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Le GPS déboussolé
Le système de navigation européen, plus précis et fournisseur de services que le GPS américain, est actif depuis décembre 2016. Mondes du transport, de la smart city, du véhicule autonome, de l’agriculture, de l’assurance, et autres, s’en réjouissent.
Après 17 ans de détours et d’impasses, Galileo est enfin parvenu à destination. Certes, le système de navigation par satellite européen, dont la conception a débuté en 1999, s’est présenté au rendez-vous avec sept ans de retard, mais il est bel et bien entré en fonction le 15 décembre 2016. Pour l’heure, ses 18 satellites – ils seront une trentaine en 2020 – sont couplés à ceux du GPS (Global Positioning System) américain, qu’il espère concurrencer à terme sur le Vieux Continent.
Retombées économiques
Le programme Galileo, mené par l’Union européenne et l’ESA (l’agence spatiale européenne) devrait coûter 10 milliards d’euros au total, mais la Commission européenne estime que ses retombées économiques compenseront largement cet investissement. « Selon les études les plus récentes, menées par PwC et GSA, les retombées seront de 90 milliards d’euros durant les 20 premières années de développement. Galileo créerait aussi 1000 emplois directs et 20000 à 140000 emplois indirects », explique Pascale Joanin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman. Selon l’Union européenne, 7% du PIB européen dépendent déjà des systèmes de positionnement par satellite et ce taux pourrait grimper à 30% d’ici 2030. « Le marché international du positionnement par satellite devrait atteindre 244 milliards d’ici 2020 et ses marchés associés croissent déjà de 25% par an », ajoute Pascale Joanin. Il faut dire que les débouchés commerciaux sont nombreux. « Galileo va aider les industriels européens à développer de nouveaux services dans la voiture autonome, les transports ou encore l’agriculture et l’assurance », explique Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES). Selon une étude menée par l’Union européenne en 2013, les ventes de puces pour la navigation par satellite sur la période 2013-2023 devraient majoritairement concerner les smartphones (53,2%), devant l’automobile (32%), les géomètres-topographes (4,5%), l’agriculture (1,9%), le transport maritime (1,1%), l’aviation (1%) et le rail (0,2%).
Smart City
Les services liés aux systèmes de navigation n’ont donc pas fini d’être inventés et peuvent concerner des domaines variés. Par exemple celui de la ville intelligente, comme l’illustre le projet Ghost, pour « Galileo Enhancement as Booster of the Smart Cities », que l’on peut traduire par « le renforcement de Galiléo comme amplificateur pour la ville intelligente ». L’objectif : faciliter la maintenance des infrastructures, la gestion des parkings et des déchets. Les véhicules de transport public (bus, taxis, cars scolaires…) équipés de la technologie Ghost pourront ainsi photographier et géolocaliser un problème de voirie – poubelle renversée, véhicule mal garé, panneau de signalisation endommagé – afin d’alerter les services municipaux et accélérer leur intervention. Une démonstration du service a déjà été faite lors d’un test à Belgrade, en Serbie, au début de l’année. A terme, tous les citoyens pourront installer ce dispositif d’alerte sous forme d’application dans leur smartphone et servir à leur tour de vigie. Ghost est aussi l’illustration de ce que peut donner la collaboration à l’échelle européenne, puisqu’il a été développé par un consortium réunissant des entreprises (Teletel, Bitgear…), des consultants (Alpha Consultants) et une université représentant quatre pays de l’Union : la Grèce, l’Italie, la Serbie et la Royaume-Uni. En outre, l’essentiel de son budget a été financé par l’Union européenne, qui lui a apporté 875000 euros sur un total de 1,2 million.
L’UE au chéquier
Car l’UE ne compte pas ses efforts pour permettre aux services reposant sur la technologie Galileo de s’imposer. Outre Ghost, elle a déjà financé des dizaines de projets visant à développer des services commerciaux s’appuyant sur ce système de navigation dans le cadre du plan de recherche et développement baptisé Horizon 2020. Pour la seule année 2017, elle va ainsi attribuer plus de 30 millions d’euros à des projets pour « les transports routiers, ferroviaires, maritimes ou par avion », des « applications innovantes (…) à destination du grand public avec un fort potentiel commercial », « le secteur professionnel (agriculture, cartographie, synchronisation temporelle, etc.) ». Cela répond au besoin de « développer les activités industrielles dans les différents domaines applicatifs sur toute la chaîne de la valeur, des récepteurs aux équipements, en passant par les services », expliquait en avril 2016 David Comby, coordinateur interministériel délégué pour les programmes GNSS (Global Navigation Satellite System) européens, à l’occasion d’une présentation au ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. Il pointait aussi le fait que « l’industrie française est peu présente à l’échelle mondiale dans ces domaines applicatifs ».
