Des enfants, des femmes et des hommes dorment toujours dans la rue

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Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

Plutôt que de détourner le regard, chiffrons ce que nous ne voulons pas voir : au moins 624 sans-abris sont morts dans la rue en 2022 en France, selon un rapport publié fin octobre par le collectif Mort dans la rue.

Souvenez-vous en 2002, Lionel Jospin promettait « zéro SDF » en 2007. Même son de cloche du côté de Nicolas Sarkozy qui, en décembre 2006, entend parvenir à ce que « plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid ». Dix ans plus tard, en juillet 2017, Emmanuel Macron s’y risque : « je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité », déclarait-il dans le cadre d’une présentation de sa politique migratoire.

Et pourtant le constat est-là : on compte en France 330 000 personnes sans domicile – c’est-à-dire soit sans-abri ou hébergées par l’État. Selon un rapport de la Fondation Abbé Pierre, il existerait en réalité 24 000 personnes qui vivraient réellement nuit et jour dans la rue. La nuit du 2 octobre, les associations dénombraient 2 882 enfants à la rue. 2 882.

Des personnes dans la rue, nous en voyons tous les jours. Dans les bouches de métro, allongées sur un banc public, en bas de nos immeubles. Elles sont 624 à être mortes en 2022 en France. Des hommes dans 87 % des cas. Ces oubliés meurent en moyenne à 49 ans, soit un écart d’espérance de vie de plus de trente ans avec la population générale. L’espace public, c’est le lieu de décès le plus fréquent : pour 34 % des hommes et 21 % des femmes. Dans l’indifférence la plus totale donc.

Ne nous habituons pas. Ne détournons pas le regard. Pourquoi les SDF nous embarrassent ? Pourquoi parfois ils nous effraient ? Le grand sociologue Jean Viard l’explique par notre peur de subir la même chose : « Quand vous regardez les études d’opinion, vous constatez chez les gens une vraie crainte de devenir SDF […] La personne en difficulté incarne votre avenir, et cet avenir-là vous terrorise. Pourtant, dans la vraie vie, il n’y a aucune chance que vous deveniez SDF tant celui qui dort dans la rue a perdu toutes ses affiliations (plus de travail, plus de maison, plus de conjoint, plus de famille, plus droit aux aides sociales) ; il est esseulé, déshabillé de tout. Plus secrètement, c’est l’angoisse de notre propre déchéance qui s’exprime, soit le propre de toute existence qui commence par une naissance et s’achève par la mort. Or, la bataille dans notre société, c’est de tout mettre en branle pour retarder l’échéance de cette déchéance. Comme de l’autodéfense pour se défendre ».

Ce texte n’a rien d’une visée moraliste. Simplement, n’oublions pas les plus pauvres des pauvres. Encore une fois, jamais nous ne devons nous habituer. Heureusement, des associations existent pour réinsérer les exclus. Comme la formidable initiative des « Bureaux du Cœur », où des personnes sans-abri peuvent trouver refuge chaque soir dans les entreprises partenaires du dispositif. Car trop de bureaux sont vides le soir pour laisser les rues pleines de détresse. Les Restos du Cœur évidemment, qui peinent hélas de plus en plus à faire face à l’afflux de précarité (oui les dons de Bernard Arnault sont les bienvenus).

Un homme a dédié sa vie au secours des plus démunis. L’Abbé Pierre – dont vous pourrez retrouver les combats dans un film qui sortira le 9 novembre. Rendons-lui hommage tant son cri du cœur de l’hiver 1954 résonne encore aujourd’hui :

Abbé Pierre, crédits : shutterstock

Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… […] Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime » […] Une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure […] Merci !

Rédacteur en chef. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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