut-être que… », cela j’ai arrêté !

Quel est votre style de management ?

Je crois avant tout à la dimension collective. Sur chaque question, je sais très bien qu’il existe tant de gens bien plus experts que moi. Mon rôle alors, c’est de mettre les bonnes personnes au bon endroit. Créer une impulsion, une dynamique. Mais plus globalement, en raison de ma position au sein de la Mission French Tech, je ne manage pas des start-up mais les représente. Je suis une porte-parole. En conférences, en interviews, ou dans des salons, ma mission est toujours d’expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons, et valoriser les entreprises que nous accompagnons.

Au cours de toutes vos expériences, avez-vous eu des mentors ?

Moins de 10 % des start-up sont cofondées par des équipes 100 % féminines

Évidemment, il y en a tellement, difficile de n’en citer que quelques-uns. Mais je crois que j’ai eu un lien particulier avec l’un de mes tous premiers managers, José Ojeda. J’étais toute jeune, 25 ans, et je m’occupais des newsletters d’une start-up en Thaïlande, Zalora (déclinaison asiatique de Zalando, ndlr). C’est grâce à lui que, pour la première fois, je me suis retrouvée en position de manager. José voulait que je reprenne l’équipe marketing, soit 35 personnes. Je ne parlais pas le thai, j’ai répondu non. « Je ne te demande pas si tu le veux, je te dis que tu vas le faire », m’avait-il dit. Aujourd’hui, je suis vraiment reconnaissante, je le remercie. Parfois, il faut quelques personnes qui vous forcent un peu la main pour vous ouvrir la voie.

Et si je peux citer une autre personne, ce serait Louis (Fleuret, ndlr), directeur adjoint de la Mission French Tech. Quand j’ai été nommée en 2021, je venais du monde des start-up, du privé, et je me retrouve dans l’administration, je n’avais pas les codes. Eh bien c’est lui qui m’a accompagnée. Louis est dédiée à la Mission French Tech, c’est un appui essentiel.

Si l’on remonte le temps, qu’est-ce que vouliez faire plus jeune ?

Je voulais tout faire plus jeune ! Un jour vétérinaire, le lendemain astronaute, et toujours avec beaucoup de convictions du jour au lendemain. La curiosité, c’est vraiment un trait de ma personnalité, mes voyages en témoignent, j’ai vécu aux quatre coins du monde, j’apprends des autres. Aujourd’hui, je pense toujours au présent et ne réfléchis jamais trop à l’après. Ce que je fais à la Mission French Tech est passionnant, j’ai du mal à imaginer que cela puisse s’arrêter un jour.

Que faites-vous lorsque vous avez un peu de temps libre ?

Je suis devenue maman il y a environ un an. La maternité, voilà une grande découverte qui prend évidemment du temps (rire). Mon temps libre, je le consacre donc à ma fille, qui est à un âge où beaucoup de choses se passent chaque jour. J’essaie au mieux de concilier mon activité très prenante de la French Tech et le temps familial.

J’aime découvrir de nouvelles choses. C’est ce qui me caractérise. J’ai vécu un peu partout dans le monde pour m’enrichir des autres, à Singapour, en Thaïlande, à Hong kong, aux États-Unis. Entre autres. Je retire toujours de l’énergie des gens.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince.

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