Galileo 1 – GPS 0
Pour convaincre les industriels et les équipementiers d’adopter Galileo, les européens misent aussi sur la précision de positionnement et de datation de leur constellation de satellites, annoncée supérieure au système américain. Par exemple, quatre satellites seront à terme toujours visibles, en tout point du globe, pour calculer la position de ses utilisateurs par triangulation. Si bien que la précision de Galileo sera de l’ordre du mètre, tandis que celle du GPS, du Glonass russe et du chinois BeiDou (voir encadré) n’est que de dix mètres.
Voitures autonomes
Galileo pourrait notamment aider les constructeurs et les équipementiers européens à prendre le virage de la voiture autonome. Selon le cabinet AT Kearney, les véhicules sans conducteur représenteront un marché de 500 millions d’euros dans le monde en 2035. Et selon McKinsey, la voiture autonome représentera 15% des ventes de véhicules neufs en 2030. L’américain Tesla, avec son « autopilot » installé sur les modèles S et X, n’est pas le seul sur les rangs. Tous les principaux constructeurs européens, de BMW à Mercedes, en passant par Renault, PSA et Ford, planchent aussi sur le sujet. Les Mercedes Classe E et S, la BMW Série 7, l’Audi Q7, la Volkswagen Passat sont déjà dotées d’un mode « pilotage automatique » plus ou moins sophistiqué. En France, PSA promet que ses premiers modèles autonomes seront commercialisés en 2021 et Renault en 2020.
Avions et trains sans pilote
La mise en orbite de Galileo pourrait aussi être une bonne nouvelle pour le transport par avion et par train. « Ces deux modes de déplacement nécessitent impérativement, par mesure de sécurité, de s’appuyer sur deux systèmes de navigation car si l’un d’eux rencontre une avarie, il faut qu’un autre prenne le relai, explique Jean-Yves Le Gall. Or, aujourd’hui, les systèmes russes et chinois ne sont pas suffisamment précis pour être utilisés en complément du GPS, si bien que ni les avions, ni les trains, ne sont pilotés par un système de navigation ». Le train autonome a déjà quitté le domaine de la science-fiction, puisqu’il fait l’objet d’une expérimentation dans le sud de la France. Le CNES, la SNCF et la région Occitanie financent en effet un projet baptisé « Géofer » : les trains de la ligne Toulouse-Rodez sont guidés en temps réel par Galileo, ce qui permet une meilleure régulation du trafic, à un coût plus maîtrisé. Le CNES estime que si Galileo guidait les 50000 locomotives en circulation en Europe, les coûts de maintenance pourraient baisser de 20 à 30%, notamment parce que les systèmes de signalisation deviendraient inutiles.
Agriculture de précision
La grande précision de Galileo pourrait aussi favoriser le développement de « l’agriculture de précision », déjà engagé avec le GPS et complété par l’imagerie par avions et drones. Cette technique de « cultivation » des champs s’appuie en effet sur l’imagerie satellite. L’infrarouge permet par exemple de mettre en évidence de façon très précise la variabilité des sols à l’échelle d’un champ. Les agriculteurs peuvent ainsi adapter l’irrigation, l’épandage ou encore la pulvérisation des pesticides à chaque portion. Et in fine optimiser leurs rendements et leurs investissements. En diminuant la consommation de pesticides et de carburant, cela permettrait, selon l’UE, de diminuer de 4% les coûts globaux d’une culture en Europe.
