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Entrepreneur en liberté
Tout le monde
peut devenir
entrepreneur, mais
l’entrepreneuriat
n’est pas fait pour
tout le monde
« J’ai été révélé au grand public grâce à l’émission », dixit Éric Larchevèque.
L’entrepreneur investisseur parle bien sûr de « Qui veut être mon associé ? », le programme de M6 au succès croissant. Pourtant, avant la lumière, Larchevêque a longtemps travaillé dans l’ombre, du moins dans un monde d’initiés. Un univers « hardware » que seul lui et les lecteurs d’Electronique Pratique, magazine pour lequel il rédige des piges en parallèle de ses cours, peuvent comprendre. De la réalisation de logiciels, avec son entreprise France Cybermédia, à Ledger, LA licorne référente des solutions de sécurité pour cryptoactifs. Éric Larchevêque, c’est une tête bien faite passée par l’école d’ingénieur ESIEE de Marne-La-Vallée. Mais avec un grain de folie en plus, celui qu’il faut pour emprunter la voie de l’entrepreneuriat plutôt que celle des grands groupes et des carrières toutes tracées. Pas de mentor, ni de modèle, l’autodidacte teste et apprend, échoue et rebondit. Avant de réussir. Convaincu qu’un jour le « bon sens » finirait par payer. Ou l’instinct, celui qui lui permet de devenir joueur professionnel de poker – et même de s’inviter sur le podium français. Aujourd’hui, pour Éric Larchevêque, place à la transmission. Notamment via les conseils qu’il livre aux entreprises dans lesquelles il investit, mais aussi, depuis quelques mois, grâce aux masterclass qu’il donne dans son nouveau chez-lui : un domaine rénové à quelques kilomètres de Vierzon, dans le Cher (fief reculé, que l’on a commencé à situer grâce à l’immense Jacques Brel). Là où il a grandi. Là où tout a commencé, entre les cabanes dans les bois et son obsession pour l’ordinateur et ses infinies possibilités. Éric Larchevêque a bel et bien trouvé ce qu’il cherchait dès son adolescence : la liberté.
Entretien.
SUR VOS ÉCRANS
« Qui veut être mon
associé ? » saison
4, qui seront les
investisseurs ?
La nouvelle saison de
« Qui veut être mon
associé ? », programme
phare du groupe M6
qui vise à démocratiser
l’investissement et
l’entrepreneuriat, s’apprête
à être diffusée début 2024.
Cette année, les porteurs
de projets viendront
convaincre un jury qui a fait
place à de nouveaux visages
de l’investissement. Parmi
elles : Stéphanie Delestre, la
fondatrice de la plate-forme
de recrutement Qapa ;
Kelly Massol, créatrice de la
marque de soins capillaires
« Les secrets de Loly » ;
ou encore la légende du
basket Tony Parker, devenu
entrepreneur-investisseur
après sa carrière sportive
de haut niveau. Les trois
investisseurs rejoindront les
habitués de l’émission : Éric
Larchevêque (Ledger), Marc
Simoncini (Angell), Anthony
Bourbon (Feed), et Jean-
Pierre Nadir (EasyVoyage).
À dix ans, vous faites connaissance avec… un ordinateur, c’est le coup de foudre ?
Je vais chez un ami, j’ai dix ans, et je découvre pour la première fois un ordinateur : le Thomson TO7-70. Je me retrouve complètement obnubilé par l’appareil, qui possédait déjà à l’époque, dans les années 1980, un logiciel de dessin. L’ordinateur représentait pour moi quelque chose de nouveau, un espace infini, de nouvelles possibilités. Il m’a fasciné, au point que j’ai tanné ma maman de m’en acheter un. Elle a eu l’intelligence de comprendre que ce n’était pas un simple caprice, mais que l’ordinateur m’avait vraiment interpellé, je me revois construire des claviers en carton…
Pourtant, vos parents étaient étrangers à ce milieu de l’informatique ?
