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Notre défi pour les années qui
viennent : convaincre que les start-up sont des PME comme
les autres

Elle fait partie des « 100 » du dernier numéro anniversaire d’ÉcoRéseau Business. Et s’invite donc parmi celles et ceux qui ont marqué la décennie. Et pour cause, Maya Noël a été nommée en 2021 au poste de directrice générale de France Digitale, considérée comme la première organisation de start-up en Europe. Son objectif ? Faire des jeunes pousses qu’elle accompagne des champions européens du numérique ! L’ancienne chasseuse de tête, passée par Toulouse Business School, le sait : la réussite des start-up passera avant tout par le recrutement. Trouver les bonnes personnes, de tous les horizons. Et, surtout, faire un peu plus de place aux femmes– encore trop éloignées de la start-up nation. Plus qu’une dirigeante, Maya Noël se voit surtout comme une porte-parole de tout un écosystème en quête de notoriété. « La phase où les start-up ont su montrer qu’elles existaient est derrière nous […] Maintenant, elles doivent convaincre qu’elles sont des PME comme les autres, où l’on y fait carrière », défend Maya Noël. C’est tout le défi de France Digitale au cours des prochaines années. Avec en tête le triptyque : « talents, financement et clients ». Sans oublier le volet réglementaire, « on lutte pour lever les freins qui empêchent nos entreprises d’innover», précise l’entrepreneure. La jeune Franco-Thaïlandaise sait persévérer, elle qui a vu son entreprise liquidée en 2019 – la plate-forme de recrutement Yborder. Quel rebond ! « Je regarde toujours le verre à moitié plein », sourit l’optimiste, persuadée de la nécessité de « toujours avancer ». Ce qu’elle aime chez France Digitale, c’est aussi ce qui lui plaît dans sa vie perso : l’altérité. Son temps libre ? « Les voyages, recevoir et cuisiner pour les autres […] quand il me reste du temps après m’être occupée de mes enfants évidemment ! » Heureusement pour elle, Maya sait déconnecter quand il le faut et échappe aux nuits blanches que peuvent connaître nombre d’entrepreneurs. Entretien.

Les chiffres clés
sur l’emploi des
start-up en France

■ 1 100 000, le nombre
total d’emplois générés
par les start-up
■ 1 emploi sur 25 est créé
grâce aux start-up
■ 85 % des emplois
sont en CDI
■ 1 emploi sur 3 est
occupé par une femme
■ 40 % des emplois
se situent hors
Île-de-France
■ 30, le nombre moyen
d’emplois par start-up

Source : étude France Digitale 2023,
en partenariat avec Actual Group

Crédit : David Arous
Crédits : David Arous

Quel est le rôle de France Digitale et comment fonctionne l’association ?

L’association est née en 2012, à l’heure du mouvement des Pigeons (ces entrepreneurs qui fustigeaient les réformes de la fiscalité induites par le Budget 2013 considérant qu’elles allaient décourager les créations d’entreprises, ndlr). Une cinquantaine d’entrepreneurs et investisseurs au départ, et puis le mouvement France Digitale a pris de l’ampleur. L’association compte aujourd’hui plus de 2 000 start-up membres, pour un écosystème global d’environ 15 000 entreprises. Nous sommes une vingtaine de personnes permanentes, auxquelles il faut ajouter les 20 membres qui composent le conseil d’administration, élus par nos 2 000 membres. Le roulement est important, puisque l’on compte une élection tous les deux ans. Chaque année donc, la moitié du board est réélue. Une manière de porter des messages différents.

Au début, la vocation de France Digitale : faire connaître les start-up, leurs enjeux, ainsi que le métier d’investisseur en capital-risque. Soit un vrai rôle de pédagogie. La naissance de France Digitale a permis aussi de faire émerger un porte-parole d’un écosystème, un représentant qui allait défendre les intérêts des jeunes pousses auprès des pouvoirs publics.

Et aujourd’hui alors, vos missions ne sont plus les mêmes ?

