Le management absurde n’a-t-il pas assez duré ?

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Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

Grande démission, quiet quitting, quiet firing… toujours plus de mots pour décrire un même phénomène : si les salariés français vivent une période de turbulences, ils le doivent avant tout à un management dépassé.

« Remettre les idées managériales à l’endroit », insistaient déjà en 2018, pour Les Échos, les deux spécialistes du monde de l’entreprise, la philosophe Julia de Funès, et l’économiste Nicolas Bouzou, auteurs de l’ouvrage La comédie (in)humaine. Et la pandémie covid-19 venue bousculer notre façon de vivre, consommer et évidemment travailler n’a rien arrangé. Le management est à bout de souffle. Parce qu’il s’accroche à un modèle d’un autre temps, incapable de s’adapter aux nouvelles générations.

Le monde du travail pique sa crise, et le management en est hélas le protagoniste. Pour nombre de managers, ils n’ont jamais vraiment décidé d’être là où ils sont. Être expert dans son domaine ne fait pas forcément de vous un bon manager. Encadrer, c’est une compétence à part entière, qui requiert une formation, là où la plupart des managers le sont devenus « mécaniquement » à l’issue d’une promotion, d’une récompense.

Insuffisamment formés, les managers appliquent le plus souvent ce qu’ils croient qu’ils devraient faire : commander, surveiller, et ainsi distribuer les bons et les mauvais points. La Grande démission est moins un ras-le-bol de son travail qu’une overdose des conditions d’exercice de cette même activité. Des process et reportings incessants qui vous rappellent ô combien vous êtes en retard – les mêmes qui vous feront perdre davantage de temps. Une réunionite aigüe qui essore les collaborateurs et qui mine la prise de décision. Le règne de l’inutile en entreprise a assez duré.

L’illusion d’innover ne prend-elle pas le pas sur l’innovation ? « Le baby-foot, les plantes vertes et la méditation express du midi se substituent au projet, au travail et au sens », rappelaient il y a quelques années les auteurs de La comédie (in)humaine. On pourrait y ajouter les séminaires pour « ressouder le collectif ». Toutes ces initiatives ne sont pas à rejeter, simplement elles ne doivent pas combler un modèle d’organisation défaillant à la racine. Avez-vous vraiment évité un burn out grâce à la présence d’un chief happiness manager ?

Oui, le lien entre bien-être et management n’a jamais été aussi étroit. Selon une récente enquête mondiale, les managers ont un impact plus important sur la santé mentale que les médecins et les thérapeutes. Pour 69 % des interrogés, ils ont surtout le même impact que les conjoints ou partenaires1 ! Est-ce bien raisonnable de confier sa santé mentale à ses n+1… Non, évidemment non. Voilà qui explique une forte aspiration à l’indépendance ces dernières années : « le phénomène de freelancing se développe parce que les gens veulent devenir prestataires plutôt que salariés pour ne pas être dépendants de la hiérarchie. La première cause de démission, c’est la relation directe et de confiance entretenue avec le manager », pointe Benoît Serre, vice-président de l’association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) lors d’une conférence organisée fin mars2.

Les jeunes générations n’acceptent plus ce qui a pu, longtemps, être considéré comme « normal ». Elles « s’expriment de plus en plus, tant mieux, car à l’époque on avait plutôt tendance à s’écraser », me confiait récemment Matthieu Stefani, fondateur du podcast « Génération Do It Yourself » et passé par le salariat, rapidement, avant de connaître l’entrepreneuriat. La flexibilité – et notamment l’aspiration au télétravail ou à la semaine de quatre jours – prouve que le monde de l’entreprise accueille aujourd’hui de jeunes gens qui n’ont plus les mêmes références. Trop de hiérarchie a tendance à rebuter. La légitimité prime sur l’autorité.

Remettre en cause le management ne signifie pas fustiger les managers. Eux-aussi souffrent de ces injonctions contradictoires entre des objectifs qui viennent d’en haut et la réalité de leurs possibilités. Un rôle à la fois d’interlocuteurs de leurs équipes et d’ambassadeurs de celles-ci auprès de la direction. En première ligne des deux côtés, prêts à essuyer les insatisfactions des uns et des autres. Les managers jouent les équilibristes. Et ne tiennent plus qu’à un fil. Bref la confiance plutôt que le contrôle, et la responsabilisation plutôt que l’infantilisation, tournons la page et faisons une place, enfin, au management de demain.

  1. Sondage « Mental Health at Work : Managers and Money »

2. Le cabinet de conseil en RH Arthur Hunt a organisé, fin mars, une conférence intitulée « De l’autorité à la légitimité : la hiérarchie a-t-elle du sens ? ».

Rédacteur en chef. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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