Absolument. Je suis né à Boulogne-Billancourt d’un père porcelainier et d’une mère danseuse à l’opéra de Paris. La porcelaine, c’est une histoire familiale, puisque mon grand-père avait créé une usine en Sologne, reprise par mon père donc. Hélas elle n’a pas su résister à la concurrence allemande et à l’automatisation : avec la baisse des prix, l’entreprise a fini par couler et l’usine a été rasée. Donc effectivement, l’informatique dans la famille, mais comme dans beaucoup de foyers à l’époque, on n’y était pas familiers.
Vous suivez ensuite des études en école d’ingénieur ?
Me voilà revenir en Île-de-France, alors que j’avais quitté Paris enfant parce que l’on m’avait détecté un souffle au coeur. Les médecins avaient préconisé à mon entourage de vivre au grand air, à la campagne. C’est donc du côté de Vierzon que j’ai grandi. Les années ont passé, j’allais mieux, et j’ai rejoint la capitale pour le lycée et ensuite l’école d’ingénieur, l’ESIEE à Marne-la-Vallée. C’était à l’époque la seule école à disposer d’une salle blanche, où l’on pouvait graver du silicium et ainsi fabriquer des microprocesseurs. Ma lubie, c’était de comprendre le fonctionnement des ordinateurs, dans leur architecture.
À côté de vos études, l’entrepreneuriat se dessine peu à peu ?
Ce que je veux moi, c’est créer quelque chose qui
marquera plusieurs
générations
Déjà au lycée vous voulez dire ! On s’amusait avec des copains à pirater des jeux pour les revendre… non ce n’était pas très légal. On se débrouillait pour faire un peu d’argent de poche. Pendant l’école d’ingénieur, c’était plus sérieux puisque l’on a commencé, avec mon binôme [Laurent Lellu, ndlr), à rédiger des piges pour un magazine, Electronique Pratique. Avant d’écrire en 1999 un bouquin : Montages avancés pour PC. Le livre connaît un petit succès, car les gens s’intéressent aux sujets nouveaux. On crée un site web pour le magazine Electronique Pratique, notre business se précise.
Monter son entreprise, c’était très flou à l’époque. L’école ne nous apprenait rien sur l’entrepreneuriat, mes études me condamnaient à travailler dans de grandes entreprises, ce que je rejetais. Pour apprendre à monter un business, j’ouvre un livre qui me sert encore aujourd’hui : La création d’entreprise, de Robert Papin. Au passage, c’est grâce à cet ouvrage que j’ai retenu un des plus précieux conseils pour réussir dans l’entrepreneuriat : savoir diriger c’est savoir s’entourer. On monte notre entreprise de création de sites web, France Cybermédia, pour 50 000 francs de revenus chaque mois, mes potes ingénieurs ne comprennent pas trop. Problème, pour croître il fallait beaucoup recruter, on a jeté l’éponge pour une autre aventure : Carpe Diem, qui deviendra l’une des premières plates-formes françaises de divertissement pour adultes.
LE LIVRE
Entreprendre
pour être libre
« Je vais vous raconter mon
histoire, autour d’une liste
de principes qui ont guidé
et balisé mon parcours.
Vous y découvrirez
comment j’ai lancé ma
première entreprise, et
pourquoi je l’ai abandonnée
pour changer de cap. Vous
suivrez mes pérégrinations
en Roumanie, en
Lettonie, puis autour du
monde lorsque je me
suis improvisé joueur de
poker. Vous y lirez toute
l’aventure de Ledger, sa
création, ses succès et
ses échecs, jusqu’à son
entrée au panthéon des
licornes, tandis que je
volais en éclats. Enfin, je
vous révélerai comment
j’ai rejoint le casting de Qui
veut être mon associé ?
Mais surtout, vous y
apprendrez pourquoi
vous devez vous faire
piquer votre idée, qu’il
ne sert à rien de faire
un business plan et que
réfléchir est parfois le
début du renoncement.
Je vous donne tous mes
conseils pour vous aider
à mieux entreprendre,
afin de d’accéder à la
réussite et à la liberté »,
Entreprendre pour être libre,
quatrième de couverture,
Éric Larchevêque, sortie
prévue le 17 janvier.
Et puis vous vous lassez ?