Disons qu’elles ont évolué. À se demander même si notre nom n’est pas dépassé ! On s’appelle « France Digitale » mais on raisonne à l’échelle européenne, pas uniquement française… on a envie de faire de nos start-up européennes des champions qui puissent concurrencer le reste du monde, l’Amérique et l’Asie. C’est le cap que nous nous sommes fixé, notamment depuis ma nomination au poste de directrice générale en 2021. Et « digitale », aujourd’hui le numérique transcende tous les secteurs, il est partout. Alors on réfléchit à un changement de nom, mais notre appellation est reconnue de tous, du grand public. France Digitale a un côté statutaire. Changer, c’est prendre le risque de brouiller les pistes. Notre boussole globalement, sans surprise, c’est l’innovation. Cela fait dix ans que nous avons effectué ce travail de vulgarisation des start-up. Que l’on montre qu’elles existent. Vous savez, à l’époque, sur les forums étudiants des grandes écoles de commerce, on voyait Google, Deloitte, etc. Les start-up, elles, n’avaient pas leur place, on n’y pensait pas. Aujourd’hui, elles sont davantage connues, mais tout le monde ne les envisage pas encore. Peut-être à cause d’une image trop geek ou élitiste. Voilà notre défi actuel et pour les années qui viennent : convaincre que les start-up sont des PME comme les autres, où l’on peut s’épanouir et progresser peu importe son âge, son sexe, son diplôme ou ses origines.

Finalement, j’ai une seule compétence : connecter les gens et synthétiser les choses !

Le recrutement, c’est ce qui empêche le plus les start-up de se développer ?

Oui, recruter les bonnes personnes est sans doute le principal frein au développement des start-up. Il y a quelques années, c’était notamment lié à un problème de notoriété, de marque employeur. Mais même si ces entreprises ont réussi à se construire une image plus sexy, des problèmes subsistent : la formation n’a pas suivi l’envolée du nombre de start-up. Il suffit de se pencher sur le métier de développeur, l’on manque cruellement de ce type de profil en France, or c’est le poste dont les entreprises ont le plus besoin ou presque ! À titre d’exemple, vous trouvez environ 1 développeur pour 10 offres sur le marché, le déséquilibre est énorme. Ajoutez à cela que ces mêmes développeurs séduisent aussi la concurrence internationale. Un diplômé français, aujourd’hui, a le choix entre l’Europe, mais aussi l’Amérique et l’Asie. Aux États-Unis, on n’hésite pas à payer très cher les talents.

Et en termes de parité aussi, il y a encore du travail ?

C’est simple, au sein des 29 licornes françaises, une seule a été fondée par un groupe mixte : Vestiaire Collective. Sans compter que le secteur reste évidemment très genré. Sur les 1 100 000 emplois directs et indirects générés par les startup, 30 % sont occupés par des femmes. Un chiffre qui tombe à 12 % si l’on regarde uniquement les dirigeants. Plus on monte dans les échelons, moins l’on a de chance de croiser des femmes.

ILS L’ONT DIT…
Frédéric Mazzella et
Benoist Grossmann,
co-présidents
du conseil
d’administration
de France Digitale
« Maya Noël a su convaincre
le Conseil d’administration
grâce à la pertinence de son
parcours entrepreneurial
et à ses ambitions.
Elle saura positionner
l’association comme un
acteur incontournable de
l’écosystème tech français
et européen », lors de la
nomination de Maya Noël
à la direction générale de
France Digitale en 2021.

Comment vous expliquez ce manque criant de femmes au sein des start-up, et, surtout, comment y remédier ?

Le déséquilibre entre femmes et hommes se manifeste déjà dans l’enseignement supérieur (lui-même est le fruit de choix d’orientation différenciés selon le genre tout au long du cursus scolaire, ndlr). Quand vous vous retrouvez avec seulement 10 % de femmes dans les écoles d’ingénieur ou les filières du numérique, elles seront évidemment très peu nombreuses à intégrer une start-up. Les inégalités se cumulent. À côté de cela, on a tous des biais cognitifs. Quand on fait passer un entretien par exemple, l’on aura plus tendance à apprécier
quelqu’un qui nous ressemble. D’où l’importance des role models féminins. Ici à France Digitale, nous sommes davantage de femmes que d’hommes, fort à parier que ma présence en tant que directrice générale y contribue grandement. Une dirigeante femme encourage d’autres femmes à postuler et rejoindre une organisation.

