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Le secteur de l’imprimerie est ancien. Mais ce qui se trame derrière les murs n’est pas toujours connu. Enquête chez Léonce Deprez, une PME du Nord inaugurée en 1922 et chargée d’histoire…
38 millions d’euros de chiffre d’affaires, 160 personnes, 250 magazines, 100 prospectus et catalogues et quelques journaux imprimés. Mais si le visiteur n’a pas compris qu’il est en famille, il lui suffit de parler à ceux qu’il croise dans les bureaux. A droite la tante Marguerite Deprez-Audebert qui est Dg, à gauche le fils Léonce-Antoine Deprez, directeur commercial qui porte le même prénom que son arrière grand-père fondateur, et un peu plus loin le père, Léonce-Michel Deprez, Pdg. Et s’il a encore un doute, il peut poursuivre sa promenade dans les entrepôts afin d’échanger avec les équipes qui s’affairent autour de puissantes rotatives vrombissantes tels des abeilles autour de ruches. « Trois générations de mêmes familles travaillent ici. Les gens sont peu mobiles dans le Nord », explique le Pdg qui se reconnaît volontiers dirigeant paternaliste.
Saga dans le nord
Nous sommes à Ruitz, à deux pas de la rocade minière, où se dessinent au loin clochers et terrils, dans une région métallurgique, mécanique et textile qui a subi une lourde reconversion. Le bâtiment de l’imprimerie a subi diverses extensions pour abriter toujours plus de machines. L’aventure a pourtant commencé en 1922 à Béthune, alors capitale des Houillères et chef-lieu du plus gros arrondissement de France (1 million d’habitants), où Célestin Basin acquiert le journal « l’Avenir de l’Artois » et son imprimerie située au centre ville. Il cède la place en 1951 à son beau-fils Léonce Deprez. Cet entrepreneur, qui sera maire du Touquet puis député du Pas-de-Calais, lance « Les Echos du Touquet » en 1957, puis l’hebdomadaire « Montreuil Hebdo » en 1978. « Mes parents étaient des journalistes dans l’âme. Mon père a aussi créé la journal de la Côte d’Opale, et ma mère venait d’Elle », se souvient le Pdg. Léonce-Michel, qui prend la main en 1993 avec sa sœur Marguerite, après le déménagement de l’entreprise à Ruitz en 1989. Cet élu consulaire à la chambre régionale de commerce développe les ateliers de façonnage et de routage à Ruitz et fait construire en 2005 le site d’Arras pour les très grosses machines. Le frère et la sœur en finissent avec une certaine époque, celle des rotatives sans sécheurs dont l’encre s’imprégnait sur les doigts des lecteurs de journaux. « Nous avons justement vendu le pôle journaux pour nous spécialiser sur l’impression de magazines », retrace Michel Léonce Deprez, également conseiller municipal de l’opposition au Touquet.
Fourmilière organisée
La salle des ordinateurs reçoit les bons à tirer des rédactions, sorte de chambre de la reine constituant le flux prépresse qui partira pour l’impression puis le façonnage. Un peu plus loin dans des entrepôts au bruit assourdissant une vernisseuse marche à plein régime, des rotatives japonaises ou allemandes crachent avec vélocité des pages où Laurent Delahousse apparaît en photo, dans une odeur caractéristique d’encre, d’huile et de colle. Trois salariés accomplissent des gestes méthodiques tout autour, un à la sortie de la machine, un autre à la bobine et encore un autre au pliage. « Nous avons accusé une baisse de 20% de la productivité sur une machine endommagée et avons déboursé 250 000 euros de réparations pour prolonger sa vie, car en racheter une nouvelle dans l’immédiat était beaucoup trop cher », explique le fils Léonce-Antoine Deprez. Cette industrie est des plus capitalistiques et les imprimeurs doivent toujours investir pour ne pas mourir. Sur la droite une salle très haute recèle d’imposants rayonnages où s’empilent les stocks de papiers feuilles et des bobines de 1.5 tonnes, des plaques en cuivre et en aluminium, de la colle et du silicone pour fixer l’encre. Les déchets sont nombreux, et les vieux papiers sont repris à 50 euros la tonne puis recyclés. Dans un autre entrepôt des salariés casqués s’activent au façonnage, autour de rails transportant les cahiers. Des robots coupent le « dépassant », cette partie qui dépasse de la moitié du cahier après le pliage. D’autres à l’encartage aspirent la couverture pour la soulever et glisser un papier, « ce qui coûte 30 euros pour 1 000 exemplaires, contre 100 euros si un homme le faisait », explique un des salariés. D’autres enfin empilent sur des palettes de 700 à 800 kg des So Foot, Valeurs Actuelles ou guides du Petit Futé, puis mettent le tout sous film. « Cette chaîne peut sans cesse être optimisée avant de parler d’innovation. Les primes d’objectifs sont un bon levier, pouvant même concerner le nombre de photocopies. Non pas pour les économies de papier, mais pour l’état d’esprit de réflexion qui est instillé chez le personnel. L’entreprise doit sans cesse s’adapter, ce qui passe par les équipes », déclare Léonce Michel Deprez d’une forte voix couvrant le bruit.
Des ambitions affichées
Comme une vingtaine de concurrents, l’imprimerie aspire à jouer dans la cour des grands, à l’échelle nationale. Quatre terrains de « jeu » se distinguent : le magazine, le catalogue, le prospectus et les marchés publics. C’est sur le premier qu’elle s’est affirmée, bien que « les bulletins paroissiaux aient été notre première activité », se remémore avec le sourire Michel-Léonce Deprez. Ainsi ce spécialiste de la presse moyen tirage (de 2 000 à 150 000 exemplaires) se charge de la gestion des stocks papier, abonnements, impression, façonnage et routage intégrés, des livraisons Presstalis et MLP. Son atout clé ? Sa proximité et sa rapidité d’exécution. Reste à le faire savoir, par des campagnes de phoning ou du bouche à oreille. Un bureau parisien, dirigé par Antoine-Léonce Deprez, gère la relation avec les clients parisiens et le CRM. L’antenne centralise le marketing pour assurer le buzz ou les soirées partenariats. « Le secteur de l’imprimerie est assez conservateur, il nous faut défricher de nouveaux terrains afin de nous différencier, par exemple en traitant directement avec les grands comptes pour l’impression de leurs catalogues, sans passer par les agences. Ce qui requiert de nouveaux profils de commerciaux. De même nous travaillons sans cesse sur l’ergonomie du site et les devis, afin que des clients viennent directement à nous », énonce celui qui représentera vraisemblablement la quatrième génération de dirigeants. « La tradition veut que « la troisième bouffe le capital ». Je pense avoir dérogé à la règle », déclarait son père en riant.
Article réalisé par Matthieu Camozzi