Avec Carpe Diem, on souhaite s’internationaliser. Je vais dans les pays de l’Est, notamment en Roumanie pour y monter une plate-forme, j’y recrute environ 70 personnes. Mais c’est vrai, au fil du temps, je me lasse et m’ennuie. Je décide de quitter l’opérationnel. Mais pour faire quoi ? Je continue mon aventure, en Lettonie cette fois, un pays en forte croissance. Mais là-bas, pour l’IT, le marché est trop petit. Alors je me lance dans l’immobilier, en m’associant avec un Français rencontré en Lettonie. On construit un hôtel à Riga, qui existe toujours aujourd’hui, et qui remonte peu à peu la pente après la crise de 2008, l’invasion de la Crimée par la Russie, la covid… et la guerre en Ukraine.
C’est aussi en Lettonie que vous apprenez le poker ?
Oui je rentre dans un casino et m’assois à une table de poker. Je maîtrise mal les règles, je joue et remporte le tournoi, la chance du débutant dira- t-on ! Le poker éveille ma curiosité, j’apprends à jouer beaucoup plus sérieusement. Et finis par devenir 7e à l’EPT (European Poker Tour, ndlr) de Copenhague. Je reste un temps 3e meilleur joueur français. Le poker occupe ma vie pendant deux ans, entre 2007 et 2009.
Au fond, je me dis, le poker ce n’est pas un métier. J’arrête tout pour fonder Prixing, un comparateur de prix, j’y reste un temps avant de revendre l’entreprise. Car ce que je veux moi, c’est créer quelque chose qui marquera plusieurs générations.
Vous finissez par jeter votre dévolu sur le bitcoin ?
Je m’intéresse peu à peu au bitcoin. Je ne comprends pas trop au départ : de l’argent numérique, est-ce vraiment de l’argent ? Je crois que je fonctionne par obsessions, car là encore je ne pense qu’au bitcoin, je veux tout comprendre de ce qui s’affiche peu à peu comme une révolution monétaire et technologique. Je me le dis : tu vas consacrer ta vie au bitcoin ! Mais comment procéder ? « Savoir diriger, c’est savoir s’entourer », le fameux conseil de Robert Papin ! D’où la naissance de la Maison du Bitcoin en 2014 à Paris, que je crée pour favoriser les bonnes rencontres, au sein d’une communauté qui croit en cette nouvelle monnaie d’échange, donc de confiance. Je rencontre notamment Nicolas Bacca et Joël Pobeda, et de ces trois entreprises (Maison du Bitcoin, BTChip et Chronocoin) naîtra Ledger, le leader des solutions de sécurité pour cryptoactifs.
Pourquoi avoir choisi le nom Ledger ?
On voulait un nom lifestyle, et un peu féminin. L’objectif n’étant pas de faire peur, le domaine est déjà assez complexe comme ça. Ledger, c’est aussi le synonyme de blockchain. Bref, le nom était tout trouvé.
C’est aussi un nom qui marquait déjà une ambition internationale ?
Ce qui compte pour moi
aujourd’hui : transmettre et partager mon expérience
On ne visait pas le marché français mais mondial. Ce qui suppose un passage par les États-Unis. Ledger doit parler à tout le monde. On est une entreprise française, on ne s’en cache pas, mais on raisonnait à l’international. On a opéré une première levée de fonds de 1,2 million d’euros auprès, entre autres, de deux business angels : Pascal Gauthier et Frédéric Potter. Pendant deux ans, en termes de ventes, c’était la traversée du désert, logique puisque l’on était en phase d’évangélisation. Fin 2016, on lève 5 millions d’euros auprès de Maif Avenir… notre ultime espoir avant d’abandonner. Derrière, d’autres investisseurs
nous financent, comme Tim Draper. Ledger décolle et connaît une croissance exponentielle : on passe de 100 000 euros à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires… imaginez ! On atteint les 200 collaborateurs.
Une parenthèse enchantée, car en 2019 vous êtes contraints de couper dans vos effectifs ?