Je crois que nous n’avons plus le choix : pour aboutir à un cercle vertueux, il faut mettre en place des quotas. Pour accélérer la diversification du recrutement, car le changement est trop lent. La question se pose aussi pour les fonds d’investissement. Lorsque j’étais bénévole chez
StartHER (Sista aujourd’hui, ndlr), les études que nous réalisions ne laissaient pas de place au doute : les fonds interrogés nous avouaient souvent que leurs investissements dans des entreprises montées par des femmes avaient sensiblement augmenté avec l’arrivée de femmes dans l’équipe de gestion. La sensibilisation aussi au sein des écoles et des établissements d’enseignement supérieur est très utile, mais n’en reste pas moins insuffisante.

Sans transition. La France compte 29 licornes, soit plus que l’objectif de 25 fixé par Emmanuel Macron en 2019. Quel enseignement en tirez-vous ?

Il faut raisonner au-delà des licornes. D’abord parce que devenir licorne ne peut pas être un objectif en soi. Oui on a atteint et même dépassé cet objectif des 25 licornes, et alors ? Les start-up ne se réduisent pas aux licornes. D’autant plus que c’est très subjectif, puisque l’on définit une licorne en fonction de sa valeur si l’entreprise venait à être vendue. La valorisation repose uniquement sur le montant que les investisseurs seraient capables de mettre sur la table. Une startup, ce n’est pas que des capitaux, c’est avant tout l’ensemble des talents qui sont mobilisés pour mettre au point une technologie ou innovation. C’est cela une start-up : une jeune PME innovante et en croissance. Et je considère que la jeunesse n’a pas de limite… alors vous voyez, cela fait du monde. Bien au-delà des 29 licornes donc.

L’intelligence artificielle dont on parle de plus en plus, quelle conséquence sur les start-up ?

L’émergence de l’IA représente une excellente opportunité pour nos jeunes pousses. Notamment parce que nous avons les meilleurs ingénieurs au monde. Voilà donc un moyen de créer de belles entreprises qui utiliseront l’intelligence artificielle dans pléthore de secteurs. Mais pour ce faire, il faut s’en donner les moyens ! Et ne pas s’appuyer uniquement sur des technologies conçues par les Américains et les Chinois. Ne subissons pas la transition numérique, mais construisons-là. L’un de nos chevaux de bataille à France Digitale : une préférence européenne à l’achat. Car en termes d’achat technologique, si les Américains achètent leurs propres innovations, et que les Chinois font de même, qui recourra aux technologies des Européens ? Il ne sert à rien d’investir dans nos innovations si on ne les achète pas derrière.

Assemblee-Generale-2023-France-Digital
Crédits : Anna Ellouk

Quels sont vos objectifs pour demain au sein de France Digitale ?

Au-delà de créer des ponts entre les investisseurs et entrepreneurs : cette union doit absolument avoir un impact positif aujourd’hui sur l’environnement. On n’innove plus simplement pour innover, on le fait au profit de la planète et de la société. C’est le sens de l’histoire, et il est impératif que nos start-up aillent dans ce sens pour d’une part répondre à la demande grandissante du marché, mais aussi parce que le cadre réglementaire va de plus en plus les contraindre. À titre d’exemple, des directives comme la CSRD contraignent les entreprises à établir des reportings de durabilité. C’est une bonne chose, mais cela reste une contrainte supplémentaire de temps et de moyens pour des entreprises qui n’en n’ont pas. Notre rôle est d’accompagner du mieux possible nos membres dans cette transition en fournissant des décryptages, des benchmarks, et en organisant des groupes de partage de bonnes pratiques. Sur l’association elle-même, notre ambition sera toujours de jouer collectif. Notre réseau s’étend, dans tous les territoires et au-delà de nos frontières nationales. Nous avons déjà des ambassadeurs en régions, et avons ouvert des bureaux à Lyon et Bruxelles l’an passé. Ce que l’on ne veut pas : centraliser toute l’information autour de ce qui prendrait la forme d’un super géant des start-up ! Nous préférons nous associer à d’autres structures qui ont déjà un ancrage géographique ou sectoriel fort, en France ou en Europe, pour développer une vraie fédération. Ce qui nous donne les moyens d’organiser des actions aussi bien à Dunkerque qu’à Dublin, aussi bien sur des sujets de santé que de Web3. Poursuivons dans cette logique de décentralisation tout en jouant collectif.