Le futur de l’assurance
De même que ceux du GPS, qui est financé par le gouvernement américain, les services de base de Galileo sont gratuits. Mais, contrairement à son cousin d’Amérique, une version payante proposera, à ceux qui seront prêts à payer, une précision de l’ordre de quelques centimètres et un service de datation ultra précis. Cela permettra par exemple aux compagnies d’assurance de dater les événements au milliard de seconde près, afin d’en connaître les enchaînements exacts en cas d’accident. Selon le CNES, cela permettra aussi de mieux gérer les transactions financières, les télécommunications et les réseaux de distribution d’énergie. Le service payant de Galileo sera commercialisé par l’Agence du GNSS européen (GSA), dont le siège est à Prague, en République tchèque, et les revenus partagés entre l’Union européenne et les fournisseurs d’accès au service. « Tout l’écosystème reste encore à inventer », explique Jean-Yves Le Gall. Créée en 2004 pour assurer la mise en œuvre de Galileo, la GSA sera l’interlocuteur privilégié des industriels, puisque c’est elle qui octroiera les licences aux concessionnaires responsables des opérations et des prestations de services de Galileo, entre autres prérogatives.
Smartphone
Quelques incertitudes menacent toutefois le succès de Galileo. Les fabricants de téléphones rendront-ils leurs équipements compatibles, alors qu’ils disposent déjà, avec le GPS, d’un service gratuit qui a fait ses preuves ? Galileo ne fonctionnera que sur les smartphones équipés d’une puce compatible. Or, pour l’heure, c’est seulement le cas de l’Aquaris X5 Plus, du constructeur espagnol BQ. Dans la mesure où les principaux fabricants de smartphones sont américains (Apple) ou sud-coréens (Samsung), difficile de dire si ces puces vont se déployer rapidement ou non. « Les nouveaux smartphones qui sortiront d’ici la fin de l’année disposeront d’une puce compatible avec Galileo », considère Jean-Yves Le Gall. A la fondation Robert Schuman, Pascale Joanin est également confiante : « Nous sommes encore dans une période de rodage. Dès l’année prochaine, une vingtaine de fabricants de smartphones et des constructeurs automobiles lanceront des appareils ou des véhicules équipés ou compatibles ». Galileo disposera d’une autre innovation majeure : il permettra d’envoyer automatiquement des signaux de détresse aux services de secours. Au 1er janvier 2018, tous les nouveaux véhicules immatriculés devront être équipés de ce système d’urgence automatique, baptisé système « e-call ». De quoi faciliter encore son adoption et sa réputation auprès du grand public.
Géopolitique
Indépendance stratégique
En plus d’être économique, l’intérêt de Galileo est aussi d’ordre géostratégique : « Il donnera à l’Europe une plus grande indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, car le GPS est un système militaire qui peut être coupé à tout moment en cas de conflit », explique Jean-Yves Le Gall, le président du Centre national d’études spatiales (CNES). La directrice de la fondation Robert Schuman, Pascal Joanin, rappelle d’ailleurs que « les Américains avaient coupé le GPS pendant la guerre du Kosovo, le gardant pour leurs forces et en privant les nôtres ». L’Europe n’est d’ailleurs pas la seule puissance à développer un système de navigation alternatif au GPS américain. La Russie a commencé à déployer Glonass dans les années 1990, la Chine met en place BeiDou, et l’IIRNSS permettra cette année à l’Inde de proposer une couverture régionale. Mais de tous, Galileo sera le seul civil, « ce qui garantira sa transparence et assurera qu’il ne puisse pas être manipulé », explique Pascale Joanin.
Start-up
Premières éclosions
De nombreuses jeunes pousses européennes se sont lancées dans le domaine de l’assistance à la navigation par satellite. Le Suisse WayRay, qui développe une aide à la navigation par réalité virtuelle projetée sur le pare-brise des voitures, vient par exemple de lever 18 millions d’euros auprès du géant du e-commerce chinois Alibaba. Il emploie 100 personnes dans le monde. L’an dernier, Jean-Christophe Morgère a créé en Bretagne l’application Marnaa, afin d’aider les plaisanciers à s’orienter en cas de faible visibilité grâce à la réalité virtuelle, via la caméra de leur smartphone ou de leur tablette. Dibotics, fondée par Raul Bravo, a créé à Paris un algorithme pour faciliter la localisation d’un véhicule autonome par les satellites qui contribuent à le guider.
Aymeric Marolleau