Avec la baisse du bitcoin, Ledger connaît de grandes difficultés en 2018. Pas d’autre choix, on restructure et on commence par le haut. Cela signifie que je cède ma place à Pascal Gauthier, je quitte l’opérationnel. Aujourd’hui, mon rôle au sein de Ledger ? En être le premier actionnaire, c’est tout.
Avec Ledger, vous avez permis de dynamiser la ville de Vierzon…
POURQUOI
A-T-IL REJOINT
LE BLAST.CLUB ?« Rejoindre le Blast.Club
c’est pour moi l’opportunité
de participer à un projet
qui permet de lever du
capital start-up rapidement
tout en garantissant
une structuration de
deal respectueuse de
l’entrepreneur […] La
capacité de fédérer une
communauté importante
d’ambassadeurs investisseurs engagée est
un avantage considérable. Cela permet d’aller vite et fort dans la promotion des
produits ou services des
start-up sélectionnées »,
déclarait Éric Larchevêque
lors de l’annonce de son
entrée au Blast.Club.
Pour rappel, lancé le 18
octobre 2022 par Anthony
Bourbon, le Blast.Club
permet à tous d’investir
dans des start-up prometteuses, jusqu’alors
inaccessibles pour les
particuliers, avec des tickets
à partir de 1 000 euros.
C’est peut-être difficile à croire mais oui Vierzon accueille bien une licorne spécialisée dans les cryptos. Environ 70 personnes travaillent sur le site de Vierzon. Les gens travaillent pour Ledger, avant de travailler à Vierzon. C’est tout l’enjeu d’une forte marque employeur, pour attirer les talents. Sans compter la proximité géographique avec Paris, à un peu plus d’une heure en train. Ledger a modifié la trajectoire économique de Vierzon (la ville souffrait d’un fort taux de chômage dans les années 1990, l’un des plus élevés en métropole, ndlr).
Éric Larchevêque, malgré toutes ces aventures, il a fallu attendre 2019 pour réellement vous faire connaître du grand public ?
Oui, c’est l’émission « Qui veut être mon associé ? » qui m’a fait connaître. C’est grâce à Pascal Gauthier que j’ai pu rencontrer les producteurs. Moi, j’avais envie de faire une émission télé. Au départ j’étais remplaçant puis les producteurs m’ont trouvé très à l’aise face à la caméra. Ce que je ne leur ai pas dit, c’est que j’avais regardé l’équivalent de 200 heures d’épisodes de « Shark Tank » (la version américaine de l’émission). J’adore le concept, qui a une vraie visée pédagogique, de démocratisation de l’investissement et de l’entrepreneuriat. Quand on arrive sur le plateau, on découvre les projets, les entrepreneurs… on ne sait rien en amont !
Comment prendre une décision d’investissement en quelques minutes ?
J’observe avant tout le porteur de projet, comment il se comporte. Est-ce qu’il est pro ? À l’écoute ? Est-ce qu’il connaît bien ses chiffres ? Ensuite, je me penche sur le secteur d’activité : il faut avoir envie d’investir dans tel ou tel domaine, car je le rappelle, on investit évidemment notre propre argent ! Essentiel aussi de savoir si l’on sera en mesure d’apporter une plus-value, par nos conseils, à l’entreprise. Bien sûr, entre en compte tout l’aspect business. La valorisation reste très importante, mais nous n’avons pas qu’une calculette dans la tête.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui compte finalement le plus pour vous ?
Transmettre et partager mon expérience. C’est pourquoi dans un domaine que j’ai récemment rénové, non loin de Vierzon, j’accueille dans le cadre de masterclass des entrepreneurs désireux de franchir une étape dans leur développement. Ils me sollicitent pour des conseils, le tout dans un cadre neutre, naturel, et apaisant.
Le mot de la fin. Un conseil à donner aux futurs entrepreneurs qui nous lisent ?
Tout le monde peut devenir entrepreneur, mais l’entrepreneuriat n’est pas fait pour tout le
monde. Monter sa boîte nécessite du travail, de la détermination, de la résilience, c’est un sacrifice. On n’entreprend pas pour l’argent mais par passion. Moi, par exemple, j’ai entrepris pour être libre.
PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFREY WETZEL ET JEAN-BAPTISTE LEPRINCE