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Depuis l’automne 2023, un mouvement de protestation pacifique initié dans le Tarn a pris de l’ampleur, se propageant alors à travers la France.
Ainsi, les agriculteurs, éleveurs, céréaliers et maraîchers, se mobilisent contre des charges financières jugées excessives et des normes environnementales trop contraignantes. En janvier 2024, à l’occasion de nombreux blocages, les principaux syndicats agricoles, FNSEA, Jeunes Agriculteurs, et Confédération paysanne dénoncent des difficultés économiques et appellent le gouvernement à prendre des mesures d’urgence.
Le mois de janvier 2024 a été témoin du lancement, dans toute la France, d’actions d’agriculteurs appelant le gouvernement à entendre leur « ras-le-bol » et leur « colère ». Les revendications des agriculteurs se cristallisent autour de points clés, notamment l’application de la loi Egalim qui garantit un prix juste, des compensations face aux normes environnementales, et la fin des accords de libre-échange. Pourtant la France ne s’inscrit pas comme étant le seul pays concerné par ces revendications qui émanent du monde agricole. En effet, le mouvement s’étend également à l’échelle européenne, avec des mobilisations similaires en Allemagne, en Roumanie ou encore en Espagne. De cette façon, la grogne agricole dépasse les frontières nationales, et met en lumière des problématiques communes.
Des syndicats tous unis ?
La Confédération paysanne, bien que souvent en désaccord avec la FNSEA et Jeunes Agriculteurs, a récemment rejoint le mouvement. Le syndicat plutôt orienté à gauche contrairement à ses deux homologues, souligne l’importance d’un revenu digne pour tous les agriculteurs et rejette l’idée de supprimer des normes.
La FNSEA, elle, réclame des réponses immédiates, dont un chantier de réduction des normes. La Confédération paysanne, troisième syndicat, alerte tout de même sur le « mirage » de la suppression des normes et demande plutôt des mesures telles qu’une loi interdisant tout prix agricole en dessous des prix de revient. « Certes, une simplification administrative est nécessaire car beaucoup de procédures sont inadaptées à la réalité de nos fermes. Mais ne nous trompons pas de cible : la demande de la majorité des agriculteurs (…) n’est pas de nier les enjeux de santé et de climat ou de rogner encore davantage sur nos maigres droits sociaux », avance Confédération paysanne dans son communiqué.
Quelles revendications ?
Les demandes de la FNSEA et Jeunes Agriculteurs :
- Le respect absolu des lois Egalim
- Le paiement de toutes les aides PAC de manière immédiate
- Le paiement dans les plus brefs délais de l’ensemble des indemnisations sanitaires et climatiques
- Aider immédiatement les secteurs les plus en crise : viticulture et agriculture biologique
- Faire de l’élevage une grande cause nationale avec un refus clair des accords de libre-échange
- Une sortie des incohérences du Green deal et de la planification écologique
- Afficher la pause normative et le chantier de réduction des normes
- Revenir sur la non-régression du droit de l’environnement
- Arrêter les surtranspositions et permettre une harmonisation des normes à l’échelle européenne.
La Confédération paysanne, elle, réclame :
- Une loi d’urgence qui interdit tout prix agricole en-dessous des prix de revient
- La fin immédiate des négociations d’accord de libre-échange
- L’instauration de prix garantis pour les produits agricoles
- La mise en place d’un prix minimum d’entrée sur le territoire national
- Un accompagnement économique à la transition agroécologique à la hauteur des enjeux
- L’arrêt de l’artificialisation des terres agricoles
Ainsi, au cœur des diverses revendications, la niche fiscale sur le gazole non routier cristallise les tensions entre les agriculteurs et le gouvernement. Malgré des négociations antérieures, le désaccord persiste, ce qui accentue la fracture entre les syndicats agricoles.
Les agriculteurs demandent également une simplification administrative et remettent en question les réglementations européennes, notamment le Green deal. Un ensemble de mesures pour la transition écologique des États membres de l’UE, qui comprend d’ailleurs une réduction des pesticides et un développement de l’agriculture biologique.
Plusieurs revendications de la profession portent donc sur la politique menée par l’Union européenne en matière d’agriculture. Certains, comme le président de la FNSEA, réclament la fin de certaines obligations, telles que la mise en jachère de 4 % des terres pour bénéficier d’aides financières. La contestation porte également sur certains pactes de libre-échange conclus par l’UE, comme celui avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay), jamais ratifié.
La dignité des agriculteurs en cause
La crise morale dans le secteur agricole, illustrée par un taux de suicide élevé, met en lumière l’urgence d’une action gouvernementale. D’après un rapport de la Mutualité sociale agricole, « en 2020, ceux qui consomment des soins du régime agricole de 15 à 64 ans ont un risque de mortalité par suicide supérieur de 30,9 % à celui des assurés tous régimes ». La raison principale à cela ? La rémunération des agriculteurs.
Ce point refait alors surface, deux ans après l’adoption de la loi « Egalim 2 », qui visait justement à leur assurer un revenu décent. Selon l’Insee, « les ménages agricoles sont également davantage exposés à la pauvreté monétaire : 18 % de leurs membres vivent sous le seuil de pauvreté ».
Et le gouvernement dans tout ça ?
Face à cette colère grandissante, le gouvernement français s’apprête à répondre. Le Premier ministre Gabriel Attal réunit les ministres de l’Agriculture, de la Transition écologique et de l’Économie. Les attentes sont élevées, et les agriculteurs exigent des réponses immédiates, tant sur la rémunération que sur la réduction des normes. Les négociations avec les principaux syndicats agricoles soulignent l’urgence de trouver des solutions pour calmer une profession en crise.
« Attendre jusqu’à vendredi pour avoir des annonces, c’est prendre beaucoup de risques. Plus on attend, plus il va falloir qu’elles soient costaudes, les mesures », prévient Karine Duc, coprésidente de la Coordination Rurale de Lot-et-Garonne. En effet, il n’a suffi que de quelques jours pour qu’une action locale prenne une ampleur nationale. L’avenir dépendra donc de la capacité du gouvernement à apporter des réponses satisfaisantes, alors que la mobilisation continue de prendre de l’ampleur sur l’ensemble du territoire
Bref, cette crise agricole soulève bel et bien des questions cruciales liées à la fiscalité, aux normes environnementales, et à la rémunération des agriculteurs. Une colère légitime donc. Les négociations en cours entre le gouvernement et les syndicats détermineront le sort d’une profession essentielle à l’équilibre économique du pays.