Consommation : de la possession à l’usage

Nous ne sommes jamais que les usagers provisoires d’un bien…
Nous ne sommes jamais que les usagers provisoires d’un bien…

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Du Lavomatic à Uber : faire de la propriété une rente

Comment passe-t-on de la propriété individuelle à des plateformes numériques de partage ? Que signifie d’ailleurs partager ?

Au début du XXème siècle, les coopératives agricoles (les laiteries par exemple) sont le modèle archaïque, le lointain ancêtre de l’économie du partage. Aujourd’hui, le déclin de la croissance, la limitation du cycle d’accumulation capitaliste, les problèmes liés aux besoins des particuliers et à l’écologie ont fait émerger des modes de production et de consommation inédits, de nouvelles relations à la propriété, desquels le marché a toujours su tirer profit…

Vie et mort de la propriété

Frédéric Marty, membre de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences Po Paris, rappelle que « la petite propriété apparaît avec la Révolution, notamment dans les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». La propriété est considérée comme un droit imprescriptible, inviolable, sacré. « “La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue “, indique l’article 544 du Code civil de 1804 ; le Code civil consolide l’idée que la propriété est la base de l’ordre social », affirme Frédéric Marty. Au XIXème siècle, l’usus (le droit de disposer de la chose), le fructus (la perception des fruits d’un bien) et l’abusus (le pouvoir de se séparer du bien, de le détruire) sont les éléments constitutifs de la propriété.

L’idée d’un droit absolu de propriété n’est remise en cause que dans les années 45-50. La théorie de la “tragédie des biens communs” montre que la propriété n’est jamais unilatérale. Les ressources naturelles sont le bien commun de l’humanité par-delà les époques. « Avec le problème des “communs”, on comprend bien que nous ne sommes jamais que les usagers provisoires d’un bien et qu’une forme de responsabilité dépasse le propriétaire et porte sur tout le corps social autant que sur le futur », défend Frédéric Marty, membre de la chaire EPPP (Economie des partenariats public-privé) de Paris Panthéon-Sorbonne. L’idée d’une petite propriété sacrée que l’abusus permet même de détruire meurt au milieu du XXème siècle. De ses cendres naît l’économie de partage.

Un partage désintéressé ?

L’économie du partage n’est donc, bien évidemment, pas née avec la démocratisation de l’Internet dans les années 2000. Le troc, la mutualisation des machines agricoles, l’économie de voisinage précèdent l’apparition de la petite propriété. Bernard Perret, membre du Laboratoire interdisciplinaire pour la Sociologie économique (LISE-CNRS), indique que « les frontières de ce qui ressortit en propre de l’économie de partage sont labiles et mouvantes ». En 1900, dans l’Hérault, apparaissent les premières caves coopératives. Les viticulteurs indépendants se regroupent alors pour mettre en commun des équipements. Partager consiste à mettre un bien à disposition d’un tiers en mobilisant des ressources inemployées.

« L’Internet a permis un renouvellement de pratiques ou de réalités sociales qui ont toujours existé sous différentes formes ; les nouvelles technologies permettent une diversification de l’offre de services et une mise en rapport avec les besoins à un niveau très fin », souligne Bernard Perret, professeur à l’Institut catholique de Paris. Les sites internet substituent à la proximité physique et aux relations de voisinage une pratique délocalisée de mise en rapport entre les individus. « L’intermédiaire cherche un profit en servant de truchement, effectue des marges tant du côté des offreurs que du côté des demandeurs », assure Frédéric Marty. Avec les plateformes d’intermédiation numériques, il s’agit de rentabiliser son bien : « Pour le propriétaire, la rente repose sur une logique purement “maximisatrice” ». D’où une logique de calcul qui vise une maximisation individuelle du bien pour dégager un revenu additionnel.

Echanger ou produire (toujours) plus

Avec l’échange, le modèle économique ne repose plus sur la production de nouveaux biens. On cherche à tirer profit du capital physique existant. C’est notamment ce que Bernard Perret, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, nomme « démarchandisation ». Plus on partage, moins il y a de marchandises à produire. Le Lavomatic évite que chaque foyer soit équipé de machine à laver. Uber accroît le taux d’actualisation du capital physique puisque la voiture reste moins longtemps immobilisée. « L’économie du partage repose sur diverses formes d’hybridation entre l’échange marchand et la logique du don, avec Wikipédia du côté du don et Uber du côté du marché. Mais même dans ce dernier cas, on cherche à valoriser l’aspect relationnel, la logique du pair-à-pair. » L’économie de partage est donc doublement vertueuse : elle constitue le ressort explicite de projets socio-économiques innovants ; écologiquement, elle prend en compte le respect des “communs” en ce qu’elle permet de moins produire.

Joseph Capet

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