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Le site d’information The Conversation qui lie l’expertise universitaire à l’enquête journalistique s’est posé la question que bon nombre d’observateurs partagent : et si nous avions fait l’économie du confinement, à l’image de certains pays dans le monde ? Avec prudence, l’analyse que voici s’interroge : il n’est pas certain que le bilan eût été catastrophique…

Par la maîtrise de ses équipes de réanimation, le système de soin français a montré sa capacité à réorganiser ses services dans l’urgence pour tenter de limiter au maximum les dégâts de l’épidémie. Plusieurs de ces soignants en furent eux-mêmes victimes. Que leur soit ici rendu l’hommage que tous méritent.

Une décision de confinement fondée sur la simulation

Les mesures de confinement prises pour limiter les conséquences de l’épidémie sur les systèmes de santé ont été suggérées par une unité d’épidémiologie de l’Imperial College de Londres.
La première estimation des effets de ce confinement, unique dans l’histoire de l’humanité à cette échelle, a été publiée pour l’Europe. On attend les publications suivantes, pour le continent africain notamment.
Selon ces simulations, les mesures auraient contribué à épargner 2 500 vies en France soit environ le dixième d’une vague qui risque d’en emporter de 25 000 à 35 000 (lire encadré).

Mais certains postulats de ces estimations numériques semblent incohérents : contrairement à ce qui est supposé, les contaminations ne diminuent pas dès le premier jour du confinement (ça ne s’est vu dans aucun pays) et l’intensité comme la durée de l’effet ne sont jamais les mêmes partout. Ces deux hypothèses sont pourtant à la base des simulations publiées.
Alors que l’on ne connaît toujours pas la diffusion (R0 ou taux de reproduction : nombre de personnes contaminées par un porteur, ce paramètre mesure la contagiosité de la maladie) ni la létalité précises (IFR, Infection Fatality Rate : nombre de décès rapportés à la totalité des sujets contaminés par le virus, qu’ils aient été testés et validés ou non, ce paramètre mesure la sévérité) de cette maladie, les auteurs annoncent ainsi 69 vies épargnées au Danemark et un total de 70 000 morts pour la Suède. Or, parvenu à sa onzième semaine d’épidémie le 21 avril 2020, ce pays n’avait enregistré que 1 580 décès [3 256 au 12 mai, ndlr].
Il faut donc se reporter à la répartition réelle, maintenant bien décrite, de la mortalité de la covid pour comprendre la nature de ces vies numériquement « épargnées ». Dans le registre français de Santé publique France, on retrouve une distribution similaire à celle des patients décédés en Chine ou en Italie, avec un âge moyen proche de 80 ans (un sur six a plus de 90 ans) et un taux extrêmement faible (0,1 %) pour les sujets de moins de 45 ans sans facteur de risque. Les cibles du Sars-CoV-2 sont souvent des patients à risque métabolique ou cardio-vasculaire (homme, sédentaire, obèse, diabétique ou hypertendu), ce qui explique les ravages actuels aux États-Unis.

Aurait-il fallu un confinement personnalisé ?

La maladie peut être vécue sans grand symptôme chez quatre personnes sur cinq mais elle tourne à une lutte acharnée de 15 jours pour la cinquième. Le but d’une mesure de prévention efficace est alors de proportionner le confinement à ceux qui ne peuvent supporter cette épreuve : personnes de plus de 65 ans, malades cardiaques et vasculaires, insuffisants respiratoires ou rénaux, transplantés, personnes obèses, etc. Ces risques particuliers étaient d’ailleurs déjà présents en 2009 lors de la pandémie H1N1 sans que nous ayons en quoi que ce soit modulé nos conseils de prévention.
Sans immobiliser 80 % de la population active et surtout pas ceux qui en sortent guéris et (peut-être) immunisés après deux semaines – et contribueraient avec les jeunes et les plus actifs à éteindre l’épidémie en réduisant la taille de la population cible – on aurait pu alors diriger la prévention vers les seules personnes à haut risque, incluant des mesures spécifiques pour les soignants, tandis que l’épidémie ralentit, comme elle l’a fait en Australie, en Chine et en Corée.
Transmettre et expliquer cette information maintenant connue de tous, pour que chacun d’entre nous comprenne son risque, l’évalue et décide en conséquence de se confiner ou pas est le meilleur gage de réussite. Il permet aussi de considérer les citoyens pour ce qu’ils sont : des adultes responsables en capacité de voter et d’agir.
Car l’épidémie n’a peut-être été ni différente ni mieux contenue en Europe que dans les États qui n’ont pas eu recours à ces mesures. La pandémie est en effet tout sauf confinée : elle concerne maintenant tous les pays, toutes les régions et tous les cabinets médicaux (on estime à plusieurs millions le nombre de Françaises et Français qui ont été en contact avec le virus). Alors que la France a passé le sommet de la vague entre le 2 (contaminations) et le 10 avril (valeur maximale du nombre de décès, figure 3), l’issue pourrait donc ne pas même avoir été modifiée : les courbes nationales ne montrent que peu d’inflexions différenciées mais un parcours le plus souvent semblable, quelles qu’aient été les décisions prises (seul le masquage des contaminations initiales apparaît dans certains pays, probablement pour des raisons de politique locale).

