Changeons de regard sur la jeunesse

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

Il a fallu le syndrome Sars-CoV-2 et les interminables files d’attente de la honte – ces jeunes à l’assaut des banques alimentaires – pour que la jeunesse devienne un sujet médiatique. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », lançait le Président de la République Emmanuel Macron. Et ce n’est pas plus simple en 2023. Pourtant, ce sont bel et bien les jeunes générations qui bâtissent un monde nouveau. Un monde durable. Cessons de les mépriser.

L’on a trop tendance à la traiter de tous les noms. Cette jeunesse paresseuse, amnésique de la « valeur travail », et obsédée par le flex office, le travail à distance, la semaine de quatre jours, ou les congés illimités. Cette jeunesse qui ne se rend plus aux urnes mais qui s’abrutit sur les réseaux sociaux. « La jeunesse n’est qu’un mot », écrivait le sociologue de renom Pierre Bourdieu. Aujourd’hui, la nuance n’a plus sa place, et les étiquettes vous collent à la peau. « Sois jeune et tais-toi », voilà un ouvrage, signé Salomé Saqué, qui en dit long sur la considération que l’on porte aux générations Y ou Z.

« Génération sacrifiée » ou « Bac+5 option covid », mauvais timing pour ces diplômés du supérieur. À qui l’on rabâche que leurs études valent peu. Avoir le bac aujourd’hui ne veut plus dire grand-chose, certes. Mais un master, c’est différent. Oui, la jeunesse est éduquée. Surtout, plus qu’une génération de fainéants, nombreux sont ceux qui compilent études et petits boulots. D’où les jeunes dans le besoin en pleine crise sanitaire que l’on a mis sous cloche et empêché de travailler. Ces jeunes caissiers en études de droit, ou ce jeune vendeur en boulangerie qui me racontait préparer son partiel de finance… le même qui sert les croissants le week-end. Et que dire des chiffres de l’alternance, 837 000 contrats d’apprentissage en 2022 !

Alors, drôle de façon de pointer du doigt cette jeunesse endormie. Une chose est vraie : elles et ils ne veulent plus travailler demain comme l’on a travaillé hier et aujourd’hui. Et prêtent une attention particulière à l’équilibre vie pro-vie perso, au sens, à l’éthique, à l’autonomie… doit-on le leur reprocher ? Ne plus vouloir « perdre sa vie à la gagner » ne signifie pas pour autant ne plus vouloir travailler. Le rapport au travail a changé. Se réaliser uniquement par le travail a perdu de sa superbe et celui-ci est devenu une pièce du puzzle parmi d’autres pour être heureux…

… Et c’est ce qui explique notamment l’engagement extrême de cette jeunesse dans cette lutte contre la réforme des retraites. Un combat pour leurs parents. Puis pour eux-mêmes, deux années de plus pour les seniors, c’est aussi aggraver les difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi des plus jeunes : « plus les gens travaillent longtemps, plus le marché du travail reste bouché pour nous », explique une manifestante à RFI. Mais cette réforme des retraites passe d’autant plus mal qu’il existe des enjeux bien plus grands, qui dépassent le simple équilibre comptable du système de retraites : « On veut nous vendre l’idée que le travail serait la façon de s’émanciper, mais devoir travailler toujours plus, toujours plus longtemps, pour de l’argent et pour continuer à consommer, quand on fait face à autant d’inflation qui nous précarise et à la crise climatique sans précédent qu’on est en train de vivre, c’est affligeant », défend un jeune opposé au projet du gouvernement.

Car oui, en réalité, la jeunesse que l’on a tendance à qualifier d’apolitique parce qu’elle ne glisse pas un bulletin de vote à l’élection présidentielle pour départager deux candidats qui étaient les mêmes cinq années auparavant, est en réalité plus que jamais engagée. Finalement, c’est quoi faire de la politique ? La prise de conscience écologique, dont on aurait tous besoin, vient en grande partie des nouvelles générations – impliquées dans une lutte climatique qu’elles n’ont pas choisie, forcées à réparer les excès de boomers attelés à essorer pendant de trop longues années la planète. Regardez toutes ces entreprises qui sortent de terre pour tenter de proposer un monde durable. Souvent des jeunes à la baguette. Comme une Maud Caillaux qui lance une néobanque verte pour en finir avec le financement des projets fossiles. Ou une Lucie Basch, qui en 2016 a voulu dire stop au gaspillage alimentaire et à cette obsession du « produire toujours plus ».

Évidemment, il arrive que certains modes d’action agacent et desservent les causes qu’ils défendent, de la soupe à la tomate sur un Van Gogh… erreur de jeunesse dirons-nous ? Les jeunes générations, comme toutes celles qui les ont précédées, sont imparfaites. Mais ne sont-ce pas elles qui s’engagent contre vents-et-marées pour résoudre nombre de travers de notre société ? Et bien au-delà des frontières françaises, comment ne pas reconnaitre le sacrifice des jeunes iraniennes pour la cause des femmes dans un pays hostile à l’émancipation du « sexe faible », quel courage. Oui, à l’heure du réchauffement climatique, de la crise du travail, et face aux injustices, notre jeunesse incarne un espoir pour l’avenir. La promesse d’un renouveau.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.