Et vous personnellement, vous pensez déjà à l’après France Digitale ?

Je suis très bien à France Digitale. Car je fais ce que j’aime : des rencontres avec des gens passionnants tous les jours. Finalement, j’ai une seule compétence : connecter les gens et synthétiser les choses ! C’est ce que j’essaie de faire du mieux que je peux à France Digitale. Mes mentors, très nombreux (dont Frédéric Mazzella), me disent souvent la même chose : « Reste focus ! » Aujourd’hui France Digitale est mon seul projet. D’ailleurs on parle de mentors mais je pense qu’on est tous un peu mentor à notre échelle, on tire toujours quelque chose d’une rencontre : une idée, une énergie, une erreur à éviter… C’est ce que j’aime dans mon métier de réseau. C’est finalement cela le progrès, une succession de bonnes idées et d’énergie. J’avance au jour le jour et tire les enseignements du passé. Je préfère voir le verre à moitié plein et rester optimiste. Quand on a liquidé mon entreprise Yborder, je ne l’ai pas vraiment vécu comme un échec, j’ai simplement retenu que j’avais contribué, à ma modeste échelle, à faire avancer le sujet des talents en France. Après France Digitale, pas impossible qu’une autre entreprise se crée, je suis entrepreneure avant tout. J’ai lancé ma carrière il y a à peine douze ans, en même temps que l’arrivée de France Digitale, j’en suis simplement à la phase d’adolescence de ma vie professionnelle.

L’ÉVÉNEMENT
Le France
Digitale Day
revient
Pour sa onzième édition, le FDDay se déroulera le 20 septembre prochain à Paris.
Comme chaque année, cette
réunion de famille de l’écosystème accueillera
environ 5 000 entrepreneurs et
investisseurs au musée des Arts
Forains. Lors de cette journée
événement, une nouveauté :
France Digitale accueillera également l’avant-première
du CES 2024, l’un des
événements les plus importants de l’industrie technologique

– dont le salon se tiendra en
janvier 2024.

Et quand vous ne travaillez pas, comment occupez-vous votre temps libre ?

Je m’occupe de mes deux enfants ! Et croyez-moi, cela me prend déjà pas mal de temps. J’aime beaucoup cuisiner pour des amis et les recevoir chez moi. Partager avec d’autres tout ce que je fais. Mon agenda, ce sont des voyages et des week-ends en famille ou entre amis. J’aime bouger, à la montagne notamment pour faire du ski et de la marche.

Heureusement, je n’ai pas de problème pour me déconnecter de mon travail. J’arrive à prendre de la distance. Je ne sauve pas des vies au quotidien, j’essaie simplement de faire avancer des choses qui me tiennent à coeur, mais si ce n’est pas moi qui le fais, ce sera quelqu’un d’autre. Personne n’est irremplaçable.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince

À retrouver également dans ce numéro :

Maya Noël

À retrouver également dans notre mensuel optimiste et entrepreneurial, notre grand dossier : bien-être au travail, les entreprises se réinventent.

Parmi nos autres sujets : l’art et la manière de (bien) se reconvertir, ou encore notre Œil décalé : les expressions et absurdités que l’on entend, hélas, bien trop souvent au bureau !

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