Les pays qui n’ont pas adopté la voie du confinement généralisé montrent une évolution épidémique similaire : les Pays-Bas ont en effet amorcé une décrue le 7 avril, rejoignant ainsi la Corée. Pour ces pays, le taux de mortalité au jour du pic est de 25 par million d’habitants contre 177 pour les principaux pays confinés (France, Espagne, Italie).
Quant à l’Allemagne, qui n’a pas confiné toute sa population, elle considère, par la voix de son président Frank-Walter Steinmeier, qu’elle n’est « pas en guerre » mais dans un moment « révélant notre degré d’humanité ». Il est vrai que ce pays disposait avant la pandémie de plus de 20 000 lits de réanimation – contre 5 000 en France (étendu en urgence à 12 000). Il a pu affronter la vague avec d’autant plus de sérénité.
Car la phase d’extension de la maladie dépend aussi de facteurs environnementaux et populationnels qui n’ont pas été pris en compte dans les modèles. Exemple : des cas sporadiques sont rencontrés mais l’épidémie n’accélère pas sur le continent africain. L’expansion lente y suit un régime certes exponentiel mais avec des pentes beaucoup plus faibles qu’en Europe, sans doute pour des raisons climatiques, immunitaires et démographiques.

Même si l’on peut contester l’exactitude du nombre de décès déclarés, on ne peut expliquer les deux ordres de grandeur qui sépare ces chiffres : il s’agit bien du même virome [l’ensemble des génomes d’une population virale, retrouvés dans un même organisme ou dans un même environnement], mais sa dynamique est très ralentie, non pas par les mesures de confinement mais en raison d’un environnement très différent et défavorable à la transmission du Sars-CoV-2.
Le risque, à ne pas tenir compte de cette réalité, est de détourner les scientifiques et les financeurs de l’objectif principal car ce continent a plus que jamais besoin d’un soutien massif et constant dans sa lutte contre d’autres prédateurs, à commencer par le paludisme, la tuberculose et le sida. Or ce soutien est d’autant moins assuré que le cadre financier de ses donateurs s’écroule. Rappelons à ce titre que, de décembre 2019 à juin 2020, environ 30 millions de personnes seront décédées d’autres causes dans le monde.

Synchronisations délétères ?

Pour être utiles à la décision publique et proportionner la réponse, les modélisations pertinentes doivent désormais prendre en compte les interactions et interdépendances entre tous les niveaux (individus, populations, organisations interétatiques), incluant des synchronisations inappropriées (paniques, affrontements, effondrements économiques). Car c’est principalement de ce côté que va maintenant croître le décompte des victimes.
Les centaines de milliards d’euros envolés avec la chute d’une économie, qu’on savait pourtant d’une extrême fragilité, interrompront aussi le flux des financements nécessaires aux équipements des hôpitaux et des autres services publics. Car les équipes de réanimation, de soins et leurs administrations, qui ont contribué à sauver des vies bien réelles méritent toute notre admiration pour l’engagement qui fut le leur, mais elles vont maintenant avoir besoin de moyens pour toutes les autres.
Il faudra donc, après le confinement, également prendre en compte son impact sur les patients souffrant d’une leucémie non diagnostiquée, d’un infarctus pris en charge trop tardivement, d’une drépanocytose mal suivie, parmi toutes les pathologies qui manquent à l’appel. Les effets psychologiques (refus de tout déplacement par peur de la contamination) ou contre-productifs (réduction ou arrêt des consultations) de ces mesures devront se confronter aux choix des Néerlandais qui continuent de vaquer, prudemment certes mais librement, à leurs occupations. La perte de chance risque d’être lourde.
Les auteurs de ces simulations auront toutes les peines du monde à accepter d’inclure ces dégâts collatéraux auxquels s’ajouteront les conséquences sur la recherche, l’annulation de tous les grands rendez-vous scientifiques, culturels ou climatiques et l’abattement des personnes seules qui se seront laissé glisser lentement dans l’abandon.

The Conversation

Mais si, le confinement était une solution salvatrice !

Une étude de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) tombe à point nommé pour conforter les choix des autorités françaises d’un confinement aujourd’hui contesté. Hors confinement, 23 % de la population auraient été infectés pendant cette période et le raz de marée de cas graves aurait de loin débordé les établissements de santé déjà saturés malgré les mesures autoritaires du « restez chez vous » : on estime que 670 000 patients auraient eu besoin d’une hospitalisation, que 140 000 cas graves auraient occupé de plus de 100 000 lits de réanimation (contre 5 000 disponibles avant l’épidémie, 10 500 improvisés en cours). En Île-de-France, ce sont 30 000 lits qui auraient manqué à l’appel
Toujours selon l’EHESP, 73 900 malades auraient trouvé la mort à l’hôpital entre le 19 mars et le 19 avril si le confinement n’avait pas été décrété. Soit 61 700 vies sauvées (15 000 en Île-de-France et 7 700 dans le Grand-Est). Et encore ne tient-on pas compte des décès hors hôpital en raison de l’impossibilité d’admettre cette cohorte digne de la Grande peste, ni en maison de retraite ni à domicile.

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